Monuments, édifices de Paris
Cette rubrique vous narre l'origine et l'histoire des monuments et édifices de Paris : comment ils ont évolué, comment ils ont acquis la notoriété qu'on leur connaît aujourd'hui. Pour mieux connaître le passé des monuments et édifices dont un grand nombre existe encore.
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L'Hôtel Pimodan ou Hôtel Lauzun
(D'après Chroniques et légendes des rues de Paris. Édouard Fournier, 1864)

Le fils de Gruyn des Bordes avait, nous l'avons dit, pu sauver cette propriété du naufrage de la fortune paternelle. Comment ? Par ruse, à l'aide d'un prête-nom. Ce n'est pas lui qui figure dans l'acte de vente, mais un pauvre diable dont il s'était fait un homme de paille, le Cordonnier Féret. Il comparut comme vendeur, tandis que M. le duc de Lauzun comparaissait comme acquéreur. Un fils de

Hôtel Pimodan ou Hôtel Lauzun
cabaretier avait fait bâtir l'hôtel, un cordonnier le vendait, n'était-ce pas logique ? On ne s'attendait pas toutefois à voir tant de roture dans l'histoire d'un si noble hôtel.

Lauzun l'embellit beaucoup car il aimait le luxe, et au sortir de Pignerol il s'était trouvé trop riche, faute d'avoir pu dépenser. « La longueur de sa captivité, dit quelque part Saint-Simon, l'a beaucoup enrichi. » Il augmenta encore cette fortune par son bonheur au jeu, et mena un train, d'autant plus magnifique à l'Ile Saint-Louis. Sa mère cependant, vieille huguenote du bon temps, passait la vie la plus austère dans un coin de l'hôtel, entourée de ministres qui voulaient la maintenir dans sa foi, et de prêtres qui voulaient l'en arracher. Pendant que le fils sortait en grand équipage par la principale porte de l'hôtel ; on voyait à certaines heures le père La Chaise, le père Feuillet, de l'Oratoire, Bossuet lui-même, entrer par une porte secrète pour venir catéchiser la vieille duchesse. C'est le père Feuillet qui eut l'honneur de cette laborieuse conversion.

Après Lauzun et sa mère, nous trouvons à l'hôtel du quai d'Anjou la petite-nièce du cardinal Mazarin, l'aimable fille d'Hortense Mancini et de ce bizarre duc de Mazarin, qui, pour la sauver de la perdition, n'avait rien trouvé de mieux que de l'enlaidir à jamais en lui faisant arracher toutes les dents. Il ne mit pas heureusement à exécution cet acte de prudence sauvage. Mademoiselle de Mazarin s'en alla avec toutes ses dents, toutes ses grâces, au couvent des dames de Sainte-Marie, à Chaillot, d'où, en 1682, le marquis de Richelieu vint l'enlever par escalade pour l'emmener à Londres, où elle devint sa femme.

En 1709, le marquis de Richelieu vendit l'hôtel au receveur du clergé, M. Ogier, qui sut enchérir encore sur le faste étalé par les autres. Cette maison, dit G. Brice, qui la vit en 1752, lorsque Ogier l'habitait encore, ne se distingue pas beaucoup à l'extérieur de celles des environs. Les vues qui règnent sur l'Arsenal et sur les Célestins sont assez agréables ; mais les appartements y sont d'une richesse qui va jusqu'à là magnificence :« l'or y est prodigué partout avec profusion. Ce qui fait présumer, ajoute Brice, que le maître a travaillé avec succès pour en acquérir quantité. »

C'est après ce magnifique Pierre-François Ogier que vint le premier Pimodan : « Très haut et très puissant seigneur Charles Jean de la Vallée, marquis de Pimodan seigneur de Passavant, la Chassée et autres lieux, mestre de camp de cavalerie, ancien premier enseigne de la première compagnie, des mousquetaires du roi. »

A la, Révolution, la noble famille habitait encore l'hôtel. Le gendre du marquis, M. de la Viollaye, proscrit par le Comité de salut public, y chercha un refuge. Sous l'hôtel, sous le quai et sous la Seine s'étendent, jusqu'au côté droit du fleuve,

Hôtel Lauzun, 17 quai d'Anjou à Paris

d'immenses souterrains. M. de la Viollaye vint s'y cacher jusqu'au jour où, après avoir été en proie aux plus grandes privations, aux plus terribles inquiétudes, il put s'échapper par l'issue de la rive droite.

Son arrière-neveu, qui tomba si héroïquement en Italie, avait souffert de pareilles angoisses lorsque, prisonnier des Hongrois à Peterwardin, en 1849, il avait eu la crainte d'être fusillé, comme M. de la Viollaye celle de monter sur l'échafaud. L'un fut sauvé par cette fuite heureuse dont nous venons de parler, l'autre par la fin de l'insurrection hongroise.

Le marquis a raconté lui-même, dans ses souvenirs militaires publiés il y a dix ans dans la Revue des Deux Mondes, toutes ses impressions de captif et de condamné, à cette heure qu'il devait croire suprême :

« Je passai, dit-il, toute la soirée à marcher dans la casemate, comprimant les battements de mon cœur et cherchant à me calmer par la pensée que j'étais dans la même situation qu'un officier qui, blessé mortellement dans un combat, sait qu'il n'a plus que quelques heures à vivre. Pendant ces heures, me dis-je, il lutte avec la souffrance, et moi je suis encore en ce moment plein de force et de vie...

J'avais conservé une bague sur laquelle était monté un petit diamant ; je la tirai de mon doigt et j'écrivis sur un des carreaux : Adieu, chers parents, je vais être fusillé ; je suis tranquille et résigné ; je meurs plein de foi et d'espérance. Chère mère, mon seul chagrin est le vôtre. Puis je détachai le ruban de ma croix, afin de le tenir sur mon cœur quand je serais fusillé ; et, m'asseyant sur mon lit, je repassai dans mon esprit les anciens souvenirs de ma famille ; je me rappelai tous les détails de la mort héroïque de lord Strafford, que je n'avais jamais lus sans me sentir saisi d'admiration ; je me jurai de montrer autant de fermeté d'âme que lui. Les espérances que j'avais souvent caressées dans mon cœur, il fallait les abandonner ; mais je pouvais, en ce moment suprême, gagner encore de l'honneur. »

Noble cœur ! il put ressaisir avec sa liberté toutes ses espérances, et cet honneur qu'il désirait pour sa mort à Peterwardin, il l'obtint bien plus beau sous le drapeau de la foi !

L'hôtel du d'Anjou est aujourd'hui la propriété du riche et délicat bibliophile et collectionneur, auditeur au Conseil d’Etat, le baron Jérôme Pichon, qui, le loua pendant quelque temps, à Baudelaire entre 1843 et 1845. Le poète habita au second étage un petit appartement donnant sur le quai et dont le loyer annuel était de 350F. C'est dans ce lieu, sur l'île Saint-Louis, face à la Seine, que lui vint le poème Invitation au voyage. Le Club des Haschischins se réunissait dans l'hôtel de

Hôtel Pimodan ou Hôtel Lauzun
Pimodan, quai d'Anjou : Baudelaire, Nerval, Gautier, Delacroix, Daumier, Balzac y dégustent le « dawamesc ». Le peintre Ferdinand Boissart et Meissonnier fréquentèrent aussi ce club. Dans ce club très spécial, on goûtait à une sorte de confiture, mélasse faite d’un mélange de chanvre indien, de miel et de pistaches et Théophile Gautier écrivait que « sa digestion vous plongeait dans une hébétude délicieuse mais fatale… »

Après l'avoir également loué pendant quelque temps, vers 1844, au Lauzun du roman et de la fantaisie modernes, M. Roger de Beauvoir, M. le baron Pichon est venu lui-même l'habiter, et lui rendre, par toutes les recherche savantes d'un ameublement du goût le plus rare et le plus exact, sa physionomie du beau temps. L'hôtel Pimodan est redevenu vraiment l'hôtel Lauzun ; aussi en a-t-il repris le nom sur la plaque de marbre noir à lettres d'or qui surmonte sa porte d'entrée.

Grâce à M. le baron Pichon, ce beau logis a mérité que M. P. Pâris put dire de lui : « C'est peut-être à Paris la seule maison qui donne encore une idée de l'habitation d'un homme de qualité au XVIIe siècle. »

En 1899, la Ville de Paris l’acheta à Jérôme Pichon pour 300 000 F pour y faire un musée de l’art décoratif du XVIIe siècle. Mais la ville revendit l’hôtel en 1905 au propre petit-fils de Jérôme, Louis Pichon. Celui-ci entreprit la restauration définitive de l’hôtel et le mit dans l’état où il se trouve actuellement. La Ville de Paris le lui racheta en 1928 pour 4 millions de F. Aujourd’hui, l’hôtel de Lauzun sert à des réceptions.


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