Cafes, hotels, restaurants de Paris
Cette rubrique vous livre les secrets de l'histoire des cafés, hôtels et restaurants de Paris : comment ils ont évolué, par qui ils ont été fréquentés. Pour mieux connaître le passé des cafés, hôtels et restaurants dont un grand nombre existe encore.
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LE CAFÉ D'ORSAY - LE CAFÉ DU PONT-ROYAL
(D'après Les cafés artistiques et littéraires de Paris, paru en 1882)

Nous avons parlé précédemment d'un établissement situé au carrefour Buci, à l'extrémité de la rue Mazarine, ayant pour enseigne, café d'Orsay. La cause qui a fait donner ce nom a ce café a été expliquée, nous n'avons donc plus à revenir sur cette appellation qui semble bizarre à ceux qui ne sont point au courant des tribulations d'un limonadier à la recherche d'une enseigne qui attire l'attention.

L'ancien, le grand café d'Orsay occupe une partie de l'immeuble au coin de la rue du Bac et du quai d'Orsay. Autrefois, cette encoignure était un dépôt de bois, la berge descendait jusqu'au fleuve où l'on débarquait les produit des forêts du Morvan qui étaient entassés en piles plus ou moins régulières mais livrées à la consommation. En 1708, le prévôt des marchands, Boucher d'Orsay, fit commencer la partie du quai près du Pont-Royal et lui laissa son nom. Bientôt le quartier se peupla, les chantiers de bois, transportés du côté de Grenelle, furent remplacés par de belles constructions.

Le café d'Orsay a toujours été fréquenté par un public distingué, excepté pendant la Commune, où ceux qui préparaient la ruine de Paris se rendaient pour boire, manger et préparer leurs plans. En face, à l'autre extrémité du Pont-Royal, s'élevaient les Tuileries, résidence des souverains, dont on voit encore les murs rongés par le pétrole ; à côté l'hôtel de la Caisse des dépôts et consignations, brûlé également, mais reconstruit, une caserne de cavalerie ; le vaste palais du Conseil d'Etat et de la Cour des comptes, incendié aussi et non rebâti ; le palais de la Légion d'honneur où l'ignare personnage Eudes, qui s'était improvisé général communard, avait établi son état-major.

Cette bande de chenapans se livrait aux fantaisies les plus bestiales. Un document signé donne une idée de ce qui se passait à la Légion d'honneur. Ce document, adressé à la maîtresse d'un établissement de tolérance, était ainsi conçu :

« Ordre à la citoyenne N... , de mettre à la disposition du commandant du palais de la Légion d'honneur huit femmes pour le service de l'état-major.

Signé,

Général EUDES.

Puis le cachet de la Commune pour donner plus de garantie à l'ordre écrit du brillant général. Naturellement, nous négligeons les petits détails intimes sur l'état sanitaire de ces odalisques du Champ-de-Mars. Cela prouve jusqu'à l'évidence que le grand stratège pensait à tout. Quand il dut abandonner la Légion d'honneur, Eudes y avait accumulé une grande quantité de pétrole, et ce charmant palais fut détruit. Il a été reconstruit aux frais des légionnaires.

Plus loin le palais Bourbon, celui des affaires étrangères étaient occupés par des gaillards non moins distingués que Eudes et sa bande. Aux affaires étrangères trônait Pascal Grousset qui fut pris par les troupes de Versailles au moment où, déguisé en femme, il cherchait à échapper aux recherches. Son costume féminin avec ses appas postiches et le formidable chignon qui couronnait sa tête égayèrent un peu Paris dans ce moment de désolation. Mais ce chignon de Damoclès a brisé la carrière diplomatique de Pascal Grousset. Les frères et amis reviendraient au pouvoir qu'ils ne pourraient plus se servir de leur ancien ministre ; il manquerait de prestige même à leurs yeux. Disons que si l'hôtel des affaires étrangères et le palais Bourbon échappèrent à l'incendie, ce ne fut pas la faute des communards.

Tous ces affamés de galons qui s'étaient installés dans les palais des environs du café d'Orsay avaient remplacé d'une façon fort désavantageuse dans cet établissement les anciens clients disparus.

Le délégué à la guerre, Cluseret, y déjeunait ; si cet individu, condamné pour actes d'indélicatesse, ne valait pas mieux au point de vue moral que les fantoches qui l'entouraient, du moins il avait sur eux une supériorité ; il connaissait son métier.

Après la Commune, le café d'Orsay dut fermer faute de consommateurs. Il a réouvert depuis et ses jours de splendeurs paraissent vouloir revenir. La municipalité de Paris est installée au pavillon de Flore et il faut dire que ces édiles radicaux n'ont aucun goût pour le brouet noir ; ils savent apprécier les vins fins et les viandes délicates. Le corps législatif siège au palais Bourbon ; la grande chancellerie et tous ses services rétablis dans son palais, les maisons particulières détruites par le pétrole sont reconstruites et habitées ; de vrais soldats occupent la caserne d'Orsay où ils remplacent avec avantage les militaires de Delescluze. L'hôtel de l'Officiel a été le rendez-vous de rédacteurs sérieux qui payant leurs consommations au café ou au restaurant, ne suivant pas en cela comme en beaucoup d'autres choses l'exemple des Vésinier et autres écrivains officiels de la Commune qui menaçaient de faire arrêter le restaurateur qui se permettait de leur présenter la carte à solder.

L'hôtel du Moniteur universel, où s'impriment tant de journaux, a repris son activité des beaux jours. Il s'agrandit quotidiennement ; si M. Dalloz continue, il ira jusqu'à la rue de Beaune. C'est encore une douzaine de maisons à acheter, mais ce détail n'a qu'une importance relative.

Le café d'Orsay est donc redevenu un centre où se rencontrent les membres les plus éminents des classes intelligentes de la société. Militaires, littérateurs, savants, journalistes, magistrats, avocats, causent, lisent, réfléchissent, selon la tendance d'esprit de chacun.

Souvent on y voit M. Paul Dalloz retenu au quai Voltaire pour surveiller ses nombreux journaux ; M. Rey, qui s'occupe de la Revue de la Mode ; M. Gustave Claudin, un Parisien endurci qui prétend que les arbres du boulevard des Italiens sont tout ce qu'il y a de mieux en fait de campagne boisée ; M. Emile Gassmann, chargé de la partie littéraire des journaux et revues de M. Dalloz ; M. L. Grégoire, auteur de dictionnaires géographiques, traducteur des feuilles allemandes au grand Moniteur universel.

Puis la rédaction de l'Officiel ; M. Aron, ancien rédacteur des Débats, directeur des journaux officiels ; M. Baugier, secrétaire de la rédaction ; M. H. Vigneau, écrivain dont nous avons déjà à plusieurs reprises constaté le réel talent ; M. Rouvier ; MM. Armand Silvestre et René Delorme, chroniqueurs de feu le Bulletin Français, sous le pseudonyme de Grimaud ; M . Alphonse Daudet, le romancier célèbre ; M. A. Wittersheim, ex-imprimeur-gérant de l'Officiel et du Bulletin Français. M. Wittersheim est l'obligeance même sous les espèces d'un homme solidement charpenté. M. Friès, le caissier des deux journaux, regarde d'un œil calme le défilé des écrivains qui ont passé, passent, ou passeront à son cabinet. Il y a eu tant de changements dans le personnel de la rédaction des feuilles officielles qu'il doit être devenu sceptique ou au moins fort indifférent pour tout ce qui soulève les passions de tant d'autres hommes.

M. Barbey d'Aurévilly, l'ennemi des bas-bleus ; M. John Lemoinne, rédacteur des Débats. qui change d'opinion religieuse ou politique une ou deux fois par an. Tantôt il exalte la République, tantôt il admire la Monarchie. Aujourd'hui libre-penseur, demain catholique fervent. Cet espiègle journaliste a dépassé la soixantaine. M. Nogent Saint-Laurens, M. Beaupré, deux membres éminents du barreau de Paris ; des savants : MM. Briguet, Faye, de l'Académie des sciences ; M. Perrier, nommé lieutenant-colonel au commencement de 1879 et élu à l'Académie des sciences au même moment, en remplacement de M. Tessan ; sa triangulation de l'Algérie l'a rendu célèbre.

C'est au café d'Orsay qu'arriva au prince d'O... une aventure qui se termina par un procès scandaleux. Le prince, qui préférait le boulevard au Bois, les rives de la Seine aux bords des canaux de son pays et les Françaises légères aux lourdes Hollandaises, menait un peu la vie à grandes guides. Un jour de l'année 1878, il conduisit une de ses conquêtes dans un des cabinets du café. Mais le mari surveillait l'infidèle, il y eut une esclandre, la compagne du prince se déguisa promptement en petit pâtissier, aidée d'une dame de comptoir ; la transformation fut bientôt opérée et une manne sur la tête, ses habits de femme dans la manne, madame Santerre passa fièrement devant son mari qui ne se doutait pas que ce bonhomme en veston blanc était celle qu'il cherchait et qu'il ne trouva pas. L'obligeante caissière qui demeurait dans le quartier prêta son logement à madame Santerre pour que cette trop folâtre légitime pût reprendre les habits de son sexe.

Tout le Paris amateur de scandale suivit le procès dans ses moindres détails et Jules, le maître d'hôtel du café d'Orsay, dut aller raconter comment les choses s'étaient passées dans l'établissement. Cependant la chose ne fut pas absolument démontrée. Un avocat maladroit, voulant faire de l'esprit, manqua ses effets contre M. André, un des administrateurs de l'Officiel qui raconta les faits d'une façon autre que le mari et ses témoins. Du reste, au mois d'avril 1881, M. Santerre a fait constater, à Cannes, que sa femme le trompait vraiment. Ses vœux sont exaucés.

Parmi les écrivains et les journalistes : M. Charles Monselet, poète, gourmand, critique dramatique au Monde illustré, chroniqueur à l'Evénement ; M. Littré, M. Eugène Pelletan, sénateur et écrivain de talent, mais pas lu ; le sculpteur Clésinger ; M. Batbie, ancien ministre ; M. Gambetta, président de la Chambre des députés ; M. Janvier de la Motte, ancien préfet de l'Empire, député de l'Eure ; M. Camille Krantz ; M. Arnaud, de l'Ariège, républicain catholique allaient sou-vent au café d'Orsay. M. Giffard, le propriétaire du fameux ballon captif qui eut l'insigne honneur d'enlever souvent à cinq cents mètres au-dessus du niveau de la Seine, mademoiselle Sarah Bernhardt, était un habitué du café, où l'on voit souvent un des plus sympathiques artistes du Palais-Royal, M. Gil-Pérez.

Les militaires et les marins : M. le général Borel, ancien ministre de la guerre ; les généraux Aymard. Billot, de Galliffet, marquis d'Abzac ; de Salignac-Fénelon ; l'amiral Montagnac, ancien ministre de la marine.

Les titres, qui exercent toujours tant de prestige, surtout sur ceux qui déblatèrent toujours contre les nobles et ne parlent que d'égalité : M. le duc de Castries ; M. le duc de Larochefoucauld-Bisaccia ; M. le duc de Chaulnes ; M. le prince de Caraman ; M. le prince de Léon ; M. le comte de Pommereux ; M. le prince Galitzin. Citons encore M. Wilson, député, sous-secrétaire d'État aux finances dans les ministères Freycinet et Ferry ; M. Herold, préfet de la Seine.

Arrivons au Pont-Royal. Ce café est de l'autre côté de la rue du Bac, en face du pont dont il porte le nom. L'immeuble dont il occupe une partie a appartenu à Marie-Anne de Mailly, maîtresse de Louis XV, créée duchesse de Châteauroux par son royal amant. L'entrée de l'hôtel était rue du Bac, les dépendances et le jardin s'étendaient le long du quai jusqu'à la rue de Beaune. C'est sur ces terrains que vers la fin du second Empire on construisit l'hôtel des journaux officiels. Le Cercle agricole dit « des pommes de terre » occupait le coin de la rue de Beaune ; il s'est transporté dans le magnifique hôtel qu'il a fait élever boulevard Saint-Germain, en face du Palais-Bourbon.

Un des plus célèbres amateurs du café mélangé avec du lait a habité l'hôtel Villette, rue de Beaune, en face des jardins de l'hôtel de Châteauroux. Il y est mort le 30 mai 1778. Cet amateur était Voltaire dont le portrait est peint sur la partie du mur formant l'encoignure de la rue de Beaune et du quai auquel on a donné le nom du philosophe.

Les habitués du Pont-Royal sont à peu près les mêmes que ceux du café d'Orsay. On y voit M. Krémer, le correspondant de la Gazette de Cologne ; le docteur Joba, qui a voyagé au Sénégal, au Brésil, en Crimée, sur les navires de l'État ; M. Bétholaud, neveu de l'éminent avocat de ce nom, avocat lui-même. Officier démissionnaire, M. Bétholaud reprit du service à la guerre de 1870. Comme M. Joba il est chevalier de la Légion d'honneur.

Le docteur Bergeron ; le docteur Gaston Decaisne, fils du rédacteur scientifique de la France ; l'éditeur Henri Vaton et son frère ; M. Claudon, journaliste ; Just Rouvier, ancien éditeur, qui a publié les œuvres du docteur Ricord ; François Coppée ; Paul Bourget, poète et journaliste ; Paul Bourde, rédacteur du Moniteur, puis du Temps, géographe passionné ; Jules Mary, également attachéà la rédaction du Moniteur, romancier de talent ; Henry More], collaborateur de M M. Bourde et Mary, auteur des Communards au Pilori et de quelques romans dont le plus remarquable est Mademoiselle Lacour.

 


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