Rues et places de Paris
Cette rubrique vous livre les secrets de l'histoire des rues et places de Paris : comment elles ont évolué, comment elles sont devenues le siège d'activités particulières. Pour mieux connaître le passé des rues et places dont un grand nombre existe encore.
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RUE DU FAUBOURG-POISSONNIÈRE
IXe, Xe arrondissements de Paris
(Histoire de Paris rue par rue, maison par maison, Charles Lefeuve, 1875)

Notice écrite en 1859, avant que la rue du Faubourg-Poissonnière eùt contribué par des sacrifices de maisons au prolongement des rues Lafayette, Maubeuge et Belzunce, à l'ouverture de la rue d'Abbeville et du boulevard Magenta. La barrière Poissonnière était encore au bout de ladite rue du Faubourg.Commençant : boulevard Poissonnière, et boulevard de Bonne Nouvelle, 44. Finissant : boulevard de Magenta, 155. Monument classé. Au n° 121 : lycée Lamartine, salon.
Historique : cette voie a porté, autrefois, le nom de chaussée de la Nouvelle France (1648), puis de rue Sainte-anne (1660). Elle est indiquée sur le plan de Gomboust (1652). Origine du nom : principale rue du faubourg formé en dehors de la porte de la Poissonnerie.

s 2, 9, 11, 13, 15, 30, 32, 38, 60, 101, 103,106, 123, 129, 131, 161.

Montons, par la pensée, au sommet de la porte Sainte-Anne, bâtie sur le Cours de la ville en 1645, et qui empruntait le vocable d'une chapelle peu distante ; interrogeons du regard la chaussée dénommée tout comme, érigée en faubourg à trois années de là, et redisons : – Sœur Anne, ne vois-tu rien venir ? De cette façon reparaissent, avec la route qui poudroie, marais et jardins qui verdoient, au lieu des quatre mille cheminées dont les tuyaux fument, à l'heure du dîner, au-dessus des façades qui meublent actuellement la rue du Faubourg-Poissonnière. Un fossé, des haies et des murs, quelques bicoques de jardiniers, de vachers et de cabaretiers, et Montmartre avec ses moulins, son abbaye n'est-ce pas encore un menu trop frugal pour cette ogresse de capitale ? Elle met toutefois à sa table une rallonge de plus, au milieu du XVIIe siècle, pour avoir sous la main tout ce dessert, dont elle ne réserve pour d'autres festins que le biscuit intact de Montmartre !

Ladite chapelle Saint-Anne s'élève du côté gauche dans la rue de ce nom, plus tard du Faubourg-Poissoiinière, entre la rue d'Enfer, qui sera Bleue, et celle des Porcherons-à-Saint-Lazare, alias Montholon. La paroisse Saint-Laurent a pour aidé cette chapelle, qui reconnaît néanmoins le curé de Montmartre pour pasteur.

Partons de 1726 pour jeter un nouveau coup d'œil sur la voie déjà transformée, et n'y refusons une mention qu'aux échoppes et aux hangars. Le sieur Bizet, limonadier, est dès lors installé où se trouve le café Français à notre époque. Les filles-Dieu ont pour locataires deux maraîchers, exploitant en cultures tout le territoire qui sépare ledit café de la rue de Paradis. Vient ensuite le clos Saint-Lazare, avec l'une de ses entrées. Puis ce sont des terres labourées ; au-delà desquelles une auberge, quoique tenue par le nommé Fructus, ne reçoit pas que des frugivores.

De l'autre côté, sous le n°19 de son temps, la marquise de Pra dispose de trois maisons, dont les dépendances portent le terrain à 1284 toises de superficie, un peu au-dessus de la rue Bellefond, et les n°s 101 et 103 d'à présent, arborant alors le chiffre 15, appartiennent à Bertin, un conseiller au parlement. A celui des deux angles de la rue d'Enfer qui s'éloigne le plus de Sainte-Anne, le jardinier Saulnier se trouve propriétaire ; pourtant le n° 9 de l'époque commence à 4 toises de la même encoignure et en mesure, pour sa part, 1199 ; c'est la demeure de Sanson, exécuteur des hautes œuvres de justice, dont le jardin se prolonge, en l'absence de la rue Papillon, jusqu'à un pavillon, dont jouit aussi le bourreau, et que reverra rue Bleue le XIXe siècle. Quant au sieur Prallasse, chirurgien, à lui la quatrième maison de la rue, sur la même ligne, d'après un plan Manuscrit de ce temps-là, qui ajoute qu' « elle sert au prince Charles. »

Les almanachs royaux ne citent pas ce Prallasse parmi les chirurgiens jurés ; néanmoins nous aimons à croire qu'il saignait, comme le barbier Figaro. Il avait pour Almaviva le prince Charles, qui n'était autre que le comte de Charolais. Cet arrière-petit-fils du grand Condé, qui venait de succéder à Dangeau en qualité de gouverneur de Touraine, avait sa résidence en évidence à l'hôtel de Condé ; nous venons donc de mettre la main, le moyen d'en douter ! sur sa petite maison. II avait alors 26 ans, il était d'une taille au-dessous de la moyenne et déjà gros, avec de grands cheveux blonds, qui lui raccourcissaient encore le cou on le surnommait Courtcollet, comme M. de Turménies. Ainsi fait, il se trouva bien et tellement bien de son premier pied-à-terre en faubourg, qui devait se transformer en hôtel des Menus-Plaisirs-du-Roi, qu'avant même de s'en, séparer il s'en fit disposer un autre, où la galanterie n'entra plus, tant l'amour y faisait bonne garde !

Le même prince du sang, pair de France, y vivait presque avec Mme de Saune, et il avait moins perdu que gagné à l'empire pris sur lui par cette maîtresse en titre dont il eut deux filles, légitimées après la mort de leur père à la sollicitation du prince de Condé. Cette seconde étape avait mené M. de Charolais jusqu'à notre 161, qui rougirait tout de même de ses antécédents, s'ils n'étaient pas des secrets à garder depuis sa conversion en institution de demoiselles. Moins chatouilleuse est devenue la pudeur aux Menus-Plaisirs, qui avaient commencé par être ceux du prince Charles. L'Opéra, y a fait ses répétitions et donné même des représentations, sa salle ordinaire de spectacle ayant été incendiée. Puis Louis XVI a fondé aux Menus le Conservatoire.

Une autre maîtresse de pension s'est arrangée de l'hôtel du baron Dietrich, écrivain minéralogiste et musicien compositeur, commissaire du roi à la visité des mines, des bouches à feu et des forêts. La révolution fit Diétrich maire constitutionnel de Strasbourg ; une adresse, rédigée dans le sens royaliste, lui valut la peine capitale. Son immeuble est maintenant numéroté106.

Le 121, de son côté, paraît n'avoir appartenu à Minet de Pra qu'après avoir servi de villa à la maîtresse de Mansart, alors que le faubourg Poissonnière était encore la campagne. Cette beauté peu scrupuleuse vola à Mansart une ordonnance de 50, 000 livres, destinée à divers paiements, et Louis XIV tira d'embarras son premier architecte en prenant la perte pour son compte. Sous le même toit, M. de Walckenaër, ancien secrétaire général de la préfecture de la Seine, est venu se livrer exclusivement à ses travaux d'écrivain, au commencement du règne de Louis-Philippe.

La plupart des maisons considérables n'ont fait leur trou dans les murs qui longeaient les trois-quarts de la rue que sous le dernier règne de l'ancien régime. A côté d'une habitation de nourrisseur, qui se revoit au 123, un des hôtels de cette génération s'est drapé d'un jardin anglais de 8 arpents, livré au public sous le Directoire à titre de Promenades et Montagnes Égyptiennes ; l'hôtel, à notre point de vue, s'est incarné dans le poète, jurisconsulte, agronome et homme d'État François de Neufchâteau. Une compagnie d'éclairage s'est installée, dès l'année 1819, à la place de cet ancien ministre, dont elle a morcelé, le parc ; mais des employés au gaz couchent encore dans ses salons, qui attendent la démolition. M. Sari, directeur de théâtre, habite un pavillon attenant à cette propriété, de laquelle il a fait partie.

A quelques pas de là, sous la Restauration, a été arrêté le colonel Labédoyère, victime de son dévouement à la cause bonapartiste, en faveur de la quelle pour cette fois le sang plaidait. Plus haut encore, près la barrière, on avait enterré en bloc, dès 1792, le lendemain du 10 août, 500 soldats de la garde suisse, martyrs d'une autre fidélité. Que de représailles à exercer, grand Dieu ! pour les vengeurs qui s'entêtent à maudire la page de leur choix dans l'histoire, au lieu de tourner le feuillet !

Mme Delbarre a acheté, le 5 juillet 1776, du côté de la caserne de la Nouvelle-France, mais plus bas, une portion du terrain que les filles-Dieu avaient cédé quatre ans avant au sieur Goupy, et cette veuve d'un bourgeois de Paris a de la sorte créé l'immeuble adjugé en 1784 à Goix, premier commis de la marine, et revendu par Coulon-Gois, banquier, à M. Jacques Lefebvre en 1827. De cette belle propriété s'est détaché le sol du 58, dont le fondateur a péri en tombant d'un échafaudage, avant l'achèvement de son œuvre. Cet homme, qu'on appelait Garault, fût tombé de moins haut lorsqu'il n'était que savetier en échoppe, près de l'Ecole de Médecine ; mais un de ses cousins, cuisinier de Cambacérès, l'avait poussé jusqu'aux grosses fournitures d'armée.

L'hôtel de Saint-Riquier, tenu par Fontaine, était d'une autre catégorie que ceux de M. Tabary et du comte d'Espinchal, qui avaient eu Ledoux pour architecte aux deux coins de la rue des Petites-Écuries. Ledoux habita même, après un pavillon aux pères de Saint-Lazare, cet hôtel d'Espinchal, qui suivait l'autre dans l'ordre numérique. De son confrère Durand est une maison Lathuille, surgie en l'année 1788, avec un péristyle à quatre colonnes sur la cour et une statue au centre du vestibule. Les hôtels qu'on appelait sous le premier empire Titon et Chéret, n'ont-ils pas porté d'autres noms ? Le premier devait être à la même distance de l'hôtel d'Espinchal que le second de l'hôtel Tabary. L'une des misons précitées compte, à coup sûr, pour la 30me dans notre rue du Faubourg-Poissonnière. Le comte d'Artois n'y a pas négligé l'exemple qu'avait donné en face son cousin et devancier Charolais de Bourbon-Condé. Ce fut aussi l'hôtel Perregaux, dans lequel s'arrêtèrent diplomatiquement les préliminaires du traité de Paris en 1814. Toutefois M. M. Ackermann et Dartigues ont acheté, vers le même temps, ledit immeuble et le suivant, qui est resté à Mme veuve Dartigues M. André tient le premier de M. Ackermann fils, receveur général du Nord.

Sans passer en revue chacune des constructions de l'autre siècle en cette rue, nous pouvons signaler encore les maisons de M. Morel de Chefdeville, contemporain de Mme Delbarre. L'une d'elles occupe le premier coin de la rue Bergère.

Une autre, qui a plus d'importance, est contiguë à celle de l'angle le bail d'un logement au rez-de-chaussée y a été maintes fois renouvelé au profit du savant M. Dumézil.

Le 9 a gardé moins longtemps, et c'était sous l'ancien régime, M. Buffault, secrétaire du roi, receveur général des domaines, dons, octrois et fortifications de Paris, qui devait sa position à Mme Dubarry. Après la mort du roi, son protecteur de seconde main, le crédit de Buffault alla se rafraîchir ailleurs il était échevin, on immortalisa son nom en le donnant à une rue nouvelle. On le préposa, qui plus est, en qualité de commissaire, à la direction de l'Opéra. Comme il avait été dans les soieries, une caricature courut qui le représentait mesurant les entrechats à l'aune, comme si c'était une étoffe, dans la salle des Menus-Plaisirs. Sa femme, bourgeoise de qualité, qui tenait un bureau d'esprit, était, en outre, fort belle personne ; la petite-vérole l'attaqua en 1777, et si elle n'en était pas morte, le chagrin d'en rester gravée l'eût emportée plus cruellement encore ! Buffault avait-il convolé ? En tout cas une Mme Buffault de sa façon avait tenu rue Saint-Honoré un magasin de modes, à l'image des Traits-Galants, et Mme Dubarry, au début de sa carrière, y avait été apprentie.

Sur le même point de la rue Sainte-Anne deux maisons, dont une grande avec jardin, avaient appartenu aux enfants Fornat en l'année 1737.

Mme Allard, entretenue par le duc de Mazarin, était habitante de la rue, une trentaine d'années plus tard. Elle tenait dès lors l'emploi de première danseuse à l'Opéra, tout comme la Guimard, et elle avait été précédemment danseuse seule à la Comédie-Française, dans les ballets qu'y composait Allard, premier danseur. Ses appartements superposaient un étage à un autre, entrecoupés d'une mezzanine, espèce d'entresol, dont l'amant de cœur gardait souvent la clef. Le premier des Vestris connus, né à Florence et se disant lui-même diou de la danse, eut de Mme Allard un fils, qui fut élevé avec soin sous le nom d'Auguste Vestr'Allard. Ce jeune homme n'obtint la permission de s'appeler comme son père qu'après s'être montré à dix-huit ans, par le génie héréditaire de la danse, digne de passer un jour Vestris second.

Le compositeur Chérubini, qui fut pendant dix ans directeur du Conservatoire, eut sa dernière demeure au n° 19. Le vaudevilliste Brazier habitait le 4 en 1831.

 


 

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