Personnages pittoresques Paris
Une rubrique qui vous invite à découvrir la vie de personnages célèbres ou méconnus ayant marqué l'Histoire de Paris : notes biographiques pour se plonger dans la vie et l'oeuvre de personnalités marquantes de la capitale.
magazine d'histoire, chroniques anciennes, le Paris d'antan, périodiques du passé
de la rubrique
Personnages
CLIQUEZ ICI

LE MARCHAND DE VULNÉRAIRE SUISSE
(D'après Les célébrités de la rue, paru en 1868)

La silhouette dessinée qui accompagne chacune de ces notices rappellera au souvenir du lecteur cet original, connu de tous les Parisiens, et dont le type s'est si bien fixé dans nos souvenirs d'enfant, que nous sommes sûr de l'exactitude de ce croquis gravé de mémoire.

Il errait depuis la rue Saint-Honoré jusqu'à la barrière de Clichy, vêtu d'un ancien uniforme de chevalier de Malte : habit rouge à passepoils d'or, sans épaulettes, chapeau à trois cornes très élevé de forme et à la cocarde tricolore, pantalon blanc à grand pont.

Il portait sous le bras une demi-douzaine de ces longues fioles qui servaient, il y a vingt ans, à mettre l'eau de Cologne, et telles qu'on en voit encore dans quelques vitrines de mercières de la place Royale.

C'était un petit vieillard qui avait dû connaître des jours meilleurs ; sans être très fin de forme, il avait une distinction relative ; je ne voudrais pas être désagréable à Henry Monnier, mais le marchand de vulnéraire suisse avait sa prestance ; ses cheveux, argentés comme ceux de M. Prudhomme, étaient collés sur le front en mèches fallacieuses ; son nez était recourbé, et, signe caractéristique, la moustache assez fournie, était du plus beau noir.

En ce temps d'innocence, j'ignorais les artifices destinés à réparer l'irréparable ; je ne jurerais pourtant pas que la moustache fût teinte.

Ses fioles contenaient simplement de l'eau de Cologne de Jean-Marie Farina, que le chevalier de Malte décorait du nom de vulnéraire suisse. Sous cette dénomination, l'eau de Cologne devenait panacée, et chacun devait s'en munir pour parer à toutes les éventualités. Je dois confesser que jamais, au grand jamais, je n'ai vu le chevalier vendre une de ses fioles. La foule s'arrêtait volontiers, on l'écoutait, il causait bien, on l'approuvait de la voix et du geste, et pas un passant n'achetait.

Le marchand de vulnéraire, tourmenté par la goutte, contre laquelle il avait cependant trouvé un remède infaillible, voyageait volontiers d'un quartier à l'autre de Paris en omnibus ; nous l'avons vu vingt fois, assis sur les banquettes, revêtu de son uniforme éclatant et le point de mire de la curiosité générale, sans trouble et sans gène. Il tirait gravement ses six sous, confiant à son voisin les fioles qu'il portait sous son bras.

Nous avons perdu la trace du marchand de vulnéraire vers 1849 ou 1850 ; il avait à cette époque une soixantaine d'années, il sera mort ou rentré dans la vie privée. Peut-être circule-t-il encore dans la foule parisienne sans ce costume qui le dénonçait aux passants.

Le marchand de vulnéraire suisse méritait une notice plus étendue ; mais il faut, pour ces études, écrire ses souvenirs personnels ou se servir des traditions et des documents amassés. Or, nos souvenirs, relativement au chevalier de Malte, datent de 1848 ; nous avions quinze ans à la révolution de Février, et ne pensions pas à cette époque écrire l'histoire des Célébrités de la rue. Quant aux documents écrits ou dessinés, ils n'existent pas ; je suis sûr néanmoins que tous les Parisiens reconnaîtront ce petit vieillard qu'on s'était habitué à voir circuler dans la foule, paisible, humble, presque triste, qui offrait sans boniment et sans emphase ses longues fioles de vulnéraire sur les places publiques.


 

:: HAUT DE PAGE    :: ACCUEIL

magazine d'histoire, chroniques anciennes, le Paris d'antan, périodiques du passé
de la rubrique
Personnages
CLIQUEZ ICI