Monuments, édifices de Paris
Cette rubrique vous narre l'origine et l'histoire des monuments et édifices de Paris : comment ils ont évolué, comment ils ont acquis la notoriété qu'on leur connaît aujourd'hui. Pour mieux connaître le passé des monuments et édifices dont un grand nombre existe encore.
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HISTOIRE du PALAIS-ROYAL
(D'après Les rues de Paris. Paris ancien et moderne : origines, histoire, monuments, costumes, mœurs, chroniques et traditions, sous la direction de Louis Lurine, paru en 1844)


Les galeries de bois au Palais-Royal

L
es galeries de bois, bordées d'une double haie de boutiques de marchandes de modes, dans lesquelles on apercevait des figures jeunes et jolies, à l'éternel sourire, étaient le lien de prédilection des promeneurs du soir. La foule s'y entassait, sans songer à l'aspect maussade, aux ruines humides, au sol fangeux, aux émanations infectes qu'augmentait encore cette multitude d'hommes réunis sur le même point ; c'est que, là, les séductions se mêlaient plus intimement à la foule. On a maintenant peine à concevoir la liberté du propos de cette époque et l'inconcevable audace du geste et du maintien ; il y avait une espèce de convention lascive dont personne n'était choqué.

Les restaurateurs du Palais-Royal passaient, non sans raison, pour les premiers cuisiniers de l'Europe ; leurs caves avaient les prémices de tous les vins fameux ; le goût, l'élégance et la promptitude du service, ajoutaient encore à ces qualités précieuses. Les cafés déployaient un luxe inconnu partout ailleurs ; des maisons de jeux présentaient à chaque pas les plus séduisantes promesses ; des femmes radieuses de jeunesse et de beauté, brillantes de parure, comme les fées que l'on voit dans les songes, parcouraient les galeries ; d'autres se glissaient dans l'ombre du jardin, partout on rencontrait des sourires, de doux appels, des regards prévoyants, et tout le manège d'une volupté qui verra ruiner ceux qu'elle attaque.

C'était à se croire sous les portiques du harem ou dans les jardins du calife, au milieu des odalisques libres d'aimer et de choisir. Au premier étage le punch illuminait les croisées et ses lueurs redoublaient l'ivresse des sens ; toutes les vitres étaient flamboyantes, et partout éclataient en mille transports divers et sous mille formes, les jouissances, les provocations, le rire, les plaisirs, l'oubli des maux et les plus vives sensations. L'esprit s'égarait et le regard se troublait à suivre ces délices.

Au-dessous, dans les caveaux, retentissaient des bruits de fête ; la s'accomplissaient des prodiges d'adresse, ici le concert était exécuté par des musiciens vêtus en sauvages avec de merveilleux roulements de tambour ; plus loin des ventriloques mettaient au service du persiflage et de la mystification leur art de déplacer la voix ; ailleurs des parades les plus amusantes et partout ces œillades enchanteresses, partout ces almées et ces bayadères dont la dégradation se cachait sous tant de grâces.

Là, aussi, dans les boutiques des libraires, s'établissait l'entretien des lettrés, pendant que de pauvres hères feuilletaient les livres de l'étalage, et happaient sans payer quelques bribes de science. Nous ne savons comment notre pensée, en se reportant sur ce tableau, éprouve des regrets à faire rougir notre mémoire. Ce sentiment, nous l'avons retrouvé chez tous ceux qui se rappellent les galeries de bois, hideux et honteux endroit, remplacé par cette galerie d'Orléans, monument de marbre et de cristal, lumineuse et transparente comme ces palais diaphanes construits par l'imagination. De ce côté, les abords du Palais-Royal étaient formés par d'abominables et étroites galeries aux portes peintes et vitrées ; on s'y précipitait avec délices ; Chevet les embaumait des fumées de ses provisions.

La promenade du Palais-Royal était, pour toutes les classes, un besoin impérieux : le Prince archi-chancelier de l'Empire et ses deux acolytes, y montraient tous les soirs, coudoyés par des gens de la campagne ébahis devant ces miracles.

Le Palais-Royal était alors le centre de l'Europe civilisée ; cet immense et opulent bazar, ce harem toujours ouvert, toujours peuplé, et ce capharnaüm de toutes les dissolutions, tout attirait, charmait et retenait la multitude. C'était là que nos soldats revenaient dépenser l'or qu'ils allaient chercher dans toutes les capitales ; leur insouciante prodigalité dissipait ces trésors en quelques jours, et leurs retentissantes largesses résonnaient en échos tentateurs. Ce fut ainsi que l'invasion de 1814 trouva le Palais-Royal, pour la conquête duquel toute l'Europe s'était coalisée.

Un jeune colonel, en arrivant à la barrière de Clichy, le 31 mars 1814, demanda où était le Palais-Royal ? Tout est compris dans cette question. Il y eut des officiers prussiens si pressés d'arriver au Palais-Royal, qu'ils entrèrent à cheval dans les galeries. Le commerce ne se pique pas de patriotisme ; en un moment et comme par enchantement, le Palais-Royal de Paris offrait, sur toutes les devantures de ses boutiques, les uniformes, les coiffures, la passementerie, les armes et tout l'équipement militaire des nouveaux venus, qui pouvaient se croire a Vienne, à Berlin et à Saint-Pétersbourg : on redoubla d'agaceries pour capter les étrangers ; ils furent ravis et ne songèrent pas à résister à ces prévenances ; ils enrichirent le Palais-Royal, qui était alors à l'apogée de sa grandeur. Les naturels de l'endroit racontent des histoires prodigieuses sur les dépenses que firent les étrangers dans ce paradis terrestre.

Les Cent-Jours donnèrent au Palais-Royal une physionomie turbulente ; après le retour des Bourbons, il y eut de cruelles représailles. Le café de la Paix vit toutes ses glaces brisées à grands coups de sabrés qui n'étaient sortis du fourreau que pour ce bel exploit ; il y eut des duels éclatants et des provocations qui firent quelque bruit. Le café de la Paix, salle de spectacle dans laquelle les représentations paraissaient et disparaissaient, était livré aux filles publiques, qui s'y abandonnaient à de dégoûtants excès ; c'était un horrible spectacle.

D'autres cafés cherchèrent à attirer le public en employant de jeunes femmes pour le service des tables ; il y eut tout-à-coup, entre ces établissements, une émulation de luxe et d'opulence qui pour plusieurs fut une cause de ruine : au

Le Palais-Royal après l'incendie

café des Mille Colonnes, une des belles limonadières était assise au comptoir dans un fauteuil qui avait servi de trône à Jérôme, roi de Westphalie. Le café Lemblin fut pendant quinze ans un foyer d'opposition.

La paix et la tranquillité de l'Europe amenèrent au Palais-Royal des flots d'étrangers qui tous y laissaient des dépouilles opimes ; ces passages produisirent plusieurs années d'une étonnante prospérité. Le duc d'Orléans, qui habitait le Palais-Royal, s'occupait activement de rentrer dans les domaines de sa famille. Un bail qui durait jusqu'en 1804, avait sauvé de la vente nationale la galerie vitrée ; le Prince la reprit ; il revendiqua aussi judiciairement la propriété du Théâtre Français ; on disait alors qu'il échangeait la couronne de France contre un tas de pierres ; il a eu l'une et l'autre.

Les travaux de réparation étaient poussés sur tous les points avec beaucoup de zèle ; les dépendances du Palais s'élevaient dans le plus bel ordre, et remplaçaient partout d'ignobles et immondes constructions. Dans les galeries, les marchands se disputaient la vogue et les chalands en s'avançant à qui mieux mieux vers les passants ; ils écrivaient leurs noms sur les poutres transversales, au plafond, afin de le faire voir de plus loin.

Les architectes du Prince ramenèrent partout la régularité, et il fallut descendre les hautes inscriptions, abattre les ambitieuses devantures, et faire rentrer les boutiques et les étalages dans les limites de l'alignement commun. C'est dans ces travaux que, sous le Palais-Royal que l'on démolissait, on vit apparaître le vieux Palais-Royal, celui de nos aïeux, avec les noms et les enseignes des vieilles hôtelleries autrefois fameuses ; en même temps, les filles publiques étaient chassées des galeries et du jardin.

En 1829, l'achèvement des péristyles et de la grande galerie d'Orléans mit la dernière main aux constructions récentes ; il était impossible de ne pas louer l'ordre de cette riche et correcte architecture.

En 1830, au mois de juin, le duc d'Orléans donna au roi de Naples, son beau-frère, une fête à laquelle le roi Charles X daigna se rendre ; le Palais-Royal, fier de cet honneur insigne, fit des frais considérables pour se montrer reconnaissant de cette auguste faveur. Le peuple était dans le jardin illuminé ; il contemplait la fête qui se répandait dans les allées suspendues au-dessus de la galerie... Tout-à-coup une de ces émotions sans cause et sans but si familières à la multitude se répand dans la foule ; ou franchit les barrières des parterres, on entasse des chaises au pied de la statue de l'Apollon du Belvédère, et l'on allume un bûcher dont le piédestal porte encore les traces. La garde arrive : obéissant aux commandements des officiers, les soldats refoulent et rabattent, comme ils avaient coutume de le dire alors sous un roi chasseur, les citoyens ; l'indignation et la colère résistent ; les flammes et les cris s'élèvent à la fois, on fait plusieurs arrestations.

Dans cette échauffourée qui se termina par un procès en police correctionnelle, et que nous avons de bonnes raisons pour juger sainement, on a vu la préface de la révolution de 1830. Ce n'était pourtant qu'une convulsion passagère, mais qui témoignait du malaise général. Cela se passait au moment où le roi Charles X s'écriait : « Voilà, un bon temps pour flotte d'Alger ! » M. de Salvandy s'était écrié, le même soir : « Nous dansons sur un volcan ! »

En 1830, le 28 juillet, ce fut dans le jardin du Palais-Royal que furent lus, à haute voix, par des jeunes gens montés sur des chaises, les journaux qui parurent malgré les ordonnances. C'est de la qu'on partit pour se rendre auprès des presses qui résistaient aux violences de la saisie.

Pendant les journées de juillet, le Palais-Royal resta muet et désert ; les balles suisses sillonnaient de temps en temps les galeries pour les tenir libres ; le troisième jour, de la colonnade et du balcon du Théâtre-Français, et sur la place du Palais-Royal, le combat fut des plus acharnés. Chodruc-Duclos seul se promenait sous les péristyles, il était là comme Marius sur les ruines de Carthage ; si quelque imprudent se hasardait dans ce lieu périlleux, il l'avertissait charitablement de se retirer.

Lorsque la royauté populaire s'établit au Palais-Royal, ce fut un temps de liesse et de tumulte ; la cour et toutes les avenues du Palais, sans cesse assiégées par la foule qui appelait le roi et par les députations, étaient trop à l'étroit dans cette enceinte, la royauté étouffait dans cette habitation ducale ; elle alla aux Tuileries. D'ailleurs, il n'est peut-être pas bon que les grands de la terre soient vus de si près ; la Régence loin des regards du peuple eût été moins odieuse. Ainsi, Richelieu qui bâtit le Palais-Royal convoita le trône de Louis XIII et usurpa sa

Le Palais-Royal en 1819
puissance, le Régent fut presque roi, et le duc d'Orléans Louis-Philippe monta sur le trône !

Les jeux furent abolis ; ce coup fut mortel à la fortune du Palais-Royal. Ce square, le plus beau qu'on puisse imaginer, a des caractères distincts qui sont autant de traits de la physionomie parisienne. L'espace qui s'étend devant la Rotonde, à l'extrémité nord du jardin, est invariablement consacré aux rendez-vous ; pendant les vacances, tous les départements y affluent, en habit noir et en cravate blanche. A Friedland, on sonnait la charge : deux jeunes officiers marchaient à l'ennemi dans des directions différentes. – Adieu, cria l'un. – Au revoir, répondit l'autre. – Où ça ? - Au Palais-Royal, dans quinze jours, à cinq heures !... – Devant la Rotonde ? – Oui ! – En avant ! Ils furent exacts au rendez-vous.

Lorsqu'avril a fermé les théâtres, c'est au Palais-Royal que les comédiens de toute la France viennent faire grève, c'est-à-dire chauffer leur oisiveté au soleil et chercher de l'emploi ; c'est un chapitre du Roman comique ; il se passe sur des chaises que ces messieurs ne payent jamais.

La coalition des garçons tailleurs se tient debout dans les allées et parle allemand.

La politique n'a point abandonné le Palais-Royal ; approchez-vous de ce groupe de gens qui se sont cotisés pour lire le journal, vous retrouverez dans leurs observations les plaisantes traditions de l'abbé trente mille hommes ; pour leur stratégie, ils impriment sur le sable des fleuves, des montagnes et des routes. Dans ces pavillons qui ont remplacé les parapluies d'autrefois, les femmes qui louent les journaux vous donneront la mesure exacte du degré d'estime que chaque feuille inspire au public.

Le Palais-Royal n'est pas seulement la terre chérie de l'opulence, c'est l'asile de la misère ; elle s'y promène en haillons qui révèlent presque toujours le souvenir d'un sort meilleur ; elle y est affamée et transie ; c'est là que se tient la petite bourse des signatures à un franc le mille. Chodruc-Duclos, le Diogène des galeries, régnait sur ces tribus indigentes sans se confondre avec elles ; le Palais-Royal a perdu en lui une de ses plus regrettables illustrations.

Le jardin du Palais-Royal voit en été se réunir autour des tables du café Foy toute la gent lettrée et la petite fashion du dehors ; sa promenade est fréquentée ; on forme cercle autour de son bassin pour humer la fraîcheur que lance le jet d'eau ; mais le Palais-Royal est triste et languit.

Il s'en va comme tant d'autres puissances se sont en allées !

Voyez le nombre des boutiques à louer, comptez les magasins de tailleurs nomades, qui donnent à ses arcades un faux air du Temple. Il a perdu ses vieux cafés ; le café Valois est fermé, de nouveaux établissements ont succombé sous l'extravagance de leur luxe, et malgré quelques beaux magasins, on se demande avec effroi, si la splendeur du Palais-Royal n'a pas émigré au loin, vers les régions fortunées des nouveaux quartiers.



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