Parcs, jardins et squares de Paris
Cette rubrique vous livre les secrets de l'histoire des parcs, jardins et squares de Paris : comment ils ont évolué, comment ils sont devenus le siège d'activités particulières. Pour mieux connaître le passé des parcs et jardins dont un grand nombre existe encore.
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LES TUILERIES
(D'après Tableau de Paris, par Edmond Texier, paru en 1852-1853)


Le palais et le jardin des Tuileries

Une salve de cent et un coups de canon annonçait le commencement de la cérémonie. Le président de la République s'était rendu d'abord dans le salon de l'Empereur, où il avait reçu le, serment de ses ministres, ainsi que celui du vice-président du conseil d'État.

A midi et demi, le corps diplomatique, le corps législatif, le sénat et le conseil

Séance d'ouverture de la cession du Sénat
et du corps législatif, dans la salle des Maréchaux
d'État, qui s'étaient réunis d'avance dans des salons séparés, furent introduits, et prirent place dans la salle des Maréchaux. En avant, et à droite, étaient placés messieurs les sénateurs et à gauche messieurs les députés au corps Législatif.

A une heure, le président de la République, précédé de sa maison militaire et suivi de ses ministres, prit place sur un fauteuil, au milieu de l'estrade ; à droite du prince, et sur un fauteuil inférieur, était placé le prince Jérôme Bonaparte, président du sénat. Derrière, à droite et à gauche, étaient assis ses ministres.
Après le discours prononcé par Louis-Napoléon, le ministre d'État annonça à l'assemblée que messieurs les sénateurs et messieurs les députés allaient prêter individuellement le serment proscrit par l'art. 14 de la constitution, et qu'après la lecture de la formule du serment, chacun d'eux, à l'appel de son nom lèverait la main et répondrait : « Je le jure ! »

Le ministre d'État lut la formule du serment, ainsi conçue : « Je jure obéissance à la constitution et fidélité au président de la République, » et alors l'appel nominal dans l'ordre suivant : le président du Sénat, le premier vice-président les trois vice-présidents ; le grand référendaire, le secrétaire du Sénat ; les cardinaux, les maréchaux, les amiraux et les autres sénateurs, dans l'ordre de leur nomination, prêtèrent aussi le serment.

Le ministre d'État dit ensuite : « Messieurs les députés où corps législatif vont prêter le même serment. » Il appela successivement le président du corps législatif, les deux vice-presidents, les deux questeurs et les autres députés dans l'ordre alphabétique de leurs départements.

Après le serment prêté, le ministre d'État déclara, au nom du prince président de la République, que la session était ouverte pour l'année 1852, que le sénat à le corps législatif étaient invités à se réunir le lendemain aux lieux respectifs de leurs séances pour commencer le cours de leurs travaux.

La salle de spectacle des Tuileries s'illuminait, deux mois plus tard, à propos de la fête de la distribution les aigles. L'inauguration de cette salle date de Louis XIV et de la Psyché de Molière, qui appartient un peu aussi à la Fontaine et à Corneille. Le grand roi y fit jouer Bérénice pour la satisfaction d'Henriette d'Angleterre : Vous m'aimez, et je pars !...

Beaucoup plus tard, Louis XV, monarque assez peu tragique, y appela la danse et les ballets pour ses menus plaisirs, et ceux de madame du Barry. C'est dans cette salle que Voltaire fut couronné pour son Irène qui le mérite si peu, et que Beaumarchais vit jouer pour la première fois son Barbier de Séville. Une ou
deux fois, sous l'Empire, il fut donné à Napoléon d'y réunir un parterre de rois, comme à Erfurt.

La Restauration s'y entoura de ses cordons bleus, et la monarchie de Juillet de ses députés.


Représentation sur le Théâtre des Tuileries,
le 12 mais 1852
A
son tour, Louis-Napoléon voulut s'y asseoir au milieu de ses ministres, de ses sénateurs, de ses conseillers d'État et de ses généraux. Deux cents dames, placées dans la galerie supérieure, formaient une charmante broderie au parterre tout rayonnant d'uniformes.

Disons un mot de description sur la salle de spectacle. A l'exception de la salle des Maréchaux, les pièces n'ont pas ce caractère de grandeur que l'on trouve à Versailles et au Louvre. La salle de spectacle est construite sur un plan ovale ; elle se compose d'un rang de baignoires, d'une galerie et de deux rangs de loges décorées de colonnes d'ordre ionique. De chaque côté de l'avant-scène, la loge dite du roi et la loge de la reine.

On arrive dans cette salle par deux escaliers demi-circulaires qui conduisent à de longs corridors. Le fond des loges est vert d'eau clair ; les colonnes sont peintes en bûche violette, avec des chapiteaux dorés. Aux quatre angles, les bustes des quatre grands maîtres de la scène française, Corneille, Racine, Molière, Voltaire.

Quand on regarde Paris d'une des hauteurs qui le dominent, de Montmartre, de Belleville, du sommet des tours Notre-Dame ou du Panthéon, l'œil cherche en vain, parmi les innombrables détours de la cité géante, un libre espace pour les promeneurs. De toutes parts on ne voit que pierre, marbre et bronze.

C'est une carrière monstrueuse que les hommes on percée à leur usage, et dont ils ne se lassent pas de reculer la formidable enceinte. On voit bien çà et là parmi les noirs bataillons de tuyaux qui se dressent sur les toits, poindre le panache vert d'un marronnier ou d'un tilleul ; mais, hélas ! ces infortunés végétaux ne verseraient pas assez d'ombre pour abriter le berger de Virgile.

C'est un brin d'herbe au milieu d'une vaste fourmilière. Hé quoi ! dit-on alors, ces Parisiens sont-ils donc condamnés au supplice de Tantale ? ne verront-ils jamais que les arbres suspendus aux murailles du Louvre, et devront-ils leurrer leurs ardeurs champêtres avec cette abondante verdure que leur prodigue, chaque année, la palette des paysagistes ?

Rassurez-vous, malins provinciaux, envieux étrangers ! Paris a trop d'esprit et trop de goût, Paris est à la fois trop oisif, trop voluptueux, et trop amoureux du confort, pour ne s'être pas ménagé dans son enceinte, au centre comme aux extrémités, quelques céramiques embaumées où il pût venir débattre, en plein air, les grands intérêts qui lui sont confiés. Il s'est réservé, en différents lieux, de frais enclos, où il a réuni toutes les merveilles des champs, les arbres les plus majestueux, les gazons les plus verts, les fleurs les plus riches en couleurs et en parfums.

Comme le château dont il dépend, le jardin des Tuileries a subi d'étranges vicissitudes ; après avoir été un vaste terrain clos de murailles sordides, où l'œil entrevoyait, dans uni vague pêle-mêle, des bosquets, un étang, une immense volière, une ménagerie et une garenne, il devint, en 1665, grâce à le Nôtre, un noble parterre où les courtisans en grand habit de cour et les belles dames en robes traînantes se promenaient majestueusement au milieu des buis et des ifs taillés par de savants ciseaux.

Puis, pendant la longue éclipse de la royauté, il perdit ses parures surannées, ses ajustements du dix-septième siècle, et prêta aux agriculteurs et aux théologiens de 1793 une allée pour y semer des pommes de terre, et une autre pour y célébrer les fête del'Être Suprême.

En revanche, il fut, en 1796 et pendant les années suivantes, entièrement restauré ; on répara les escaliers qui conduisent aux deux terrasses ; on reconstruisit les bassins ; on planta dans les lieux où l'ombrage manquait, et, pour encadrer le tableau, on substitua au mur d'enceinte les belles grilles qui l'enferment aujourd'hui.

Napoléon, dans un de ces féconds loisirs que lui laissait sa guerre avec le monde, acheva l'œuvre incomplète, en comprenant dans le jardin les espaces angulaires situés aux extrémités occidentales, en faisant élever les murs qui les soutiennent, puis enfin en couvrant d'arbres le sol exhaussé au niveau des terrasses. La Restauration n'ajouta rien à l'enceinte des Tuileries ; le gouvernement de Juillet en retrancha une réserve qu'il s'appropria.

Aujourd'hui les Tuileries n'offrent, guère l'aspect d'un véritable jardin. On n'y trouve ni les accidents pittoresques du Jardin des Plantes, ni les riantes perspectives du Luxembourg, ni les vastes pelouses ombragées du parc de Monceaux. Ce n'est, à vrai dire, qu'une immense promenade sablée et plantée. Ce n'est que cela, et cependant ne trouvez-vous pas que c'est le plus beau lieu de la terre ?

D'abord, pour, le rêveur, est-il sous le ciel un morceau de terre plus historique et plus solennel que ce-lui dont le Louvre et l'Arc de triomphe marquent les frontières ? Est-il, dans aucune capitale de royaume ou d'empire, une perspective comparable à celle que découvre l'œil du fond de ces allées, aujourd'hui pleines de rires d'enfants ?

Quel poème égalera jamais ce spectacle ? Là-bas, au Levant, le Louvre, avec tous ses souvenirs d'amour, de gloire et de massacre ; vieux donjon où

De la Terrasse des Tuileries au Pavillon de Flore
gémissent les prisonniers d'État ; noble palais hanté par les ombres de Henri III et de Diane de Poitiers ; imposantes murailles illustrées par les grands sculpteurs ; balcon sinistre où la cloche de Saint-Germain l'Auxerrois pousse un roi de France, armé, dit-on, contre ses sujets ; majestueuses galeries, le Livre d'or des peintres ; plus près, les carrousels de Louis XIV et les revues de Napoléon ; sous nos yeux, ce fatal château des Tuileries, qui n'a jamais su défendre ses hôtes, quel que soit leur nom, Louis XVI, Robespierre ; Napoléon, Charles X et Louis Philippe, monument du destin aux, sévères enseignements.

Autour de nous, ce rais jardin où le mélancolique enfant qui fut Louis XIII poursuivait les oiseaux d'arbre en arbre, où le fils de Catherine de Médicis pêchait à la ligne dans les étangs ; où jouèrent tour à tour, sous le regard enivré de leurs glorieuses mères cet ange, qui eut un cordonnier pour bourreau, ce demi-dieu qui naquit roi de Rome et qui mourut colonel autrichien, ces princes dont la voix du canon, à quelques années d'intervalle, saluait l'avènement à la vie et le départ pour l'exil.

Enfants qui riez et qui jouez avec une insouciance si heureuse, tendres fleurs que vos mères verront mûrir, donnez une larme à ceux de votre âge que le ciel a fait naître sous le toit de ce palais ; plaignez-les ; car ce dôme superbe distille des ombres funestes.

Et de l'autre côté des Tuileries, quand on a dépassa la grille qui s'ouvre au même endroit où nos père passaient sur un pont tournant ; ce pont qu'un grand homme, un czar - ils aimaient alors la France -, visitait tous les jours avec un bel enfant appelé Louis XV, comme le poème continue, comme la tragédie se renoue avec plus de fureur ! D'abord cette place, qui a été tour à tour nommée du nom de Louis XV, qui y fut roi ; du nom de Louis XVI, qui y fut martyr ; du nom de la Révolution, qui y fut bourreau ; du nom enfin que nous lui donnons aujourd'hui, comme une prudente concession aux principes opposés, qui semblent avoir choisi ce terrain pour champ de bataille.

Au milieu, l'aiguille mystérieuse qui, après a voir vu couler le Nil et passer à ses pieds les pharaons aux yeux bridés, les hippopotames, les crocodiles, assiste à toutes nos fêtes. Quel contraste !

Vous le voyez, et nous l'avons seulement indiqué, il est impossible de rencontrer ailleurs, et dans un si petit espace, de si majestueux souvenirs. Nous allons maintenant prouver que l'observateur peut à son tour, sur ce même terrain, récolter les plus riches moissons, s'initier à tous les petits mystères de la vie parisienne, en surprendre les secrets, les préoccupations, les rêves, les espérances.

A vol d'oiseau, le jardin des Tuileries présente un aspect très uniforme. Au pied du château, le regard découvre d'abord la réserve du roi, avec ses allées soigneusement peignées, ses plates-bandes richement garnies, et ce triste fossé dont un tapis de velours vert et un espalier de lilas ne dissimulent pas assez la profondeur. Vient ensuite la grande voie sablée qui conduit, de la rue de Rivoli au quai du pont Royal, rue banale où personne ne s'attarde, et où l'on ne s'arrête guère que pour prendre l'heure à l'horloge du pavillon central.

Après, se déroule ce qui reste du parterre de le Nôtre, le tout encore largement modifié par les goûts nouveaux ; quelques pelouses d'une herbe fine, luisante,

Les poissons rouges
dont le pied de l'homme ne touche jamais les brins immaculés, mais au soin de laquelle se promène librement l'oiseau cynique et sans façon que le peuple appelle un pierrot ! Autour de ces pelouses, semées pour le seul plaisir des yeux, se développent des encadrements d'arbustes et de fleurs ; bordures revêtues d'un luxe un peu grossier, où le parfum délicat, où les nuances harmonieuses sont trop souvent sacrifies aux grosses couleurs de la palette divine.

Entre ces espaces réservés aux plantes s'ouvrent trois bassins remplis d'une eau qui, peu semblable à celle de Chantilly, dont la voix ne se taisait ni jour ni nuit, ne parle jamais que le dimanche.

Dans ces bassins de marbre frétillent des légions de poissons de la Chine, qui font l'admiration des bourgeois attroupés sur la rive. Il faut être Parisien jusqu'au bout des ongles pour comprendre les cris d'étonnement que, dans leurs étincelantes évolutions, ces habitants de l'onde arrachent aux badauds, et pour sympathiser avec la judicieuse observation si souvent répétée : « Oh ! mon Dieu ! que cela nage bien, un poisson rouge ! »


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