Rues et places de Paris
Cette rubrique vous livre les secrets de l'histoire des rues et places, quartiers de Paris : comment ils ont évolué, comment ils sont devenus le siège d'activités particulières. Pour mieux connaître le passé des rues et places, quartiers de Paris dont un grand nombre existe encore.
magazine d'histoire, chroniques anciennes, le Paris d'antan, périodiques du passé
de la rubrique
Rues/Places
CLIQUEZ ICI

RUE DE BOURGOGNE
VIIème arrondissement de Paris
(D'après Histoire de Paris rue par rue, maison par maison, par Charles Lefeuve, paru en 1875)

Notice écrite en 1858. Le 29 nivôse an VI, un arrêté du Conseil des Cinq Cents avait dénommé cette voie rue du Conseil des Cinq Cents. La partie comprise entre le boulevard Saint-germain et la rue de l'Université a été dénommée rue Aristide Briand en 1963. Origin du nom : Louis, duc de Bourgogne (1682-1712), petit-fils de Louis XIV.

Le Duc de Bourgogne. – Adrienne Lecouvreur. – Sainte-Valère. – Le 30 et le 32. - Le 40. – Oudinot. – Mme de Fitzjames. – La Caserne. – Molière. – M. Joly.

Louis, duc de Bourgogne, fils du dauphin, nait à Versailles en l'année où la flotte de son grand-père Louis XIV, qui n'a pas encore dit : Il n'y a plus de Pyrénées, prélude, en bombardant, Alger, aux conquêtes destinées à faire dans la suite un lac français de la Méditerranée. Ce prince grandit, élève de Fénélon ; mais il entre déjà dans sa vingt-cinquième année, il est marié et il a des fils quand le roi, en 1707, ordonne l'ouverture de la rue de Bourgogne entre la rue de Varennes et le quai de la Grenouillère, bientôt d'Orsay, sur des terrains provenant en partie de la communauté des filles de Saint-Joseph, mais principalement du Pré-aux-Clercs.

La mort du dauphin rend le duc de Bourgogne héritier présomptif de la Couronne, en l'an 1711 ; mais il succombe lui-même, l'année suivante, et deux autres coups, mortellement frappés presque en même temps dans la région du trône, font au moins croire à une épidémie princière ; mais partout les familles nombreuses se déciment ainsi, coup sur coup, comme si la mort elle-même craignait l'isolement !

Sous la Régence, on songe à prolonger la rue de Bourgogne jusqu'à la rue Plumet ; seulement le projet en est abandonné après commencement d'exécution. Louis-Joseph de Bourbon, prince de Condé, est autorisé, en 1776, à changer quelque peu la direction de cette voie publique entre les rues de l'Université et Saint-Dominique, pour former devant le palais Bourbon une place demi-circulaire ; mais, entre les deux rues susdites, des constructions régulières ne s'élèvent qu'à la seconde rentrée de Louis XVIII, pour mieux faire cortège à la place.

Il s'en faut toutefois que le palais ait, dès son origine, le même aspect qu'à notre époque. Deux pavillons à l'italienne le précèdent du côté du pont, qui d'abord porte le nom de Louis XVI, et son emplacement, avant que le prince ait décoré d'un si magnifique vestibule cette nouvelle entrée du faubourg Saint-Germain, a été un désert marécageux, tout au plus occupé par des chantiers à l'époque où le quai n'était encore qu'une berge.

Par une nuit bien silencieuse, lorsque déjà Louis XV gouvernait par lui-même, M. de Laubinière y a mis pied à terre, en sortant d'un carrosse de louage, suivi d'une voiture de même. sorte. Trois hommes, par ses ordres, ont creusé furtivement une fosse sur ce terrain humide, et un cadavre dans sa bière a été inhumé en toute hâte, comme pour cacher un crime, à une portée de mousquet de la rivière.

Tels ont été les seuls devoirs suprêmes rendus par un ami à Adrienne Lecouvreur, grande actrice, dont la fin tragique, outre qu'elle était Vouivre du poison, a eu l'intolérance religieuse pour apothéose. Languet de Gergy, curé de Saint-Sulpice, avait refusé l'entrée de l'église et jusqu'à celle du cimetière au corps : d'Adrienne Lecouvreur : le préjugé contre les comédiens était alors en France dans toute sa force, bien que, vers le même temps, Olfieds, célèbre actrice de l'Angleterre, fût enterrée à Westminster avec les rois !

Aussi bien toute la rue de Bourgogne, jusqu'au point où la rue de Grenelle la traverse, n'est encore bordée en 1739 que de murs de jardins et de bâtiments en aile appartenant aux hôtels des rues qui la croisent. Le revers de l'hôtel de Broglie se présente alors sur la gauche, au coin de la rue Saint-Dominique, et aujourd'hui encore le 21, qu'on a refait il y a deux ans, dépend de l'hôtel du comte d'Haussonville, gendre du duc de Broglie. Aussi bien Mme la duchesse de Valmy dispose maintenant, sous la rubrique des n°s 31, 33 et 35, d'un segment de propriété, et l'arc de ce segment est son jardin comme la rue en est la corde.

Le 24 ne comporte encore, lors des trois journées de Juillet, que les communs de l'hôtel de Périgord, qui ouvre rue Saint-Dominique ; mais quand l'église de Sainte-Valère est évincée du territoire qu'elle occupe, dans la même rue, le duc de Périgord cède aux édiles parisiens, moyennant un loyer, de quoi la transférer rue de Bourgogne. Depuis que Sainte-Clotilde est ouverte aux fidèles, Sainte-Valère n'a plus de raison d'être ; mais le curé paie lui-même 5,000 francs de rente à M. de Périgord pour avoir dans l'ancienne église la chapelle du catéchisme de Sainte-Clotilde et la maison de secours des sœurs de charité.

Sur ce plan de Paris en 1739 que nous interrogeons, rien ne se reconnaît des n°s 30 et 32 actuels, qui sont de construction pareille. Mais ne sont-ils pas la couple de maisons jumelles que M. Pasquier se fit ériger, sur le dessin de Trepsat, dans cette rue, en l'année 1772 ? D'autres plans en peuvent tenir compte. Il en est au moins un qui signale comme propriétaire de deux, places, dans le bas de la rue, le maréchal d'Estrées en 1725, et un autre, les hôtels de Conti et de Lignerac, aux encoignures de la rue Saint-Dominique, en 1744.

Celui que nous consultons principalement montre, à deux des angles de la rue de Grenelle, un pan de l'hôtel de Sens et un côté du couvent des Carmélites ; au-delà, il nous fait entrér d'ans ce qu'il y a de bordé de maisons à son époque en la rue de Bourgogne, qui n'a guère d'habitants plus bas à elle seule.

Ainsi le n° 40 était vendu, dès 1719, par Du fillet à François Monchard, directeur de la Compagnie des Indes, puis passait à son fils unique, écuyer, secrétaire du roi, receveur-général dés financés en Champagne, qui cédait en 1773 à Villeminot constructions et terrain, mesurant 496 toises : Quatre ans ensuite, le comte d'Antzy ; propriétaire de l'hôtel voisin, acquérait une portion de laite propriété, tenant par-derrière à l'hôtel du Châtelet.

Enfin, le 14 fructidor, peu de temps après la chute et l'exécution de Robespierre, l'explosion de la poudrière de Grenelle vint faire croire, pour un moment, à la résurrection volcanique du fameux dictateur, et ce fut une secousse immense des deux manières pour tous les habitants de la maison. Celle-ci portait alors le n° 1417 et fut transportée en l'an V par la veuve de Villeminot au citoyen Pérora ; dont la famille est encore propriétaire.

Après cela, voulez-vous voir l'ancien hôtel, du comte d'Antzy ? frappez n° 44. L'adjudication en a été prononcée par l'administration centrale du département de la Seine, 17 pluviôse an VII, au profit des trois frères Trabuchy et de Quinette ; ce dernier, qui n'était en 1808 que préfet de la Somme, a eu pour acheteur, le 16, avril ; ce général comte Oudinot qui avait soutenu à Friedland, avec 10,000 grenadiers, le choc de 80,000 Russes.

Depuis cette journée, qui avait décidé de la paix de Tilsitt, l'empereur avait inscrit le nom du général sur la liste de ceux auxquels il accordait 10à,000 frs pour acheter un hôtel et 100,000 frs sur le grand-livre : l'intention de Napoléon était dès-lors de leur créer un fief inaliénable dit majorat. On sait que la valeur bien réfléchie de celui que Wagram fit bientôt maréchal d'Empire, duc de Reggio, fut avant tout amie de l'ordre public ; la maréchale Oudinot, née de Coucy, passa sous la Restauration dame d'honneur de la duchesse de Berri. Le général, fils du duc de Reggio, habite l'hôtel de son illustre père, dont l'architecture se rapporte à celle du numéro, suivant, bien que, du côté du jardin, elle devienne différente et l'emporte par la majesté.

Le 46 est occupé par une vénérable duchesse, Mme de Fitzjames, née Choiseul, qui a planté un cèdre du du Liban dans le jardin de l'hôtel, étant jeune : cet arbre toujours vert ne tardera pas à être octogénaire. De cette propriété-mère, fondée par le duc de Praslin, s'est probablement détaché l'immeuble précédent.

Les n°s 47 et 49 dépendent encore de l'hôtel de Mme la duchesse de Duras. Le 53, à l'origine, n'avait pas plus d'autonomie. Le 48 a été édifié, sous le règne de Louis XVI, pour le compte de l'Hôpital-Général ; une pension s'y établissait pendant la République ; la duchesse de Damas y résidait sous la Restauration ; la famille de M. le comte de Fermon l'a acheté en 1828.

Un ci-devant quartier de gardes-françaises, le 57 ! Ses murs épais se sont prêtés aux modifications qui en ont fait une de ces ruches dont le miel se butine par terme de loyer ; seulement, pendant qu'on réparait, un jeune cheval anglais qui piaffait dans une écurie, a mis à découvert la bouche d'un puits profond, depuis fort longtemps supprimé, et il a fallu proceder au sauvetage du noble animal.
De cette tradition d'écurie remontons à une transmission, qui n'est pas moins orale, mais qui regarde le théâtre.

On dit que Molière a joué la comédie, étant jeune homme, dans une petite salle antérieure de soixante-dix ans à l'ouverture, de la rue, et qui était placée où se trouve présentement le n° 50. De croire qu'on ait pris la licence de confondre le théâtre de l'hôtel de Bourgogne avec celui auquel la tradition fait allusion, le moyen ! La bévue ne serait-elle pas trop forte ? Il se peut parfaitement qu'un des seigneurs élevés, comme Poquelin, chez les jésuites, ait eu sa petite maison dans ces parages, et notamment Armand de Bourbon, prince de Conti, son camarade de classe.

Le cardinal de Richelieu avait déjà mis à la mode le goût des spectacles à Paris, et il s'était déjà formé plus d'un théâtre particulier, où l'on jouait Rotrou, Desmarets, Corneille et Scudéri, lorsque Poquelin suivit Louis XIII à Narbonne comme valet de chambre-tapissier, en remplacement de son père, l'année 1641. Avant de prendre le nom de Molière, Poquelin revint dans la grand'ville ; il réunit plusieurs jeunes gens avec lesquels il jouait la comédie de société. Bientôt cette compagnie nouvelle éclipsa les autres troupes d'amateurs et fut dite l'Illustre théâtre ; elle donna des représentations rue de Buci, dans un jeu de paume, mais en d'autres endroits aussi. C'est pour sûr à cette époque-là que se rapporte l'on dit dont nous donnons l'écho.

Jean Joly, secrétaire des commandements du prince de Condé, a fait bâtir en 1772 les n°s 50 et 52, en même temps qu'on élevait le palais-Bourbon, et cette simultanéité a porté ensuite les malveillants à croire que les matériaux de son hôtel, touchant aux écuries de la reine, lui étaient revenus à bon compte. Un joaillier fort connu, M. Halphen, a possédé l'un et l'autre de ces immeubles ; mais le 50 avait été par excellence l'hôtel Joly, et l'autre, qu'avaient d'abord occupé des officiers de la maison de Marie-Antoinette, est de nos jours à Mme de Nonjon.

Des provinciaux et des étrangers forment la clientèle de l'hôtel garni de Thionville, depuis plus d'un demi-siècle, au 58. L'hôtellerie antérieurement connue dans la même rue arborait l'enseigne de la Providence et était tenue par Bouten.

Quant au 71, son aspect a changé sous la dernière république ; la première avait vu en lui deux propriétés bien distinctes. Citez-moi une paire d'amis qui puisse dire, de nos jours, avec autant de vraisemblance :

Nunc duo concordes animà moriemur in unà !



:: HAUT DE PAGE    :: ACCUEIL

magazine d'histoire, chroniques anciennes, le Paris d'antan, périodiques du passé
de la rubrique
Rues/Places
CLIQUEZ ICI