Rues et places de Paris
Cette rubrique vous livre les secrets de l'histoire des rues et places, quartiers de Paris : comment ils ont évolué, comment ils sont devenus le siège d'activités particulières. Pour mieux connaître le passé des rues et places, quartiers de Paris dont un grand nombre existe encore.
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RUE RENÉ BOULANGER autrefois RUE DE BONDY
Xe arrondissement
(D'après Histoire de Paris rue par rue, maison par maison, par Charles Lefeuve, paru en 1875)

Notice écrite en 1858. Ancien chemin de la voirie, puis rue des Fossés Saint-Martin et rue Basse Saint-Martin ; rue de Bondy jusqu'en 1944. Origine du nom : René Boulanger (1901-1944), syndicaliste, incarcéré et tué par les Allemands à la prison de Nantes. La rue de Bondy s'est vu enlever ses onze premiers numéros pairs par la nouvelle caserne du Prince-Eugène, l'ouverture du boulevard Magenta et l'élargissement des rues de la Douane et Vieille-du-Temple. Elle a aussi perdu son Château-d'Eau, mais on en a établi un autre devant la caserne, sur la nouvelle place du Château-d'Eau.

Deffieux. – Le Jeu de l'Ambassade. – Le Cte Portalis. – Les Théâtres. – M. de Murinais. – Le 66. – Le Cte de Lariboisière. – La Ctesse Merlin. – Les présidents Rosambo et d'Aligre. – Truchot. – Le Md de Chevaux. – Mlle Laguerre. – La Maison en Loterie. – Mme de Beauharnais. – Le Duc de Chaulnes. – Le Château-d'Eau. – Le Wauxhall.

Lors de l'ouverture du testament de Louis XVI, le chemin de la Voirie, plus tard rue des Fossés-Saint-Martin, puis rue de Bondy, ne se composait encore que de 4 maisons, pourvues le soir d'un luminaire isolé. Une des 48 sections de Paris lui emprunta son nom définitif, sous la première république, quoiqu'il provînt d'une forêt de massacrante réputation.

Le restaurant Deffieux, dont la spécialité embrasse les repas de corps et les noces, n'a quitté le boulevard du Temple qu'en 1853, pour s'installer près la Porte-Saint-Martin. C'est justement à l'angle d'un pâté de maisons appétissant pour cet ogre de Paris nouveau, en train de dévorer à petites bouchées ce qui surcharge l'assiette de l'autre Paris, Gargantua moins vorace, mais sauvé par ce nouveau convive d'une indigestion déjà lourde.

L'établissement Deffieux n'en date pas moins de cent vingt ans ; son local d'à présent est tributaire de M. Romieu, cousin et homonyme du célèbre dîneur, qui a été préfet dans le département des truffes.

Le superbe balcon qui domine la porte princeps a été encombré, les jours où le boulevard devenait un spectacle, par les membres du cercle de Commerce, qui formait la bourgeoise aristocratie de cet îlot de pierres et de moellons, avant de se transférer au boulevard Poissonnière.

Aussi bien le même hôtel à été occupé par le général Schramm, par l'amiral de Bougainville, sénateur du premier empire, par l'ambassadeur de Turquie, et avant ce ministre, vers la fin du règne de Louis XVI, par Capello, ambassadeur de Venise. Le représentant de cette république donnait à jouer tous les soirs ; un pamphlet du temps lui reprochait d'avoir toujours à son service le prétexte de la même migraine, à la même heure, pour se retirer dans ses appartements, sans accorder de revanche aux perdants.

A une époque antérieure, Moreaux, l'un des architectes de Louis XV, maître-général, contrôleur et inspecteur des bâtiments de la Ville, garde ayant charge des eaux et fontaines publiques, avait habité cette maison. En ce temps-là l'immeuble ne pouvait pas encore appartenir au comte Portalis, qui, avant d'être ministre, fut un ingénieux avocat.

Un jour qu'il plaidait en séparation de corps pour la comtesse Mirabeau, la redoutable partie adverse tint à se défendre en personne. Mirabeau se vanta d'avoir eu pour sa femme tous les ménagements, bien que ses mains fussent pleines, disait-il, de lettres qui prouvaient des oublis. – Je vous défie de les montrer, s'écria Portalis. – Alors, je vais les lire, répliqua le bouillant orateur... Le fait est que sa correspondance incriminait la demanderesse ; mais, quand tout en fut divulgué, son avocat reprit la parole : – Après un tel éclat, messieurs les juges, la cohabitation est-elle encore possible ?

Un balcon plus modeste ressort du foyer des acteurs du théâtre de la Porte-Saint-Martin, pièce décorée des bustes de Potier, de Mazurier et de Mme Dorval. Il s'agit du n° 13, qui ouvre d'autre part sur le boulevard. Cette propriété, laissée par un oncle à M. Havin, député, ne faisait qu'une d'abord avec celle du théâtre, qui y conserve à bail ses bureaux et ses loges d'acteurs. Dans une pièce différente, attenante au foyer du public, a vu le jour et a été bercé l'enfant devenu avec le temps historiographe des Anciennes Maisons de Paris.

Les entrepreneurs auxquels avait été confiée l'exécution rapide du plan de Lenoir, quant à la salle de spectacle substituée par destination à l'Opéra incendié, y avaient aussi accolé les n°s, 13, 11 et 9 ; un étage de plus, sur la rue, sert de socle à ces trois maisons, d'abord indivises, dont une autre façade bordé le boulevard, et il a fallu la même cale pour donner de l'assiette à tout le reste de ce qu'on a bâti sur la même ligne.

M. Gournay père a légué à son fils le n° 7, où demeure Paul de Kock, romancier qui n'est plus que populaire, et où a demeuré Frédérick-Lemaître, le plus grand acteur de son temps.

Le 5 et le 3, eux aussi, sont à double porte et presque machinés à portants, comme des coulisses de théâtre ; il y règne, de plus, à l'intérieur, un balcon, dans une cour carrée, qui rappelle la décoration d'une fameuse auberge, celle des Adrets.

Le théâtre de l'Ambigu, fondé par Audinot, tient depuis l'année 1769 la place de l'hôtel Murinais, dont le jardin formait l'encoignure. Le chevalier d'Auberjon Murinais, comme député, attaqua Mirabeau, Philippe-Egalité et Robespierre ; puis, membre du conseil des Anciens, il s'affilia au club de Clichy et, déporté à Sinnamary, il y succomba.

Le n° 96 ne s'éleva pas tout d'une pièce; mais il sortit, sous Henri IV, d'un plan de choux, avec un des ses pareils, qui est encore avec lui côte à côte.

Le 70 n'a surgi, à son tour, dans une des pièces de marais voisines, qui relevaient de la censive du Temple, qu'une trentaine d'années avant la suppression de tous les privilèges seigneuriaux.

Le devant du 68 est de la même génération ; mais il a remplacé une vigne, à laquelle survit, dans le fond, le domicile du vigneron.

Le 66 a fait honneur, pour commencer, au comte de Sechtré, et sa veuve l'a coupé en deux, pour en laisser la moitié à chacune de ses filles, Mme de Rennepont et Mme de Castéja, qui a brillé à la cour de Louis XVI.

M. Worms de Romilly, maire du Ve arrondissement, a acheté l'hôtel du fond, vers 1830, et M. Lecomte, un peu après, s'est pourvu de celui qui sert de vestibule à l'autre : deux étages ont été ajoutés devant et derrière.

Giamboni, banquier de la cour, a lancé dans le monde cadastral une superbe propriété, dont les grands arbres donnent encore de l'ombre à la rue du Château-d'Eau. On y entre par une allée de tilleuls, que décore une statue en marbre de Cicéron, comme s'il avait écrit ses Tusculanes dans cette villa urbaine. La fille du financier de l'ancien régime a vendu l'hôtel, en 1810, au général comte Gaston, de Lariboisière, un des héros de la journée d'Austerlitz.

La femme du général, fille du comte Roy, et que remplace rue de Bondy son fils, sénateur, ancien pair de France, a contribué par ses dispositions testamentaires à la fondation de l'hôpital Lariboisière, qu'on a dit en commençant Louis-Philippe. Les fils du roi avaient assisté aux bals de Mme de la Riboisière, qui étaient magnifiques, mais qui n'avaient pas plus de succès que les soirées musicales données dans le même hôtel par la comtesse Merlin. M. le comte Desaix, fils du général tué à Marengo, occupe l'ancien appartement de Mme Merlin.

Le 64, qui n'a pas sur la rue plus d'une croisée par étage, a fait de naissance partie du même immeuble.

Un cottage garde, au n° 60, ses bouquets de verdure et de fleurs, avec un air de bonhomie sereine, comme avant la Révolution. Un autre grand hôtel touche ce pavillon ; il a été inauguré par le président Rosambo, père ou grand-père de Louis, marquis de Rosambo, qui a porté sa tête sur l'échafaud en 1793, avec l'illustre Malesherbes, son beau-père. Pendant de longues années, M. le baron Taylor a fondé des sociétés de bienfaisance sous l'ancien toit des Rosambo.

Puis vient l'hôtel d'Aligre, dénomination qu'ont portée simultanément le 66, pavillon au bout d'une avenue, et le M, maison à façade sculptée adjugée en 1823 à M. Lavalaise et dont M. Planchat, notaire, jouit maintenant. Ces lieux ont été occupés par Etienne-François d'Aligre, premier président au parlement, décédé en 1798.

Le corps de logis principal a pour auteur le sieur Ferrand, qui avait donné d'un terrain d'environ 30 perches, au lieu dit les Coutures-Saint-Martin, la somme de 25,000 livres à Antoine Jugié, jardinier, et comme l'emplacement était dans la mouvance de Saint-Martin-des-Champs, le prieur claustral de ce monastère avait entériné l'acte de vente.

Vers la même époque, le nommé, Lécluse fit bâtir à la place d'un quartier de gardes-françaises une salle de spectacle en bois, grandie six ans plus tard en théâtre des Jeunes-Artistes : Désaugiers, Martainville et Brazier y donnaient des vaudevilles. Supprimée en 1807, la salle dépouilla sa jolie devanture pour se convertir en maison de revenu. Mme Foignez, duègne en province et veuve du directeur de ce spectacle, où elle a joué avec Juillet, Volanges, Monrose, les deux Lepeintre et Mme Vautrin, a conservé un pied-à-terre au même endroit, c'est-à-dire n° 52.

A l'autre coin de la rue Lancry, un restaurant a ceci de particulier qu'il porte encore le nom de Truchot, devenu le chef d'un établissement rival. Ce transfuge peut dire, au détriment de la maison qu'il a d'abord fondée : Rome n'est plus dans Rome, elle est toute où je suis.

Dupuy, marchand de chevaux, avait acquis au-delà de la rue de Bondy ; lorsqu'elle finissait à la hauteur de celle de Lancry, qui n'existait pas encore, les marais de trois ou quatre jardiniers, placés sous la censive de Sainte-Opportune ; il obtint, le 18 octobre 1770, le prolongement de la rue de Bondy, qu'il avait facilité par un échange de terrain, et puis il divisa sa propriété en 10 lots.

Le père de M. Hortensius de Saint-Albin, conseiller à la cour impériale, s'accommoda d'une de ces parts, et au maître maçon Delafond échut l'emplacement des n°s 32, 30, 28, 26 et 24. Ayant fait de mauvaises affaires, celui-ci eut plusieurs successeurs dans son lot, et l'un d'eux fut Lemaistre, en ce qui regardait les fondements du n° 30.

Bientôt Mlle Laguerre, première chanteuse de l'Opéra, compta le prix de cet hôtel à Lemaistre. Elle l'accrut d'un corps de bâtiment ; à présent celui du milieu, car M. Michel Aaron a ajouté depuis celui du fond. Quelle voix claire que la sienne, quand elle était en voix ! Mais cette chanteuse ne se ménageait guère ; elle brillait de plus de feux que les opéras de Gluck n'en allumaient, et l'ivresse des applaudissements ne lui suffisait pas toujours : on dit que les fumées du champagne la firent chevroter tout un soir dans Iphigénie en Tauride.

Quoique sa vie, au point de vue des plaisirs et de la durée, ait réalisé la devise : courte et bonne, Mlle Laguerre savait compter et garder une poire pour la soif. On trouva dans son portefeuille 800,000 livres en billets de la caisse d'escompte ; elle laissait, en outre, 40,000 livres bien trébuchantes, force bijoux, son hôtel et plusieurs enfants : tout lui venait des plus grands seigneurs.

On peut à plus forte raison regarder comme sienne la fille qui, à la mort du maréchal de Saxe, frère naturel de la dauphine, fut reconnue, à la diligence de cette princesse et de Mme de Chalut, par un, acte de notoriété, comme née du vainqueur de Fontenoy. Grâce à cette adoption posthume, et sans qu'il fût question de sa mère dans le titre qui lui rendait son père, l'enfant eut une position qui lui permit de s'unir au financier Dupin de Francueil, le grand-père de Mme Sand. Quant à la maison de la rue de Bondy, elle n'a pu passer qu'indirectement des mains de la mère de Mme Dupin dans celles de M. Aaron, notable négociant, propriétaire actuel.

Dupuy avait réservé un passage pour les chevaux, dont il faisait commerce, et c'est maintenant l'entrée du café Parisien qui, lui-même, tient la place d'un hôtel édifié par Delafond, acheté ensuite par Mazières, fermier-général et grand joueur, qu'exproprièrent ses créanciers. Le successeur de Mazières fut le marquis de Myons, gentilhomme dont l'émigration fit placer sous séquestre cette propriété, mise en loterie le 29 germinal an II et gagnée par le sieur Roussel, porteur du n° 55,501. Une tradition ajoute que l'impératrice Joséphine, alors Mme de Beauharnais, y vécut quelque temps, bien avant que ce fût l'une des mairies de Paris. Maison démolie pour faire place à une vaste, mais fort triste halle aux demi-tasses !

Comment douter que le 24 ait été le frère utérin du 26 ? Le passage de l'un était béant, bouche de servitude, sur la face de l'autre, remarquable par son escalier et par un balcon sur la cour.

Magnifiques escaliers au 22 et au 20, où logèrent la marquise de Ferrières, le marquis de Folleville et bien d'autres. Au même temps on venait voir le cabinet du duc de Chaulnes, dans celui des hôtels de notre rue qui portait le n° 45 avant 89.

Les maisons de Paris étaient cotées par des chiffres depuis les premiers temps du règne de Louis XV ; mais je ne sais pas à quel bout de la rue de Bondy commençait son premier numérotage.

Elle se confond avec le boulevard entre la rue de Lancry et celle du Faubourg-du-Temple, et le milieu de cette accolade est marqué par le Château-d'Eau, qu'on a inauguré le 15 août 1811.

A ce monument le Vauxhall, qui donnait ses bals près de là, dut souhaiter la bienvenue. Mais le Vauxhall, à cela près, avait déjà dégénéré depuis le temps où l'Italien Torré y tirait des feux d'artifice.

L'exemple de Mme Dubarry, qui était alors au pinacle, donnait de tels encouragements aux jolies filles qu'il y en avait toujours, pour fouler aux pieds l'innocence, du premier au dernier dégré, dans cette coulisse de la Bourse des amours. Les fêtes de Tempé y florissaient en 1782, et elles étaient foraines, entremêlées de farces et d'ariettes. Le prince de Soubise, plus d'une fois, y a flatté le dé de la galanterie, et l'un des meilleurs points qu'il ait amenés était la jeune nièce Mlle Lany, jeune elle-même au théâtre, dont il resta le vieux coquin de neveu pour quelque temps.

La salle de danse, au Vauxhall, était de forme elliptique et au centre d'un arpent et demi d'anciens plants d'artichauds transformés en parc ; un plafond élevé y portait sur de belles cariatides, et deux rangs de galerie tournaient au-dessus d'un café souterrain. L'architecte de ce Vauxhall, construit en 1785, était Mélan ; et le décorateur Munich.

On payait 30 sols pour entrer, et il y avait deux portes : l'une rue des Marais, l'autre rue Neuve-Saint-Nicolas. L'emplacement différait donc de celui de la salle de bal qui répond à la même désignation.


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