Histoire de Paris
Cette rubrique vous livre l'histoire de Paris et de ses arrondissements. Origine, évolution, de la capitale de la France. Pour mieux comprendre la physionomie du Paris d'aujourd'hui, plongez-vous dans les secrets de son passée.
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HISTOIRE DE PARIS
(D'après Paris à travers les âges, histoire nationale de Paris et des Parisiens depuis la fondation de Lutèce jusqu'à nos jours, paru en 1879)

Charles VI. — Les impôts. — Hugues Aubriot condamné. — Les Maillotins. — Duel judiciaire entre Jean de Carrouges et Jacques Le Gris. — Les pâtés de chair humaine du barbier et du pâtissier. — Entrée de la reine Isabeau. — L'assassinat d'Olivier de Clisson par Pierre de Craon. — L'hôpital du Roule. — Le collège d'Aurillac. — Les juifs battus de verges. — Odette la petite reine de Charles VI. — Exécution des faux guérisseurs. — L’empoisonnement de Jean Le Charton. — Les premiers théâtres. — Les confrères de la Passion. — Les pages et écoliers. — Le duc d'Orléans assassiné. — Le grand hiver de 1407. — La paix fourrée.

On voit qu'en attendant les mauvais jours qui étaient si proches les Parisiens se divertissaient. Ils allaient bientôt expier tous ces plaisirs et ces prodigalités. Le premier événement fâcheux qui survint fut un assassinat qui fit grand bruit.

Pierre de Craon, qui « était un chevalier de France de la nation d'Anjou et de Bretagne », avait profité de la mort du duc d'Anjou pour lui voler ses trésors, puis il était venu à Paris où il avait été favorablement accueilli par le roi Charles VI et par le duc de Touraine (duc d'Orléans en 1391). Il devint le compagnon inséparable de ce dernier et le confident de ses nombreuses amours. Ce fut pour les avoir divulguées, et aussi parce que le connétable de Clisson avait découvert ses intrigues secrètes avec le duc de Bretagne, qu'il se vit tout à coup exclure du service et de l'hôtel du roi. Il jura de se venger et partit en Bretagne.

Il possédait à Paris, au cimetière Saint-Jean, un très bel hôtel qu'il faisait garder par son concierge lorsqu'il était absent. A l'époque du Carême, il envoya des valets à cet hôtel pour l'approvisionner de vivres et avait écrit au concierge pour qu'il lui achetât des armures, des cottes de fer, des coiffettes d'acier, etc., en quantité suffisante pour armer quarante hommes. Tout cela fut fait selon son désir.

Il commença à envoyer alors trois ou quatre personnes une semaine à son hôtel, quatre ou cinq la semaine suivante, avec la recommandation d'y vivre et de demander au concierge tout ce qu'ils pouvaient désirer, mais surtout de ne pas se montrer au dehors. Il en vint ainsi quarante, qui s'installèrent à l'hôtel et y vécurent le mieux qu'ils purent. Alors Pierre de Craon arriva secrètement.

Or, le 14 juin 1392, Charles VI avait tenu cour ouverte à l'hôtel Saint-Paul, ses barons et ses seigneurs avaient fait « grand soulas » tout le long du jour et, après dîner, les chevaliers et les écuyers, la lance au poing, avaient jouté dans le clos de l'hôtel ; c'était le comte de Namur qui avait gagné le prix. Pour finir la fête, le roi avait offert à souper à tous ceux qui l'avaient désiré.

Après souper, on dansa jusqu'à une heure du matin. Alors chacun se retira et messire Olivier de Clisson, connétable de France, partit le dernier ; il descendit sur la place qui se trouvait devant l'hôtel et trouva ses gens et ses chevaux qui l'attendaient. Son escorte se composait de huit hommes et de deux porte-torches, chargés de le précéder en éclairant le chemin. Il venait de quitter la rue Saint-Paul et de tourner le carrefour de la grande rue Sainte-Catherine, tout en s'entretenant avec son écuyer.

— Demain, lui dit-il, je dois avoir à dîner chez moi monseigneur de Touraine, le seigneur de Coucy, messire Jean de Vienne, messire Charles d'Hangiers, le baron d'Ivery et plusieurs autres ; je vous charge de veiller à ce que tout soit préparé et que rien ne soit épargné.

A peine ces dernières paroles étaient-elles prononcées qu'une troupe de gens fondit sur les porteurs de torches ; elles furent éteintes et jetées à terre.
C'étaient les gens de Pierre de Craon, qui depuis une demi-heure stationnaient avec lui dans la rue Sainte-Catherine, en attendant le retour du connétable. Celui-ci crut que c'était une plaisanterie que lui faisait le duc d'Orléans.

— Par ma foi, monseigneur, dit-il, ce que vous faites là est mal, mais je vous le pardonne, parce que vous êtes jeune et ne songez qu'à faire des farces et des jeux.

— A mort Clisson ! répondit une voix ; il faut mourir !

— Qui es-tu, demanda le connétable, et que signifient de telles paroles ?

— Je suis Pierre de Craon, votre ennemi ; vous m'avez tant de fois courroucé que j'ai résolu de me venger. En avant ! continua-t-il en s'adressant à ses gens ; c'est celui-ci que j'attendais et que je veux punir.

Et, tout en parlant, il avait tiré son épée, ses compagnons l'avaient imité, les hommes du connétable s'étaient de leur côté mis sur la défensive. Quant au connétable, il n'avait pour se défendre qu'une sorte de long couteau de chasse, dont il essaya de faire usage. Mais lui et les siens n'étaient pas en force pour lutter avec la troupe armée que conduisait Pierre de Craon.

— Tuerons-nous ? demandèrent ceux-ci à leur chef.

— Oui, répondit celui-ci, tous ceux qui se défendront.

Le connétable, assailli de plusieurs côtés à la fois, se couvrant du bras gauche,

Le boulanger était demeuré tout ébahi devant le corps
de ce seigneur qui venait de tomber chez lui.
jouait vaillamment de son badelaire, mais il reçut d'abord un grand coup d'épée sur la tête, puis un second qui le fit tomber de cheval sur le seuil du fournil d'un boulanger qui se préparait à faire cuire son pain et qui, entendant du bruit et désireux de savoir ce qui se passait au dehors, venait d'entr'ouvrir sa porte, juste au moment où le corps du connétable tombait, ce qui fit qu'il demeura couché tout au long dans la boutique du boulanger. Les assassins n'osèrent pas entrer dans la maison pour l'achever.

— Allons ! allons ! dit Pierre de Craon, nous en avons fait assez ; s'il n'est mort, il mourra sûrement du coup qu'il a reçu à la tête, car il a été frappé de bon bras. Et toute la petite troupe disparut au trot par la rue Saint-Antoine. La porte Saint-Antoine était ouverte. Pierre de Craon et les siens s'élancèrent dans la campagne.

Le boulanger était demeuré tout ébahi devant le corps de ce seigneur, qui venait si inopinément de tomber chez lui, et, il ne savait que faire, mais ceux des serviteurs du connétable qui n'avaient pas été blessés se hâtèrent de venir au secours de leur maître, tandis que l'un d'eux courait à l'hôtel Saint-Paul avertir le roi de ce qui venait de se passer.

Charles VI allait se mettre au lit, lorsqu'il entendit heurter à la porte qui s'ouvrit.

— Ah ! sire, nous ne pouvons vous cacher le grand méchef qui vient d'advenir à Paris.

— Quel méchef ? demanda le roi.

— Sire, votre connétable Olivier de Clisson est occis.

— Occis ! Et comment ? par qui ?

— Sire, nous ne savons, mais ce méchef est advenu sur lui et bien près d'ici, en la grande rue Sainte-Catherine.

— Or, tôt, dit le roi, aux torches ! aux torches ! je veux l'aller voir.

On alluma les torches, les valets se répandirent dans le palais, le roi passa à la hâte une houppelande, on lui mit ses souliers, et il partit accompagné de ses gens d'armes, de ses huissiers et de messires Guillaume Martel et Hélion de Lignac, ses chambellans.

Ceux qui étaient couchés se levèrent et voulurent suivre le roi. On se mit à marcher bon pas, les torches éclairant devant et derrière. Au bout d'un moment, on arriva à la maison du boulanger. Le roi entra et trouva son connétable dans un piteux état ; on le déshabilla, on le tâta pour constater l'état de ses blessures. Il n'était pas mort. La première parole que le roi lui adressa fut :

— Connétable, comment vous sentez-vous ?

— Cher sire, petitement et faiblement.

— Et qui vous a mis en cet état ?

— Sire, Pierre de Craon et ses complices, traîtreusement et sans nulle défiance.

Et le roi donna l'ordre d'aller chercher ses médecins, qui, à leur tour, visitèrent et palpèrent le blessé.

— Y a-t-il danger de mort ? demanda Charles VI.

— Sire, nenni ; dans quinze jours, nous vous le rendrons chevauchant.

Cette réponse réjouit grandement le roi qui, rassuré sur l'état du blessé, retourna à l'hôtel Saint-Paul, fit aussitôt appeler son prévôt et lui commanda de prendre des gens bien montés et de les mettre sur toutes les routes, à la poursuite de l'assassin. Or il était une heure et demie lorsque Pierre de Craon sortit de Paris ; il passa la Seine au pont de Charenton et prit le chemin de Chartres, où il arriva à huit heures du matin ; il changea de chevaux et s'en alla à Sablé.

Le prévôt de Paris, accompagné de soixante hommes, se mit sans tarder à la poursuite du fugitif et, passant la Seine à Chennevières, il demanda au pontonnier si des gens étaient récemment passés.

— Oui, environ douze cavaliers, dit-il.

— Et quel chemin ont-ils pris ?

— Celui d'Evreux.

Naturellement, le prévôt fit fausse route et revint à Paris sans avoir pu atteindre son homme. Mais, le samedi suivant, des sergents du roi arrêtèrent dans un village, à sept lieues de Paris, deux écuyers et un page de Pierre de Craon. Ils furent emprisonnés au Châtelet, et le lundi on les mena au lieu où l'attentat avait été commis ; on leur coupa le poing, ensuite on les conduisit aux halles où on leur trancha la tête, puis on pendit leur corps par les aisselles au gibet de Montfaucon.

Le mercredi, le concierge de l'hôtel de Pierre de Craon fut aussi exécuté.
Quant à ce dernier, tous ses biens furent confisqués et ses maisons de Paris rasées, et le roi résolut de déclarer la guerre au duc de Bretagne, qui avait refusé de le lui livrer.

On sait que ce fut en se rendant dans cette intention au Mans qu'il reçut les premières atteintes de cette folie dont les suites furent si funestes à la France.

Nous avons dit qu'à l'occasion des troubles suscités par les Maillotins Charles VI avait supprimé la prévôté de marchands et l'avait unie à là, prévôté de Paris en la personne d'Audouin Chauveron ; auquel succéda en 1388, messire Jean de Poitevine ; l'année suivante, 1389, ce fut Jean Juvénal (qui prit plus tard le nom des Ursins, en raison de l'hôtel des Ursins que lui donna la ville, en récompense de ses nombreux et loyaux services) qui remplit ces fonctions.

Ce prévôt, sur la plainte des mariniers parisiens, avait rétabli le libre parcours de la Seine et de la Marne, obstruées par la grande quantité de moulins échelonnés sur leurs rives. En une seule nuit, toutes les digues furent détruites et il indemnisa les propriétaires des moulins, en leur payant le prix du produit pendant dix années.

Ce bienfait public lui suscita la malveillance des riverains, et le duc de Bourgogne, qui ne cherchait que l'occasion de le perdre dans l'esprit du roi, soudoya de faux témoins choisis parmi eux, qui affirmèrent avoir entendu Jean Juvénal proférer des cris séditieux contre Charles VI.

Or il advint que deux commissaires enquêteurs du Châtelet qui avaient rédigé, d'après ces déclarations, un mémoire contre lui, s'en allèrent boire à la taverne de l'Échiquier, rue de la Licorne, et les parchemins roulés, sur lesquels étaient écrites les prétendues preuves du crime qu'on lui imputait, étant tombés de la poche de l'un d'eux à terre, un chien s'en saisit et les porta jusque dans la ruelle du lit du tavernier.

La femme de ce dernier trouva en se couchant le rouleau et le remit à son mari qui, en voyant sur le parchemin le cachet du procureur du Châtelet, prit peur et se hâta d'aller trouver le concierge de l'Hôtel de Ville et de le lui remettre ; celui-ci donna les pièces, le lendemain matin, au prévôt qui eut ainsi connaissance de ce qui se tramait contre lui. Le même jour, un huissier d'armes vint le citer à comparaître devant le roi et son conseil.

Mais le bruit de cette citation s'était déjà répandu dans la ville et quatre cents des plus notables bourgeois de Paris s'assemblèrent et lui firent cortège lorsqu'il se rendit au conseil. Arrivé là, personne n'osa prendre de conclusion contre lui et Jean Juvénal présenta lui-même, non sa défense, mais l'explication de sa conduite depuis qu'il était prévôt et le roi déclara devant tous qu'il tenait Juvénal pour un prud'homme et que ceux qui avaient témoigné contre lui étaient de méchantes gens.

— Allez en paix, mon ami, lui dit-il en terminant, et vous tous, bons bourgeois, aussi.

Mais aux fêtes de Pâques les accusateurs, pour obtenir l'absolution de leur faux témoignage, furent obligés de faire amende honorable en une expiation publique. Ils vinrent donc le vendredi saint, de grand matin, tête baissée, nus, couverts seulement d'un long drap blanc, se présenter à l'hôtel du prévôt qui, les voyant en si piteux équipage, leur demanda leurs noms, et comme ils hésitaient à répondre il les nomma l'un après l'autre à haute voix, et les renvoya ensuite, en leur accordant le pardon qu'ils venaient solliciter.

Juvénal des Ursins a laissé une excellente Histoire de Charles VI, dans laquelle nous lisons qu'en 1393 « il y eut un beau miracle à Notre-Dame de Saint-Martin-des-Champs. Il y avoit une créature pécheresse qui étoit enceinte d'enfant, et elle ifiussoit (cachait) sa grossesse le mieux qu'elle pouvait ; tellement qu'on ne s'en apperçut oncques. Toute saune se délivra et Guida couvrir et céler son cas advenu et elle-méme mussa son enfant dans du fient. Un chien sentit aucunement qu'il y avoit quelque chose, et gratta tellement au lieu qu'il découvrit l'enfant. Une bien dévote femme le veid qui passoit d'aventure par là et prit cet enfant et le porta à Saint-Martin-des-Champs, devant l'autel de Notre-Dame, en faisant une oraison telle qu'elle la sçavoit. L'enfant ouvrit les yeux, cria et alaita et fut baptisé, et vesquit trois heures, puis après mourut. »

C'est le seul historien de l'époque qui raconte le fait ; les autres n'ont fait que le citer en s'appuyant sur Juvénal et ayant soin d'en décliner la responsabilité. Nous faisons de même.

On voit mentionner pour la première fois, dans le même temps (4 juillet 1392), l'existence d'une maison de refuge destinée aux ouvriers monnayeurs au serment de France que l'âge ou les infirmités mettaient hors d'état de travailler. Elle était située au Roule et avait été fondée par l'évêque de Paris, concurremment avec les monnayeurs ; l'évêque avait droit à la moitié des nominations ; les admis dans cet hôpital s'appelaient les frères de l'Hôtel du Roule.

Un nouveau collège fut aussi établi à Paris. Pierre Fortet, originaire d'Aurillac, chanoine de Paris, était mort en 1394 laissant sa maison dite des Caves, située dans la rue des Cordiers, afin d'y installer un collège pour quatre pauvres écoliers du diocèse de Saint-Flour et quatre de Paris, sous la direction d'un principal ; mais les chanoines de Notre-Dame, ses exécuteurs testamentaires, ne trouvant pas le lieu propice, achetèrent de Louis de Listenois, seigneur de Montaigu, une autre maison dans la rue des Sept-Voies et y placèrent le collège ; le chapitre de Notre-Dame lui donna des statuts le 10 avril 1396 et il ne tarda pas à prendre une certaine extension ; plus tard, de fréquentes contestations s'élevèrent entre le chapitre et l'université, à l'occasion des nominations du principal, et le parlement rendit des arrêts en 1576 et 1578 qui les réserva au chapitre.

Ces contestations reparurent en 1704 et donnèrent lieu à de nouveaux arrêts. Plusieurs bourses avaient été fondées par diverses personnes et augmentèrent le nombre des écoliers.

Le bâtiment primitif, devenu insuffisant, s'accrut de quelques portions des hôtels de Marly et de Nevers. Ce fut dans ce collège que se tinrent les premières assemblées de la Ligue en 1585. Il fut supprimé en 1790, et les constructions vendues comme propriété nationale, le 12 juillet 1806.

Le roi était revenu à Paris, où son état de démence produisit une grande consternation, et les ducs de Berry et de Bourgogne reprirent la direction des affaires publiques.

Cependant, un peu de mieux s'étant manifesté dans son état ; Charles VI voulut s'acquitter d'un voeu qu'il avait fait, et pour cela se rendit à Saint-Denis, où il fit porter dans une litière couverte une châsse d'or du poids de 252 marcs, que le roi Charles V avait fait faire pour y transférer les reliques du roi saint Louis. Il ajouta à son présent une somme de mille livres destinée à faire établir sur la châsse un tabernacle de cuivre.

Mais en 1393 la maladie reparut et des accès fréquents furent attribués à la peur et au saisissement que le roi avait éprouvés lors de l'accident que nous avons rapporté en parlant des Célestins, c'est-à-dire lorsque le roi et de jeunes seigneurs de sa cour se déguisèrent en satyres dans un bal. Le comte de Joigny, le bâtard de Foix, Aimeri de Poitiers et Guisay, moururent de la suite de leurs brûlures, et le roi épouvanté voulut cependant assister à la messe qui fut dite à Notre-Dame pour ces quatre victimes, mais il en revint exalté jusqu'à la fureur, et demeura fou jusqu'au mois de janvier 1394.

Tant que dura cette folie, une seule personne parvenait par le charme de sa voix et son regard à se faire comprendre et obéir du roi, c'était la fille d'un marchand de chevaux appelée Odette de Champdivers, « la petite reine», comme on la nommait. « On croit les voir dans une chambre haute du vieux Louvre : seuls, le vieillard et l'enfant, isolés, loin des fêtes que donne à son amant Isabeau de Bavière, loin du bruit, ils jouent aux cartes (dont le jeu est redevenu de mode). Odette laisse gagner le roi... tout à coup il se lève, porte les deux mains à sa tête, l'heure de la frénésie approche, elle est venue ».


Odette jouant aux cartes avec Charles VI.
E
t Odette s'approche du fou, lui prend les deux mains, le regarde, pleure, et le fou revient à la raison pour sécher ses larmes. Odette que le roi avait un jour trouvée dans sa chambre à coucher où Isabeau de Bavière l'avait poussée disparut un jour sans laisser de traces, bien que le roi lui eût fait cadeau de deux châteaux. Que devint-elle ? On l'ignore.

A la fin de novembre 1393 mourut à Paris le roi d'Arménie, Léon, qui, chassé de son royaume par les Turcs, était venu chercher un refuge en France. Il laissa tout ce qu'il possédait à un enfant naturel, aux officiers de sa maison, aux religieux mendiants et aux pauvres de Paris. Il fut enterré aux Célestins. Tout le convoi fut en habits blancs, selon que le défunt l'avait recommandé, et nombre de gens assistèrent à ses obsèques.

Le roi recouvra un moment la raison et il en profita, à la sollicitation de la reine, pour signer le 17 septembre 1394 l'expulsion des juifs du royaume ; il leur fut accordé jusqu'à Noël pour se conformer à cet ordre, sous peine de punition corporelle et de confiscation de leurs biens. Les plus riches furent retenus à Paris sous l'inculpation d'avoir fait revenir à la pratique de leur religion Denis de Machaut, qui s'était converti au christianisme, et de l'avoir fait disparaître ensuite. L'évêque prétendit que c'était à lui que revenait la connaissance de cette affaire.

Le procureur général soutint que, les juifs n'étant pas d'église, le prévôt était leur juge naturel ; le parlement, par son arrêt du 28 janvier 1395, déclara que les juifs étaient justiciables du prévôt de Paris. Celui-ci n'hésita pas, il les condamna au feu. Ils en appelèrent au parlement. La cour trouva la sentence sévère, et manda devant elle le prévôt, afin qu'il donnât les motifs d'une si excessive sévérité ; comme il n'en avait pas à invoquer, la sentence fut réformée et on se contenta de les condamner à être conduits quatre dimanches consécutifs, nus, sur une charrette, par les carrefours et places publiques de la ville, pour y être battus de verges jusqu'au sang.

Cela fut exécuté pendant deux dimanches ; mais les condamnés ayant offert de racheter le reste de leur peine en versant 18,000 francs en or, ils en furent quittes. L'argent fut employé à la reconstruction du Petit-Pont, au bout duquel devait être posée une croix de pierre portant une inscription relatant que le pont avait été rebâti au moyen d'une amende imposée aux juifs, mais cette croix ne fut pas élevée.

L'évêque n'avait pas obtenu gain de cause contre le prévôt et déjà, l'année précédente, il avait eu une contestation avec lui ; il y avait alors dans les prisons de l'évêché un malheureux nommé Bertrand Bonfils, assuré d'hérésie pour avoir été trouvé en possession de livres de magie ; le prévôt de Paris avait redemandé ces livres à l'évêque, qui s'était refusé à les rendre ; le parlement, par son arrêt du 19 avril, avait décidé que l'évêque conserverait les livres pour les brûler.

Au reste, la magie était très pratiquée à cette époque, et un magicien du nom d'Arnaud Guillem se vanta de pouvoir guérir le roi par le secours d'un livre de magie qu'il appelait Smagorad et qu'il prétendait tenir d'un ange qui l'avait apporté du ciel.

Ces bourdes trouvaient toujours créance ; cependant on ne jugea pas à propos de laisser opérer Arnaud Guillem. Il put de cette façon échapper à la punition qu'il eût encourue dans le cas plus que probable de l'insuccès ; deux autres prétendus guérisseurs expièrent cruellement la faute qu'ils commirent en s'engageant à rendre au roi la santé. Nous allons raconter ce qui leur arriva.

Mais, au préalable, disons qu'en 1394 la reine était accouchée à l'hôtel Saint-Paul d'une fille, nommée Michelle, qui plus tard épousa Philippe le Bon, duc de Bourgogne. Peu de temps après sa naissance, sa sœur, qui n'avait pas six ans, fut demandée en mariage par Richard, roi d'Angleterre, qui envoya tout exprès une ambassade en France. Les ambassadeurs arrivèrent en juillet 1395 à Paris où on leur fit une entrée superbe. Leur cortège se composait de plus de 1,200 gentilshommes que le roi hébergea pendant trois mois avec une munificence sans égale ; on estima qu'ils occasionnèrent une dépense de 400 livres tournois par jour, sans compter les présents qui leur furent offerts.

La proposition de mariage fut acceptée et les ambassadeurs revinrent au commencement de février 1396 pour la célébration du mariage. La cérémonie eut lieu à la Sainte-Chapelle du Palais, le 9 mars ; le patriarche d'Alexandrie officiait et les deux ambassadeurs y représentèrent le roi d'Angleterre. Un magnifique festin réunit le patriarche, le roi, la nouvelle reine d'Angleterre, la reine Blanche, veuve de Philippe de Valois, la reine de Sicile, les deux ambassadeurs et un certain nombre de seigneurs de la cour.

On pensait que la nouvelle mariée, qui n'avait que sept ans, demeurerait encore quelques années en France, mais le roi d'Angleterre « impatient de la voir » dépêcha une autre ambassade pour la chercher, afin qu'il pût la faire élever selon la coutume anglaise. Le roi y consentit et alors on s'occupa de réunir tout ce que Paris renfermait d'habiles ouvriers en broderie et en orfèvrerie, et on travailla nuit et jour aux parures de l'épousée. « Outre les étoffes les plus précieuses ; l'or, l'argent, les perles et les pierreries y furent employés avec profusion. »

La jeune reine partit de Paris pour rejoindre son époux qui l'attendait à Calais ; Charles VI la présenta lui-même au roi d'Angleterre entre Ardres et Calais, le 29 octobre ; les deux rois passèrent quelques jours ensemble et jurèrent d'observer la trêve de vingt-huit ans conclue entre eux.

A cette occasion, le roi d'Angleterre demanda et obtint de Charles la grâce de Pierre de Craon, qui revint à Paris et demanda au roi que dorénavant les condamnés à mort fussent assistés d'un confesseur. L'ordonnance fut signée en ce sens, le 11 février 1397. Pierre de Craon fit élever auprès du gibet de Paris une croix de pierre à ses armes, probablement en reconnaissance d'avoir échappé à la peine qu'il avait encourue, celle d'y être accroché. Ce fut au pied de cette croix que dorénavant les condamnés firent leur confession.

On le voit, le roi avait des intermittences de raison, mais elles ne duraient guère et les accès devenaient de plus en plus fréquents. Pendant le mois de juin, on fit des processions générales pour les faire cesser.

Revenons aux guérisseurs. En 1398, Louis de Sancerre, maréchal de France, envoya de Guyenne à Paris deux ermites de Saint-Augustin, Pierre Tosant et Martin Lancelot, sur la réputation qu'ils avaient dans la contrée d'être habiles médecins, dans l'espoir qu'ils pourraient peut-être obtenir la guérison du roi ; à première vue, ils produisirent une fâcheuse impression ; il est bon de dire qu'ils étaient arrivés vêtus en bourgeois et armés, pour éviter, dirent-ils, les embûches de leurs ennemis.

On les mit en présence du roi ; ils l'examinèrent et promirent de le guérir. On les logea à la Bastille sous la garde d'un sergent, avec ordre « de leur faire faire bonne chère » et de leur fournir tout ce qui serait nécessaire à la préparation des remèdes qu'ils comptaient employer. Ils distillèrent des eaux qu'ils firent prendre au roi avec de la poudre de perles, et, en lui présentant les potions, ils prononçaient des paroles magiques, dont l'effet devait être miraculeux. Cependant, loin de trouver une amélioration dans son état, le roi se sentait plus mal que jamais et dans ses courts instants de lucidité il ne cessait de s'écrier :

— Si quelques-uns de la compagnie sont coupables de mes souffrances, je les conjure, au nom de Jésus-Christ, de ne pas me tourmenter davantage ; que je ne languisse plus, et qu'ils achèvent bientôt de me faire mourir.

Mis enfin en demeure d'avoir à se prononcer sur les causes de la folie du roi, les

En présentant les potions au roi,
ils prononçaient des paroles magiques.
augustins accusèrent deux hommes, Mellin le barbier du roi et le portier-concierge du duc d'Orléans, de l'avoir provoquée par maléfice. Aussitôt ces deux malheureux furent arrêtés et le bruit se répandit qu'on avait plusieurs fois vu Mellin rôder autour du gibet de Paris et probablement que c'était là qu'il allait chercher les ingrédients dont il se servait pour composer ses philtres.
Heureusement que, forts de leur innocence, ils purent réfuter l'accusation dont ils étaient l'objet et en démontrer l'absurdité. Ils furent relâchés.

Alors on pressa les augustins de nouvelles questions et ils finirent par déclarer que c'était le duc d'Orléans, frère du roi, qui était le seul coupable. Une pareille imputation était grave ; il fallut la prouver, ce qu'ils ne purent faire ; menacés de la torture, ils avouèrent que c'était une calomnie et en même temps se déclarèrent coupables de crimes qu'on découvrit dans l'enquête qui fut faite sur leur passé.

En leur qualité de prêtres, ils durent d'abord passer par la justice épiscopale qui les condamna à être dégradés en place de Grève ; le 30 octobre, on les fit sortir de la prison de l'évêché, et, après leur avoir lié les mains, on leur mit sur la tête une mitre de papier, sur le dos un écriteau en parchemin sur lequel leurs crimes étaient énoncés, et en cet état on les fit monter sur une charrette qui les mena sur la place où un échafaud était préparé ; ils y montèrent.

L'évêque de Paris, six autres évêques et plusieurs ecclésiastiques étaient assis sur une estrade, faisant face aux condamnés. Aussitôt que ceux-ci furent sur l'échafaud, Gilles d'Aspremont, docteur en théologie qui était assis avec les évêques, se leva, reçut la bénédiction de l'évêque de Paris et, s'adressant aux criminels, il leur fit un sermon pour leur reprocher leurs crimes. Alors ce fut le tour de l'évêque, qui aussi se leva et leur dit :

— Puisque vous avez profané par vos actions infâmes le plus glorieux caractère de notre religion, nous vous déclarons indignes de la communion des fidèles et de toute fonction ecclésiastique.

Sur ces paroles, les prêtres présents revêtirent les criminels des ornements sacerdotaux qu'ils portaient le jour de leur ordination. Ceux-ci se mirent à genoux devant l'évêque et firent l'aveu de leur crimes. Alors l'évêque leur donna le calice à tenir, puis il le leur retira aussitôt, en disant :

— Nous t'ôtons le calice dans lequel tu étais accoutumé à consacrer le sang du Seigneur.

Il fit de même à l'égard du livre des évangiles et des ornements qu'il leur ôta ou qu'il fit ôter par ses officiers. Ensuite il commanda qu'on leur raclât les doigts qui avaient touché l'hostie et qu'on les lavât avec une liqueur préparée à cet effet. La cérémonie de la dégradation terminée, l'évêque remit les deux coupables au sergent du prévôt de Paris qui les promena ignominieusement par les rues, en s'arrêtant à chaque carrefour pour y faire la lecture publique des crimes mentionnés dans l'acte d'accusation.

On les ramena ensuite aux Halles où ils furent décapités et écartelés. Leurs têtes furent mises au bout de deux lances. On sépara leurs corps en plusieurs quartiers ; les bras et les jambes firent attachés aux principales portes de Paris tandis que le tronc était porté au gibet.

En 1399, la Seine, qui depuis longtemps n'avait pas fait parler d'elle, grossit à vue d'oeil depuis la fin de mars jusqu'à la mi-avril et, comme d'habitude, la grande abondance d'eau démolit les maisons, pourrit les semences et fit périr quantité d'hommes et de bestiaux, en attendant qu'une maladie épidémique exerçât ses ravages dans plusieurs provinces.

A Paris, elle sévissait surtout sur les femmes nouvellement accouchées et les décès devinrent si nombreux qu'afin de ne pas effrayer la population on supprima toute cérémonie funèbre. En même temps, l'évêque de Paris ordonna des processions publiques et nombre de ceux qui y prirent part les faisaient pieds nus.

En 1401, le dauphin Charles, fils aîné du roi, mourut âgé de dix ans. Le 3 juin de la même année, l'empereur Manuel, fils de Jean Paléologue, empereur de Constantinople, vint à Paris afin d'y solliciter de nouveaux secours contre les infidèles ; et le roi ordonna que l'on fit choix de 2,000 bourgeois « lestes et bien montez » pour le recevoir et faire la haie sur son chemin jusqu'au pont de Charenton. Le chancelier de France, le parlement en corps et trois cardinaux lui présentèrent les compliments d'usage. Peu après, le roi s'avança à la tête des ducs, des comtes et des barons au son des trompettes, des clairons et de toute sorte d'instruments de musique.

Aussitôt qu'ils furent en présence, les deux souverains s'embrassèrent et l'empereur monta sur un cheval blanc que lui offrit le roi et alla demeurer au château du Louvre, où un appartement avait été disposé pour le recevoir.
Pendant qu'il demeura à Paris, on lui fit visiter les églises et les diverses curiosités de la ville.

Ce fut pendant son séjour qu'eut lieu un événement scandaleux dû aux cordeliers ; ces religieux, ou plutôt leur provincial s'avisa de faire construire des écuries dans le monastère, et les cordeliers étrangers qui y résidaient blâmèrent hautement cette construction contraire aux statuts. Dans la nuit du 17 août, ils s'assemblèrent et la démolirent. Le bruit réveilla les religieux français, qui accoururent armés de bâtons.

— A mort tous les Français ! s'écrièrent les premiers. Et, fondant les uns sur les autres, ils se livrèrent une bataille en règle, dans laquelle nombre de moines s'assommèrent et se blessèrent. Plusieurs même furent tués. Il résulta de cette lutte meurtrière un tapage qui alarma tout le voisinage. Le roi, averti de ce qui se passait, envoya des soldats pour rétablir la paix, mais on leur refusa l'entrée, les portes furent fermées et ils durent les enfoncer.

Mais en face de la force armée les gens des deux partis qui étaient en présence s'unirent pour résister aux troupes du roi ; malgré leurs efforts, ils furent obligés de se soumettre et quelques-uns, se voyant vaincus, franchirent le mur d'enceinte qui servait en partie de clôture à leur jardin, pour tâcher de s'enfuir. Quatorze d'entre eux furent pris dans les fossés et vingt-six autres dans l'intérieur du couvent ; le parlement les renvoya devant les juges criminels, par arrêt de la chambre du conseil du 26 août ; l'un d'eux, frère Martin de Rosselles, prisonnier à la Conciergerie, pour commotions, rébellion et désobéissance aux ordres des officiers du roi, fut élargi, à la charge par le gardien de le représenter.

Mais d'autres préoccupations vinrent bientôt se répandre sur la ville ; elles étaient causées par la mésintelligence qui divisait les princes de la maison de France, Orléans et Bourgogne, mésintelligence peu apparente d'abord, puis vivement accusée et qui finit par dégénérer en une haine funeste pour tous.

En 1404, le due d'Orléans alla à la tête de 1,500 hommes au-devant du duc de Gueldres qui en amenait 500, et tous deux entrèrent dans Paris avec ces troupes, ce qui déplut fort au duc de Bourgogne qui, à son tour, fit revenir de Flandres 7,000 gens d'armes qu'il logea à l'hôtel d'Artois où il demeurait ; mais alors le duc d'Orléans, pour ne pas rester en arrière, ramassa 5,000 hommes en Normandie, en Bretagne et dans diverses autres provinces ; il en posta une partie aux environs de son hôtel, près la porte Saint-Antoine, et le reste dans les villages des environs de Paris.

Lorsque les habitants virent arriver ces bandes qu'on appelait alors des grandes compagnies et qui étaient composées de malandrins, de routiers, d'écorcheurs, en un mot, de gens de sac et de corde, ne vivant que de vols et de rapines, et offrant plutôt l'aspect d'une troupe de bandits que celui d'une assemblée d'honnêtes gens, ils tremblèrent pour leurs biens et leurs personnes ; et les ducs durent mander les principaux bourgeois pour les rassurer et leur promettre que leurs soldats se soumettraient à la plus sévère discipline.

C'était beaucoup s'engager, et il est probable qu'ils eussent eu grand'peine à atteindre ce but si le roi, la reine et les ducs de Berry et de Bourbon, qui craignaient fort les suites dangereuses de la désunion des deux princes, ne fussent intervenus pour amener un rapprochement. Le duo de Berry les convia à dîner à l'hôtel de Nesle le 14 janvier 1402 et, là, ils finirent par s'embrasser et se jurer une amitié inaltérable. Cela ne devait pas durer longtemps. Dès que les bourgeois de Paris en connurent la nouvelle, ils en témoignèrent toute leur satisfaction et se montrèrent surtout ravis du départ des soldats qui retournèrent en leurs pays.

Le roi se trouva malheureusement dans un état qui inspira de grandes inquiétudes pour l'avenir. On ne pouvait obtenir de lui qu'il se déshabillât, bien qu'il fût couvert d'ordures et rongé par la vermine. Il fallait qu'une douzaine d'hommes déguisés en diables et la figure noircie fissent tout à coup irruption dans sa chambre et profitassent de sa surprise pour se jeter sur lui et le changer de vêtements.

Le duc d'Orléans en profita pour se faire nommer lieutenant général et gouverneur du royaume, et son premier soin fut de décréter de nouveaux impôts, ce qui indisposa fort les Parisiens contre lui. Le duc de Bourgogne bénéficia de ces mauvaises dispositions et mit tout en oeuvre pour se rendre populaire.

Nous verrons bientôt ce qui devait résulter de cet état d'antagonisme qui, bien que latent, ne cessait pas d'exister et ne faisait au contraire que s'accroître, chacun des deux princes travaillant sourdement à amener la catastrophe qui devait tout entraîner.

 


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