Rues et places de Paris
Cette rubrique vous livre les secrets de l'histoire des rues et places, quartiers de Paris : comment ils ont évolué, comment ils sont devenus le siège d'activités particulières. Pour mieux connaître le passé des rues et places, quartiers de Paris dont un grand nombre existe encore.
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BOULEVARD PORT-ROYAL
Vème, XIIIème, XIVème arrondissements de Paris
(D'après Histoire de Paris rue par rue, maison par maison, par Charles Lefeuve, paru en 1875)

Notice écrite en 1858. La rue des Bourguignons existait encore ; elle n'est plus. Le nouveau boulevard de Port-Royal s'en est appliqué : 1° une masure avec un reste de jardin, laquelle viendrait en quatrième, à gauche si le numérotage parlait de la rue Saint-Jacques ; 2° une maison que met au nouvel alignement, sous le n° 26, la suppression d'un jardin qui la précédait. Le boulevard passe au moyen d'un viaduc sur la rue de Lourcine, au niveau de laquelle commençait naguère celle des Bourguignons. Historique : Les rues des Trois Couronnes Saint-Marcel, Cochin, des Bourguignons, des Capucins, de Port-Royal, des Charbonniers Saint-Marcel, des Cendriers, du Champs des Capucins, l'impasse Hautefort et le Champ des Capucins ont été absorbés ou supprimés par ce boulevard. Origine du nom : Voisinage de l'ancien monastère de Port-Royal.

Les Jansénistes. – La Maison de Santé. – Les Convulsionnaires. – M. Carré de Montgeron. – Le Sacrilège. – Les Pénitences locales. – L'Hôtel. - La Petite-Maison. - Les Hatelleries de Faubourg. - Les Gardes-françaises. – L'Ambulance de Vénus.

Le génie élevé de Bossuet, qui à coup sûr fut gallican, ne saurait nuire à celui de Bourdaloue, que les ultramontains de nôtre temps ne sent pas seuls à honorer : Le génie, rapproche les distances, comme la vapeur, qui au XIXe siècle en réalise l'image longtemps cherchée ; il semble que la grâce ait revêtu en lui son expression supérieure à la controverse. Il est vrai que du vivant de Bossuet, ami de Mlle de Mauléon, on hésitait déjà à le classer parmi les jansénistes, malgré son peu d'accord avec les molinistes ; on lui eût volontiers reproché, de part et d'autre, le mauléonisme. Il y avait plus que divergence d'écoles ; deux partis étaient en présence ; si l'un avait pour quartier-général, au cœur du quartier des études, le collège de Clermont, autrement dit Louis-le-Grand, les académies de Port-Royal étaient le centre d'action de l'autre, et tout leur voisinage de s'en ressentir.

La carte de Paris elle-même tenta de rapprocher les deux camps, en prolongeant la rue Saint-Jacques, celle que domina le collège des jésuites, aux dépens de la rue qui faisait suite et côtoyait la maison de Port-Royal. Mais le public religieux et le public lettré n'admettaient pas sans résistance que le faubourg Saint-Jacques se reportât plus haut. Qui pourrait même nier que, pour beaucoup d'entre nous, une barrière se maintient encore entre Louis le-Grand, quoique renouvelé, et les restes de Port-Royal ? Leur querelle aujourd'hui semble éteinte, le feu n'en est que souterrain et laisse à l'industrie le privilège d'attiser le feu des chaudières, où le génie moderne fait cuvée neuve. En tant que raisonneurs, les disciples de Jansénius ont fait faire plus d'un pas à l'enseignement, et, comme église dans l'Eglise, il n'a pas été moins utile que ces rénovateurs vinssent renchérir sur la rigueur des pratiques religieuses, qui tendaient au relâchement.

On pourrait comparer en quelque chose le jansénisme à ces modestes pensions bourgeoises, si nombreuses de nos jours dans le quartier qui a été le sien, et où vivent en commun avec une quiétude monacale, en regrettant au lieu de protester, maints célibataires des deux sexes, vieillards, convalescents et petits rentiers, astreints au même régime sain, économique et réglé par l'ordonnance d'un médecin et par l'état de leur fortune. Les sectaires qui appelaient de la bulle Unigenitus s'étaient fait là, avant ces invalides de la bourgeoisie de Paris, mais à bien plus grands frais de patience et d'esprit, d'éloquence et de savoir, une petite église de santé ; on y protestait moins par conviction que pour avoir une raison de plus de, s'imposer des pénitences, et elles étaient assez sévères pour racheter jusqu'aux fautes du parti.

Hôtel de la Santé, ainsi s'appelait il y a dix ans le modeste n° 35 de cette rue des Bourguignons qui avait mené à Port-Royal. Les balustres de bois d'un petit escalier n'y dénoncent-ils pas une construction antérieure aux querelles du jansénisme ? Avant d'être upe pension bourgeoise, cette maison à jardin a gardé pendant un siècle, de père en fils, une famille de jardiniers-fleuristes, qui avait succédé à Louis-Bazile Carré de Montgeron, acquéreur en 1741 d'une charge de conseiller au parlement. Remontons donc jusqu'à ce magistrat.

Sa jeunesse a été livrée aux plaisirs ; mais, parvenu à l'âge mûr, il appelle, puis il réappelle de la bulle Unigenitus, et passe à l'état de coryphée du jansénisme à l'époque des prétendus miracles opérés sur la tombe du mémorable diacre Pâris. Il est paroissien de Saint-Jacques-du-Haut-Pas, église métropolitaine de l'opposition en vigueur, Saint-Médard ne venant qu'après ; mais il prend à toute heure la rue tortueuse de l'Arbalète, pour assister, rue d'Orléans, dans le cimetière Saint-Médard, au spectacle donné par les convulsionnaires.

Ces énergumènes, que l'exaltation religieuse rend épileptiques par les mérites du saint quand même que Rome refuse de canoniser, se montrent insensibles aux coups et aux piqûres, sans le secours apparent d'un agent anesthésique, et ils bénéficient de guérisons sans douches. Lorsque l'archevêque Vintimille succède au cardinal de Noailles, qui s'était montré favorable, comme un certain nombre de membres du clergé et la moitié du parlement, aux, opinions de Pascal et d'Arnaud, mais non aux frénésies de Saint-Médard, le cimetière transformé par les convulsionnaires en un véritable théâtre est rigoureusement fermé, et Montgeron exilé momentanément en Auvergne.

Dès qu'il peut revenir à Paris, il fait de son humble maison l'asile des fugitifs à la poursuite desquels s'emploie Hérault, le lieutenant de police. Puis, par un beau jour de juillet, en l'année 1737, il se rend à Versailles, présente au roi ex-abrupto son livre, De la Vérite des miracles du diacre Pâris ; il fait ensuite la même surprise au duc d'Orléans, au premier président et au procureur-général. C'est un héros ! disent quelques-uns ; voilà un fou ! s'écrient bien d'autres. Mais Louis XV, qu'a blessé l'hommage du plus bravache des jansénistes, prend un terme moyen en l'envoyant à la Bastille. Sur la demande de sa compagnie, la captivité de Montgeron est commuée en un autre exil ; il peut donc écrire d'autres livres, avant que son corps à Grenoble soit ébranlé par une convulsion suivie de l'éternelle insensibilité.

Au reste, la rue des Bourguignons, dite seulement de Bourgogne par Gilles Corrozet, premier historien de Paris et libraire, avait à se purger, depuis l'année 1688, d'un sacrilège incontesté. C'était alors un chemin sans pavé, qui ne commençait au champ des Capucins qu'à l'endroit où depuis on éleva, signe de réparation durable, une croix de la Sainte-Hostie. Là trois voleurs avaient jeté furtivement, au pied du mur du Val-de-Grâce, toutes les hosties d'un saint-ciboire pris, après effraction du tabernacle, dans l'église Saint-Martin du cloître Saint-Marcel. Une cérémonie expiatoire avait été célébrée audit lieu, et une procession annuelle en rappelait solennellement le jour.

Les constructions de cette rue ouvrière, où chacun avait le droit de travailler pour son propre compte sans maîtrise, étaient en 1714 au nombre de 49, pour la plupart petites ; toutefois elles jouissaient déjà de leurs 7 lanternes la nuit.

Presque toutes ces maisons se reconnaitraient encore, et il en est, plus d'une qui semble avoir repris, en mémoire du crime dont la rue s'est purgée et ne se souvient plus, le cilice de la pénitence.

Celles-là ont fait vœu de pauvreté sans doute, car on s'y chauffe de cendre, au lieu de feu ; leurs fenêtres à coulisses sont des bouches de brèche-dents, qui s'ouvrent et se referment sur d'incessantes grimaces, et dont, la bave de loques éraillées fait imparfaitement l'office des bourrelets. Les locataires de ces bouges sont à coup sûr plus nombreux que leurs meubles ; dès qu'ils ont hérité d'une chaise à quatre pieds, d'un rideau, d'une gravure en cadre, d'un pot à l'eau et d'une seringue, ils exposent bien vite à leur porte ce lot d'objets de luxe à vendre.

Il n'en est pas de même du 27, pensionnat de garçons, qui a été l'hôtel d'une famille Verteuil ou Verneuil, succèdant à la maisonnette d'un jardinier, qui en payait loyer au sieur Mathieu. Les Verneuil, maison noble et originaire de Bretagne, servaient dans les armées ; un des leurs était prêtre et docteur en théologie lors de l'avénement de Louis XVI. Quant au marquis de Verteuil, nous avons vu des poules et des pourceaux vaguer en plein Médoc, dans son, ancien château, le Bourg-Dieu, et nous gardons un savoureux souvenir du produit de ses anciennes vignes seigneuriales, entre Château-Laffitte et Saint-Estèphe, sur la commune de Verteuil. M. Chéri Blanchard a depuis restauré le castel, et ses vins valent ceux de Château-Laffitte.

Presque en face de l'ancienne maison bourgeoise dont nous parlons, s'est formé le cul-de-sac Hautefort vers la fin du XVIIe siècle, sur un terrain appartenant à la famille de Mlle de Hautefort, que Louis XIII a aimée platoniquement. Le chevalier d'Hautefort y avait deux maisons en 1724, avec Charles de Bourbon, comte de Charolais, pour locataire. N'a-t-on pas peiné à croire que ce prince, connu surtout par ses débauches, ait fait choix d'une villa en si bon air dans le but d'y étudier les simples, ou pour se rapprocher des leçons de Port-Royal ? Un assez grand terrain, au fond de l'impasse, est cultivé encore par un horticulteur.

Le 10 et le 12 ont conservé une apparence assez bourgeoise : l'un de ces deux immeubles a vu naître, nous dit-on, M. Allard, naguère le chef de la police de sureté, l'autre a été plus récemment acquis par un portier de la rue de Rivoli. Que Dieu soit loué si sur notre âge de de fer il s'ouvre encore plus d'une porte d'or ! Mais comme il faut qu'on ait graissé le marteau, au lieu de demander tout simplement le cordon !

A l'appel de l'hôtel de Saye, qu'on distinguait près de la rue Lourcine sur la fin de l'ancien régime, nul immeuble ne répond militairement : Présent ! Ce silence nous donne à penser que M. de Saye habita la propriété Hautefort ou celle Verteuil.

Voici, en revanche, une patrouille d'hôtelleries de faubourg, dont le petit détachement est commandé par l'hôtel de Bourgogne, où logent des officiers de la caserne de Lourcine. Cette maison meublée et le n° 4 ont formé un quartier de gardes-françaises ; un hôpital spécial y a même été ouvert à ladite garde, en l'année 1745, par la générosité du maréchal duc de Biron, pour le traitement des maladies de Vénus : le service en était confié au chirurgien Keyser, qui demeurait rue Saint-Louis-en-l'Ile.

Littéralement à l'entrée de la rue, deux bâtiments grognards font sentinelle et ne demandent pas encore à être relevés, bien que la faction puisse compter : l'un, le n° 2, n'a pas cessé de se tenir aussi droit qu'un garde-française présentant arme au maréchal de Saxe ; l'autre, dont les jambes alourdies ne laissent pas, que de plier sous une consigne qui date de deux siècles, reste à cela près fixe au port-d'arme.



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