Rues et places de Paris
Cette rubrique vous livre les secrets de l'histoire des rues et places de Paris : comment elles ont évolué, comment elles sont devenues le siège d'activités particulières. Pour mieux connaître le passé des rues et places dont un grand nombre existe encore.
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RUE DE L'ÉCOLE-DE-MÉDECINE
VIème arrondissement de Paris

(Histoire de Paris rue par rue, maison par maison, Charles Lefeuve, 1875)

Notice écrite en 1859. Monuments classés. Au n° 5 : ancienne académie royale de chirurgie : classement limité à certaine partie, dont les façades. Au n° 15 : réfectoire de l'ancien couvent des Cordeliers, actuellement musée Dupuytren.
Historique : dès 1300, d'après Guillot, c'était la rue des Cordèles (Cordeliers). En 1304, elle est désignée sous les noms de Saint-Côme et Saint-Damien. Avant 1672, c'était la rue Saint-Germain ; de 1672 à 1690, la rue des Cordeliers. En 1790, elle reçut le nom de rue de l'Ecole de Médecine. En 1793, on l'appela rue Marat et en l'an IV, rue de l'Ecole de Santé. Peu de temps après, elle reprit le nom de rue de l'Ecole de Médecine. Une partie de la rue de l'Ecole de Médecine, située entre la rue Dupuytren et la rue du Four, a été absorbée par le boulevard Saint-germain. Origine du nom : voisinage de l'Ecole de Médecine.

Le Collège d'Ainville. – L'École de Chirurgie. – L'École de Dessin. – Le Collège de Burgogne. – Les Prémontrés. – Le Couvent et le Club des Cordeliers. – Marat. – Charlotte Corday. – Histoire d'Une Tourelle. – La Porte Saint-Germain. – Le Conventionnel Legendre. – La Boucherie Saint-Germain – Le Passage de la Treille. – Le Café des Comédiens.

La rue de l'École de Médecine formait aux siècles précédents celle des Cordeliers et celle des Boucheries Saint Germain, dite d'abord Grand rue de Germain.

Près la rue de la Harpe, côté des nombres pairs, était le collège d'Ainville, fondé l'an 1380 par Michel d'Ainville, archidiacre d'Ostrevan au diocèse d'Arras, tant en son nom que comme exécuteur testamentaire de Gérard et Jean d'Ainville, ses frères. Ils avaient approvisionné douze boursiers, y compris le principal et le procureur, dont six à prendre dans le diocèse d'Arras et six dans celui de Noyon : les uns et les autres devaient être de condition libre, âgés de 44 ans au moins, clercs tonsurés, et leur instruction se défrayait jusqu'à la théologie inclusivement. L'hôtel d'Ainville était concédé à cette institution, avec 318 livres 16 sols 10 deniers de rente foncière, à prendre sur les halles et moulins de la ville de Rouen, et avec la maison et la grange dites des Barrois, à Arras dot : que par la suite a grossie l'adjonction de parties de rentes, de maisons et de terres labourables.

La collation aux bourses était dévolue aux doyens et chapitres de Noyon et d'Arras ; mais le pénitencier de l'église de Paris était constitué en même temps visiteur et censeur à perpétuité du collège, aux termes des statuts, confirmés par Americ, évêque de Paris. Deux autres bourses furent dues, en l'année 1733, à la pieuse reconnaissance de l'ancien boursier Louis de Targny, abbé de Saint-Lô, sous-bibliothécaire du roi. Les engagements constitutionnels de la maison étaient exactement remplis en 1762, lors de la concentration des petits collèges à Louis-le-Grand le principal touchait 1, 000 livres et le procureur 900. Le collège était entouré de onze maisons qui lui appartenaient, grevées de cens au profit du chapitre de Saint-Benoît, la rue des Cordeliers en comptait quatre et les autres donnaient rue de la Harpe, rue Pierre-Sarrasin.

Une des deux grandes portes de l'établissement pédagogique se reconnaît dans cette dernière rue elle, est la principale entrée des ateliers de Charnières, fabricant d'instruments de chirurgie. De ce côté, la rue Pierre-Sarrasin reste à-peu-près la même qu'à l'époque où le collège en était maître.

La rue des Cordeliers donnait pour vis-à-vis à cette plantation de futurs docteurs, Saint-Côme, dont l'église et le presbytère étaient dans la censive de l'abbaye de Saint-Germain-des-Près, ainsi que trois maisons, possédées par ladite église, savoir deux rue de la Harpe et une rue des Cordeliers, cette dernière servant alors d'école, tenue pour les filles pauvres par les sœurs de la Charité. La cure de cette petite église, érigée en paroisse l'année 1212, passa en 1345 à la nomination de l'université de Paris ; le bâtiment n'en a disparu qu'au milieu du règne de Louis-Philippe. Ce qu'elle avait, rue de la Harpe, avant l'aliénation révolutionnaire, n'est pas encore démoli, mais ne tardera pas à déblayer, un des vieux carrefours de Paris, qu'agrandissent en fuyant ses angles. Les Romains avaient pu y célébrer eux-mêmes, si près des Thermes leurs compitales ! Mais ces fêtes en l'honneur des dieux domestiques, pourraient-elles se donner dans des carrefours neufs, où chacun n'est que par hasard de son quartier, de sa maison ?

Il restera, par exemple, au n° 5 de la rue un bâtiment polygonal, dont les traditions étaient liées à celles de l'église qui n'est plus, par une longue contiguïté et une communauté patronymique. L'école de Chirurgie sous, la forme d'une confrérie de Saint-Côme et de Saint-Damien fut créée et cet endroit, à la sollicitation de Jean Pitard, chirurgien de Louis IX à l'époque de la création, puis de Philippe Hardi et de Philippe-le-Bel. Tous les lundis on donnait gratuitement à Sain-Côme les soins que l'état des malades réclamait de la médecine, en tant qu'opérations manuelles. De plus, l'an 1437 les maîtres chirurgiens de la confrérie furent admis au nombre des écoliers ou suppôts de l'université, à la condition de suivre les écoles de Médecine ; leur art s'érigea donc en science, et ils furent distingués des chirurgiens barbiers, bien que ceux-ci se contentassent rarement de raser, de saigner et même d'accoucher.

Les premiers portaient le titre de chirurgiens de robe longue les autres n'étaient que de robe courte, et de nombreux procès n'ayant pas assez bien tiré la ligne de démarcation, l’on se fit ensuite, des concessions réciproques, puis, il y eut fusion à des conditions respectivement honorables ; Jean de Précontal ou Pracomtal, premier barbier de Henri III, se trouvait à la tête des barbiers chirurgiens lorsque ce roi prit souci des progrès et de l'honneur, du collège des chirurgiens de Paris, en tenant à la main aux recommandations qu'avait faites François 1er, et que plus tard, renouvela Louis XIII, de n'y garder personne ignorant la grammaire, étranger au latin, ou qui se dispensât du service des malades, le lundi de chaque semaine.

En somme, les barbiers chirurgiens furent eux mêmes admis à titre d'écoliers par la faculté de Médecine ; seulement on leur défendit de se dire bacheliers, licenciés, docteurs, membres d'un collège, eux qui n'étaient reconnus qu'aspirants, que maîtres, que membres d'une Communauté ; les lectures et les actes publics leur furent interdits également. A cela près, il y eut égalité. La société resta sous la direction du premier chirurgien du roi, prévôt perpétuel, et de quatre prévôts électifs ; les aspirants n'y passaient maîtres qu'après un examen subi devant, trois docteurs médecins et une thèse publique, soutenue en latin, dont trois exemplaires étaient remis au doyen de la faculté de Médecine.

L'amphithéâtre anatomique fut reconstruit en l'année 1694, tel que nous le revoyons à l'extérieur, si ce n'est que son petit dôme n'a plus le même couronnement. Belle édition encore pour un distique lapidaire de Santeuil, dont le latin, en général, porte bonheur aux monuments !

Ad caedes hominum prisca amphitheatra patebant,
Ut discant longùm vivere nostra patent.

De l'école de Chirurgie, devenue académie royale, le service hebdomadaire et gratuit, se faisait encore au commencement de la Révolution. Elle avait été transférée par Louis XV à l'Ecole de Médecine, édifice qu'on venait d'élever par ses ordres, de l'autre côté de la rue, spécialement pour la chirurgie. De sorte que le roi put établir, en 1767, dans l'amphithéâtre de Saint-Côme une école de dessin gratuite pour 1500 enfants, qui d'abord s'était tenue au collège d'Autun, rue Saint-André-des-Arts, et qui depuis lors n'a plus changé de place.

Avant l'École de Médecine et, qui plus est, avant l'académie de Chirurgie, le collège royal de Bourgogne avait eu d'autres élèves à la même place. Seulement Claude Boulier, principal, d'accord avec le chapelain et les boursiers de ce collège, reconnaissait en 1736 devoir le cens à Saint-Germain-des-Prés pour plusieurs maisons, sises rue des Cordeliers, rue du Paon et, petite rue du Paon, bâtiments qui n'ont pas en bloc disparu, puisque nous en reconnaissons dans les deux rues du Paon, maintenant rue et impasse Larrey.

Lors de la suppression des petits collèges, qui fut une banqueroute pour les âmes auxquelles ils devaient des messes, mais qui fut une bonne affaire pour l'université de Paris, Claude-Gabriel Moreau, docteur en Sorbonne, principal, et Jean-Baptiste Mignot, docteur en théologie, chapelain, présentaient un mémoire à leurs seigneurs, MM. du parlement, pour satisfaire à l'ordonnance de MM. les commissaires Valette ; Leneveux, Fourneau et D. Gigots, en date du 20 octobre 1762. Cette pièce, qui est encore à imprimer, rappelle que Jeanne de Bourgogne, femme de Philippe-le-Long, légua le prix de son hôtel de Nesles et 200 livres parisis de rente, à prendre sur les profits du sceau de la prévôté de Paris, pour fonder ce collège. Les exécuteurs testamentaires de la reine étaient le cardinal du Bertrand, évêque d'Autun, le père Nicolas de Lyre, cordelier, Thomâs de Savoye, chanoine de l'église de Paris, et le père Guillaume de Vadinq, aussi cordelier. Il y avait provision pour que vingt écoliers étudiassent dans la faculté des Arts, notamment en philosophie : In Logicalibus et Naturalibus duntaxat et non in alia facultate.

La nomination aux bourses appartenait alternativement au chancelier de l'université de Paris et au gardien du grand couvent des Cordeliers ; mais fallait que tout candidat, sufficienté fundatus in Grammaticalibus, eût fait sa rhétorique. Quels étaient en dernier lieu les collateurs aux bourses, qu'on appelait dans tous les collèges MM. Les supérieurs réformateurs ? l'abbé Thiéry, comme chancelier de l'université, et révérend père Barbe, comme gardien des Cordeliers. Le nombre des boursiers avait été réduit, plusieurs fois même les titulaires avaient temporairement cessé de vivre en commun. Les élèves portaient l'habit long. Il y avait, outre les élèves, des locataires étudiants, par exemple l'abbé de Larochefoucauld et M. de Montrond, payant dans leur adolescence son hospitalité au collège royal de Bourgogne, ainsi que des professeurs d'autres collèges et de vieux prêtres, nommément Charpentier, auteur du Glossaire de Ducange, et le susdit Leneveux, ancien recteur de l'université.

De l'École de Médecine font encore partie deux anciens corps de bâtiment, qui n'étaient pas au collège de Bourgogne, et qu'habitent des professeurs, des employés de la Faculté. La veuve de Raymond de Ponson, officier au régiment de Bourgogne, les possédait vers le milieu du XVIIIe siècle, époque où la petite rue du Paon était déjà un cul-de-sac, auquel cette propriété tenait par-derrière. Mme de Ponson l'avait acquise des héritiers et légataires de Philippe de Massac, que son père y avait précédé. M. Cornu, président au parlement, occupait un appartement au-dessus de la porte cochère, qu'avait la maison Ponson sur la rue des Cordeliers. Le roi l'acheta en 1782 pour que, réunie à l'hospice établi par un édit de 1774 à l'école, elle servit d'emplacement aux lits de fondation royale.

Ces bâtiments tenaient aussi à l'église de Sainte-Anne, chapelle des Prémontrés ; fondée au XIIIe siècle, et dont le chœur est transformé en un café, à l'angle de la rue Hautefeuille. Du collège des Prémontrés, qui ne formait que des chanoines pour cet ordre, il reste presque tout l'édifice, dans les deux rues où il fait encoignure. La ferrure, magnifiquement vieille d'un escalier, qui se soude au premier étage à une rampe de balustres en chêne, est tout l'ornement de sa vieillesse avec les dorures enfumées de ce café de la Rotonde, où s'agite la jeunesse éternelle des écoles. L'abbaye de Prémontré était en Picardie.

Des Prémontrés aux Cordeliers il n'y avait qu'à traverser la rue. Dans ce court trajet les étudiants de nos jours croisent beaucoup moins d'antiquaires que de curieux, uniquement poussés des salles d'anatomie au musée Dupuytren, qui pour eux est assez rempli de souvenirs utiles à garder. Arrive-t-il souvent à deux archéologues de se rencontrer au n° 7 de cette rue ? L'escalier de la maison prend jour, par une fenêtre ogivale, sur une petite cour, d'apparence encore monacale, et il y reste encore à déchiffrer sur la muraille assez de noms pour qu’ils ne soient pas tous indifférents à l'histoire des temps et du cloîtres auxquels ils ont la fortune de survivre.

Le grand réfectoire des cordeliers, converti en amphithéâtre, est dans l'axe de la rue Hautefeuille et présente la forme d'une église ; en leur ancien jardin se suivent des pavillons de dissection. Sur la place même de l’École de Médecine s'élevait l'église du couvent, due aux libéralités de saint Louis et rebâtie de 1582 à 1606. Des reines de France, l'historiographe Belleforest, le connétable de Saint-Pol et des Lamoignon y furent inhumés. Au-dessus du cloître, construit en l'année 1683, régnait une galerie, dans laquelle Verniquet fit exécuter par cinquante ingénieurs ou dessinateurs l'immense plan de Paris que le roi avait commandé le 10 avril 1783. Chez les mêmes religieux, sous Louis XVI, également se réunirent du côté de la rue de l'Observance les membres d’une société savante qui a plus d’une fois changé de siège : le Musée de Paris. Derrière ces pans de murs séculaires, où le travail revêt des formes nouvelles, l’étude et l’abstraction furent longtemps mises en comme aujourd’hui l’association déploie 1’industrie des faits et des choses. Mais le fantôme des frères cordeliers s'éloigne et pâlit, dans l'histoire, devant les ombres à jamais menaçantes que leur oppose le club des Cordeliers.

La salle dite ci-devant de théologie où étudiaient les novices, n'a-t-elle pas été émancipée en 1790 par l'éloquence virile de Danton et de Camille Desmoulins, principaux orateurs du club qui s'était constitué au Palais-Royal et qui avait aussi tenu ses séances dans la rue Dauphine ? N'est-ce pas de là que sortait la pétition du Champ-de-Mars qui a demandé la déchéance du roi, le 14 juillet 1794 ? Et le fameux bataillon des Marseillais venus à Paris pour le 10 août de l'année suivante, au chant de la Marseillaise, n'a-t-il pas pris possession des cellules ?

Marat logeait dès lors au premier, étage d'une maison de cette rue, près de l'Ecole de Médecine, bien qu’il ne fût plus le médecin que de lui-même. L'appartement ne lui revenait qu'à 450 francs par an, et la location était faite au nom de la fille Evrard, avec laquelle il vivait. A deux pas de là, dans la cour du Commerce, s'imprimait l'Ami du peuple, journal de Marat, et, demeurait son ami Danton. Une fièvre inflammatoire, déterminant l’éruption d'une lèpre peut-être vénéneuse, finit par l'empêcher d'assister aux séances de la Convention, où Cambon vouait, à son exemple, la Gironde à l'exécration. Aussi Charlotte Corday, qui était d'une famille alliée à celle de Corneille, épia-t-elle en vain pendant toute une séance, du haut d'une tribune publique, l'arrivée de Marat dans cette assemblée, en s'aguerrissant aux clameurs qui ne la détournaient pas de son projet.

Le surlendemain elle pénètre dans l'appartement du tribun ; il est dans le bain, elle le frappe. Aux cris de Marat, un plieur du journal vient trop tard à son aide. L'héroïne terrassée par cet homme se relève, quand la maison est envahie, en se plaçant sous la sauvegarde des membres de la section. Danton l'injurie avec rage ; Chabot et Drouet sur-le-champ procèdent à l'interrogatoire. Puis le corps de Marat est transporté dans l'ancien amphithéâtre de Saint-Côme, où Bachelier, ci-devant peintre du roi et demeuré directeur de l'école de Dessin, fait rendre des honneurs infinis à l'ami, au modèle de son confrère David, et tomber des couronnes, des hymnes, des louanges, comme pour une divinité, sur l'autel dressé au martyr, par ses admirateurs du club des Cordeliers.

Enfin le cœur du tribun, et combien de gens s'étonnent que le monstre en ait un ! est enfermé dans l'urne la plus riche du garde-meuble de la Couronne, encore mieux qu'on le fit autrefois du cœur de Philippe le Long dans l'église même des Cordeliers. Son corps est ensuite exhumé du jardin monastique on le porte au Panthéon. Le revers de la médaille est plus tard, pour l'apothéose, la translation suprême des restes du même homme dans l'égout de la rue Montmartre.

Demandez qu'on vous montre les croisées de Marat, presque tout le monde vous désignera du doigt les jours grillés d'une tourelle hexagone, à l'encoignure de la rue Larrey. Gustave Drouineau a pensé s'y tromper ; il en convient dans un article des Cent-et-Un qui a pour titre : Une Maison de la rue de l'École de Médecine. Mais la place de la baignoire, où le sang coula, sans faire tache, est parfaitement marquée au premier étage du n° 20 le cabinet, où elle était n'a presque pas changé de physionomie. L'appartement en ce temps ci est occupé par le docteur Galtier.

On connaissait la même maison, au siècle XVII, comme hôtel de Cahors, appartenant à Charles Boyer ; seigneur du Péreux, puis à Nicolas de Lutel, contrôleur général de la maison du duc d'Orléans. En 1750, un marchand tapissier, Robert Georget, dit Dubois, y tenait à M. de Vieupont (propriétaire du n°18). Le tapissier laissa ensuite l'ancien hôtel de Cahors au bourgeois Maricourt, son neveu. Mais au moment du meurtre de Marat, c'est-à-dire le13 juillet 1793, l'immeuble était par indivis à Mme Antheaume de Surval, émigrée, représentée par la Nation, et au citoyen Fagnan, liquidateur de la dette publique.

Une tante de Mme de Surval avait laissé à ce dernier, son mari, la jouissance viagère de la moitié, et l'état d'indivision avait seul empêché ce bien, qui ne rapportait alors que 3, 000 francs, tout au plus, d'être vendu aux enchères, comme les autres biens de ladite émigrée ; le propriétaire en avait obtenu le maintien jusqu'à nouvel ordre sous le séquestre national. A la mort de Fagnan, Mme de Surval, dont le nom était rayé de la liste des émigrés, rentra en possession de cette propriété, dont jouit encore M. le baron de Surval. Le revenu s'en est triplé ; mais on y a effectué de grandes dépense.

Pour raser la jolie tourelle, est-ce une raison que la Terreur ne l'ait point faite historique ? Elle parait de si bonne maison qu'il y avait de quoi, n'est-ce pas ? tenter un généalogiste, et pourtant quel silence sur ses antécédents ! Aux voyageurs qui entraient en ville par la porte Saint-Germain, au commencement du règne de Charles V, la bienvenue était souhaitée, dès le premier pas, par cette petite tour, annonçant un nouveau Paris à l’enceinte de Philippe-Auguste. La fontaine des Cordeliers établie à l'autre angle de la rue du Pont après la démolition de ladite Porte, en arrose jusqu'au souvenir, grâce à cette inscription :

L'adjudication de la maison dont la tourelle est le haut-relief se prononça effectivement, en 1791, au nom du procureur Longeau-Dupré. Mais quelle apparence que les ci-devant propriétaires, qui étaient les Riquet, bonnetiers, eussent émigré ! A cette famille, vers le milieu du siècle, donation avait été faite de la propriété par les Guy, exerçant le même commerce, lesquels avaient eu pour vendeurs les héritiers de Jacques Saulnier. Ce dernier était épicier, sans avoir à payer de loyer, au coin où de nos jours se vendent le sucre et la chandelle encore. Les Thumery de Boississe, qui s'étaient alliés aux Flesselles, avaient disposé de la maison avant Jacques Saulnier, sous le règne de Louis XIV ; aussi des droits de copropriété y étaient-ils échus à Jean-Baptiste de Flesselles, époux de Madeleine de Thumery et oncle du prévôt des marchands qui fut l'une des premières victimes de la Révolution. Ces Thumery avaient eu pour auteur Germain-Christophe de Thumery, doyen des présidents, héritier de Jacques de Maubuisson, comme cet avocat l'avait été antérieurement de Mathieu de Fontenay, son aïeul maternel, contemporain de Henri IV.

L'église de Saint Côme n’étendait pas plus loin son périmètre paroissial. Aussi bien la rue des Boucheries, que le commerce rendait des plus passantes, comptait 94 maisons quand celle des Cordeliers n'en avait que 29.Très peu de changements ont été apportés dans la centaine de constructions de la rue dont 1a dénomination était amplement justifiée par 22 étaux de bouchers. Pour y purifier le ruisseau où le sang coulait encore, à toute heure du jour, dans les commencements de l’Empire ; il ne fallut rien moins que l'institution des abattoirs de la Ville.

Il ne parait pas étonnant que le conventionnel Legendre se fût longtemps repu de ce spectacle ; il avait renoncé à l'état de boucher avant de quitter la rue des Boucheries ! Le n° 65 d'à présent abritait ce fougueux démagogue, l'un dès fondateurs du club des Cordeliers. Tout près de 1à se trouvait l'établissement d'un traiteur chez lequel lord Dervent-Waters avait fondé la plus ancienne logé de francs-maçons connue à Paris. Avant 1a Conventiôon, Legendre avait caché, quelque temps son ami Marat dans sa cave. On sait que la sauvage éloquence d'e cet ancien boucher, dont la Révolution avait fait un grand agitateur et qui savait à peine lire, le faisait regarder comme un homme extraordinaire et surnommer le Paysan du Danube.

Le commerce de la boucherie ayant une crise à subir, ce député demanda, le 24 février 1794, que la Convention ordonnât un carême civique pour arrêter la destruction croissante des espèces auxquelles on ne laissait plus le temps de se renouveler. Et ne, fut-il pas jusqu'au bout un voisin serviable et prévenant ? Il légua sons corps en mourant à l'école de Chirurgie.

Il était rare qu'une maison où il se tuait des bestiaux, en cette boucherie Saint-Germain, n'appartint pas au boucher lui-même. Il s'en fallait, pourtant, que tous les habitants y fussent des marchands de moutons ou dès étaliers. Au 76, sur la fin de la Régence, une dame Savin, limonadière, avait bel et bien pour locataires le comte et la comtesse Duguesclin. Un peu plus tard, Thomas-Alexandre Denis de Rianey, capitaine au régiment de Navarre, héritait de sa mère, veuve de Louis Denis de Riancey, maître des comptes, l'immeuble répondant au n° 86. Une autre maison de ladite rue des Boucheries était abandonnée en 1751 par Anne Gaullier, veuve de Réné Buffereau, conseiller en la prévôté d'Orléans, à Gaullier, procureur du roi en la cour souveraine établie à Saumur, et à d'autres parents du même nom, moyennant 600 livres de pension viagère.

Le passage de la Treille, qu'illustraient en s'entrelaçant des vignes grimpantes, et où la foire Saint-Germain attirait de petits marchands, qui louaient des places jusque-là, se retrouve au 97. On y revoit, par-devant, une maison où pendait autrefois l'image du Cardinal Delope, avocat au parlement, la transmit à son fils, maître d'hôtel de Louis XVI. Un receveur des fermes du roi vendait cependant à Claude Letellier, maître sculpteur, peintre et doreur, un bâtiment avec cour et jardin, dont l’accès avait lieu, par cette même allée, aboutissant aux halles de la Foire, et présentement rue Clément. Il y avait là trois propriétés bien distinctes, mais, qu'avait détenues à la fois, cent ans plus tôt, un commis au greffe du Châtelet. Enfin le n° 101 était au bonnetier Poulin.

Nous regrettons de ne pouvoir indiquer qu'approximativement, dans ces parages, un café qui jouissait alors d’une certaine célébrité, outre qu'il égayait la rue.

Directeurs de théâtre et comédiens s'y donnaient annuellement rendez-vous, de quinzaine en quinzaine de Pâques. Dans ce café il a toujours fait sombre, comme dans une salle de spectacle à l'heure des répétitions, et quelles illusions, quelles dissimulations ne favorisait pas là demi-obscurité, dans ce désert peuplé quinze jours par an ! La foire aux engagements pour la province et l'étranger s'y tenait sur parole, et les objets de la consommation, qui là aussi n'étaient que des accessoires, s'éloignaient encore moins de la perfection que la grande majorité des consommateurs. Arrivait-il un directeur ? le nain se grandissait un peu, le géant se pliait en deux ; rien de plus droit que le bossu ; l'ingénue cachait sa grossesse ; la grande coquette, qu'elle avait l'âge des duègnes. De cette façon les rides, les tics et les infirmités n'entraient jamais en scène, qu'au feu de la rampe.

 


 

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