Rues et places de Paris
Cette rubrique vous livre les secrets de l'histoire des rues et places de Paris : comment elles ont évolué, comment elles sont devenues le siège d'activités particulières. Pour mieux connaître le passé des rues et places dont un grand nombre existe encore.
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RUE DE TOURNON
VIe arrondissement de Paris
(Histoire de Paris rue par rue, maison par maison, Charles Lefeuve, 1875)

Notice écrite en 1861. Commençant : rue Saint-sulpice, 19. Finissant : rue de Vaugirard, 24. Monuments classés : au n° 4 : ancien hôtel de Montmorency avec, pour les parties communes, la porte monumentale sur rue avec ses vantaux, les façades (sur rue, cour et jardin), le vestibule (passage cocher), l'escalier d'honneur et, pour les parties privatives, les appartements du rez-de-chaussée sur jardin, du premier étage sur jardin, du deuxième étage sur rue et l'appartement du deuxième étage sur jardin ainsi que certaines pièces de l'appartement du premier étage sur cour et sur rue (les deux antichambres - l'entrée et la rotonde -, la pièce entresolée et le salon donnant sur la rotonde, et la chambre principale faisant suite à ce salon). Au n° 6 : ancien Hôtel de Brancas (façades et toitures sur rue, cour et jardin, portail d'entrée, escalier, salon et boudoir). Historique : elle fut successivement dénommée : Ruelle Saint-Sulpice, ruelle du Champ de la Foire (1517), rue du Marché aux Chevaux et enfin rue de Tournon (1541). Un arrêté préfectoral du 26 février 1867 lui avait donné le nom de rue du Sénat.
Origine du nom : François de Tournon (1489-1562), cardinal français ; homme d'Etat, abbé de Saint-Germain des Prés ; voie ouverte sur le territoire de l'abbaye de Saint-Germain des Prés.

Clément Marot. – Le Petit-Bourbon. – Le Maréchal d'Ancre. – Le Duc de Bellegarde. – Les Ambassadeurs extraordinaires. – Le Duc de Nivernais. – Laplace. – Terrat. – Lamartiniere. – Saint-Aignan. – Théroigne de Méricourt. – Jules Janin. – Mlle Lenormand. – Maire. – Mme d'Houdetot. – Le Marquis d'Entraigues. – Mallet du Pan. – Joseph II.

Il s'élevait peu de maisons auprès de celle dont François Ier fit présent à Clément Marot ; elle avait pour enseigne le Cheval-d'Airain, et en effet le roi y avait fait couler un cheval en bronze. Est-ce là que le poète, en donnant à dîner à Diane de Poitiers, manqua aux lois de la sobriété un jour maigre ? Clément Marot n'avait plus à commettre que cette faute, jugée impardonnable par Diane de Poitiers, pour que d'autres griefs se formulassent et le fissent enfermer. L'Enfer, description du Châtelet, satire contre les gens de justice, mit les rieurs du côté du poète ; mais, rendu à la liberté, il arracha lui-même un autre prisonnier des mains de la force armée et il se montra de nouveau très partisan d'innovations en matière de religion. Plusieurs fois arrêté, plusieurs fois mis en fuite, il abjura pourtant entre les mains du cardinal de Tournon. Ce prélat, cet abbé de Saint-Germain-des-Près donnait au même temps son nom à la rue de Tournon, jusque-là ruelle de Saint-Sulpice ; dite aussi du Champ-de-la-Foire à cause de la foire Saint-Germain. Le Cheval-d'Airain s'y trouvait à la place que remplit à présent le n° 27.

Louis de Bourbon, duc de Montpensier, fit construire un hôtel auquel une portion de la rue Saint-Sulpice actuelle dut d'être appelée du Petit-Bourbon ; sa veuve y reçut la nouvelle de l'assassinat du duc et du cardinal de Guise, dont elle était la sœur. Aussi bien des rumeurs, promettant la vengeance à cette princesse indignée, se firent écho sourdement, dans les conciliabules de la Ligue. N°s 2 et 4, rue de Tournon, il ne subsiste rien de l'ancien Petit-Bourbon à l'extérieur ; mais une écurie, souterraine, qui s'est rattachée à une autre, paraît d'une construction antérieure aux façades, qui ne remontent qu'au XVIIIe siècle. Là, sous Louis XV, menait son train un hôtel Montmorency. Faut-il y voir également un ancien hôtel Palaiseau, lequel appartenait à François de Béthune, duc d'Orval, pair de France, tout au commencement du règne de Louis XIV, puis à Jean de Donon, seigneur de Palaiseau, qui vendit au comte François de Bartolin ou Bartolet, seigneur de Puizolle, amateur connu d'objets d'arts ? M. de Palaiseau y était mitoyen avec un Châtillon. A l'expiration du même règne il y avait aussi, même rue, une propriété, à la disposition de Moneins, comte de Trois-villes, sans que nous puissions dire au juste ce qui en reste.

Pas d'incertitude, en revanche, sur la place où l'historiographe doit évoquer plus haut sur la même file, Concino Concini, maréchal d'Ancre. Voltaire dit de ce fils d'un notaire de Florençc, qu'il fut premier ministre sans connaître les lois du royaume, maréchal sans avoir tiré l'épée. N'avait-il pas commencé sa fortune en épousant la fille de la nourrice de Marie de Médicis ? La disgrâce et la mort violente de Concini firent mettre à deux reprises son hôtel au pillage, opulente maison s'il en fut.

Point de pitié pour la maréchale d'Ancre, qu'on arrêtait ne demandant qu'à fuir ! Il restait à flétrir d'une condamnation régulière la mémoire de l'un, en dressant un bûcher pour l'autre. Louis XIII, à son retour de la Savoie, se rapprocha quelque temps de la reine mère, qui résidait au Luxembourg, en habitant lui-même l'hôtel d'Ancre, confisqué, mais concédé à M. de Luynes, ainsi que les châteaux d'Anet, de Lésigny et d'autres biens du favori si vite remplacé.

La maison de ville devint l'hôtel des Ambassadeurs extraordinaires, sous la direction du duc de Belle-garde, grand-écuyer de France, qu'Henri IV et Louis XIII avaient comblé de faveurs, mais le premier peut-être pour se faire pardonner de lui avoir enlevé la belle Gabrielle. Chaque arrivée d'un nouvel hôte y était signalée par un jour de gala, mettant en jeu tous les ressorts d'une étiquette pleine de magnificence, et pour la ville il y avait spectacle, sur le parcours annoncé du cortège, tant les honneurs de la bienvenue ressemblaient à ceux du triomphe !

Grande surtout fut la solennité, sous le règne de Louis XIV, pour les entrées du duc de Schrewsbury, ambassadeur extraordinaire et grand-chambellan. de la reine de la Grande-Bretagne ; de M. de la Vieuville, bailli, grand-croix, ambassadeur extraordinaire de l'ordre de Malte ; des ambassadeurs du tzar de Moscovie et de ceux du roi de Siam. Le service des cérémonies amenait le représentant du monarque étranger à l'hôtel des Ambassadeurs, où il était complimenté de la part du roi par le premier gentilhomme de la chambre ; puis un autre jour était pris pour la présentation au souverain.

Mehemed-Effendi, ambassadeur de la Porte, occupa moins passagèrement, sons la Régence, cette grande maison de la rue de Tournon.

Puis Mancini Mazarini, duc de Nivernais, donna l'hôtel Pontchartrain en échange de celui-là, que Peyre l'aîné restaura. Poète au milieu des camps, le duc faisait des fables ; il occupa le fauteuil académique de Massillon et il fut ministre. Sa seconde femme, née de Brancas, veuve du comte de Rochefort, cultivait elle-même les lettres ; elle mourut vingt-six jours après son second mariage. Le comte de Gisors, gendre de M. de Nivernais, avait été tué à Orevelt et il avait laissé une très jolie veuve, ainsi que nous l'atteste un portrait dont elle a gratifié son médecin, Théophile de Bordeu. Par exception, a été donnée à M. de Nivernais la satisfaction de mourir dans son hôtel, à 82 ans, le 23 février 1798. Le conseiller d'État chargé du contentieux des Domaines nationaux remplissait sous l'Empire cette superbe demeure, qui devint en 1814 l'habitation de la duchesse douairière d'Orléans et qui, depuis 1830, sert de caserne à la garde municipale.

La maison occupée, moins avant dans la rue, par le docteur Ricord et par la librairie Renouard est aussi de princière, apparence. Les libraires Bossange et Masson étaient propriétaires de l'immeuble à l'époque où M. Renouard quitta la rue Saint-André-des-Arts pour celle de Tournon. Le géomètre Laplace y demeurait, étant sénateur. Les relations d'amitié qu'avait antérieurement contractées ce savant avec Bonaparte, son collègue à l'Institut, l'avaient fait un moment ministre de l'intérieur, après le 18 brumaire ; il n'en fut pas moins pair de France et titré marquis, au lieu de comte, sous la Restauration. Le Dictionnaire des Rues de Latynna mentionnait en 1816 la propriété dont il s'agit comme ancien hôtel Montmorency-Laval, plus anciennement Brancas. Le règne de Louis XVI, en effet, y trouva le duc de Brancas ; mais Bugnet, intendant de M. de Creil, conseiller d'État, et de la duchesse de Beauvilliers, avait acquis en 1752 ledit hôtel, tenant à l'hôtel Montmorency et à la maison Saint-Aignan ; l'un des vendeurs de Bugnet avait été Lanfernat, comte de Villars ; Chauvel, grand-bailli d'Orléans, et d'autres.

Chauvel avaient été auparavant propriétaires, ainsi que J. B. Geoffroy Petit de Saint-Lienne, acquéreur sen1719 au prix de 391, 863 livres. Le créateur avait été J. B. Terrat, marquis de Chantosme, chancelier du duc d'Orléans, le régent de France. Les Terrat, adjudicataires du terrain en 1656, y avaient eu pour prédécesseur Nicolas Renouard de Chanteclair, e le chancelier avait pris Bullet pour architecte. Seulement l'hôtel Terrat, bien avant de passer Brancas, avait été à ferme l'académie royale, de Lamartinière, magistral écuyer, dont la méthode est encore dans les manèges le modèle de l'école française. Cette institution, à l'usage des jeunes gens de la noblesse, était du nombre de celles qui faisaient de l'équitation l'élément principal de l'éducation.

Entre l'académie et l'hôtel des Ambassadeurs, Guy Chartraire de Saint-Aignan, conseiller au parlement de Dijon, fit construire une maison moins importante sur l'emplacement, de l'hôtel Ventadour, qui lui avait été donné en l'année 1716 par sa sœur, épouse de David, lieutenant particulier au bailliage de Semur, elle-même cessionnaire de Nicolas de Jassaud, président, en chambre des comptes. Ce dernier avait pris la place du prince de Rohan-Soubise et de sa femme, une Ventadour. La propriété était louée à Langlois, fermier général, quand. M. de Saint-Aignan léguat ses biens à Chartraire, marquis de Ragny, après lequel vint, le bourgeois Garnier, puis Mlle d'Orsan, fille majeure puis Jean Dulau-d'Allemans, curé de Saint-Sulpice.

L'héroïne révolutionnaire Théroigne de Méricourt, locataire dans cette maison au moment où les titres de Sire et de Majesté étaient enlevés au roi par un décret de l'Assemblée, formait chez elle une sorte de club, où brillèrent Danton, Camille Desmoulins et Fabre d'Églantine ; elle avait eu, dès le commencement de la Révolution, un autre salon et un autre boudoir dans la Chaussée-d'Antin, et Talma y avait été l'un des premiers à se passionner pour cette virago luxurieuse. Aussi bien la section Mucius-Scaevola, qui était celle du Luxembourg, se distingua particulièrement dans les soupers fraternels qui eurent lieu les 1l, 12 et 13 mai 1793 ; et la rue de Tournon l'emporta entre toutes, par la largeur des tables y dressées, par le fumet du pot-au-feu civique et par l'égalité d'appétit, qui supprimait une distinction de plus. La principale, dirait Jules Janin. Mais ce disciple de Brillat-Savarin est encore plus gourmand d'esprit, plat qu'il excelle à apprêter lui-même, que d'agapes à bouche que veux-tu. Il habitait, sous Louis-Philippe, l'ancien logement de Théroigne, ou l'appartement contigu. La déesse hystérique de la Liberté, qui ne s'était servie de sa popularité que pour pousser à de cruels excès, avait fini à la Salpêtrière n'était-elle tombée en démence qu'après avoir joué tout son rôle de Jeanne d'Arc de la Terreur ?

Une autre femme, au contraire, fit fortune au n°5 de la rue, où elle vécut d'abord avec Hébert, démagogue fameux, dit le père Duchesne, et où elle passa jusqu'à son dernier jour en 1843. C'était une devineresse en renom, Mlle Lenormand. Des révélations compromettantes avaient entraîné son incarcération, sous la République ; mais ses prédictions à Joséphine s'ébruitèrent, une fois réalisées, et elle ne manqua de tirer les cartes à aucun des grands personnages de l'Empire. Non contente de sibylliser, en se disant somnambule éveillée, la pythie du faubourg Saint-Germain publiait, çà et là des écrits, pour achalander le trépied.

Une publication qui nous inspire plus de confiance et d'intérêt, une Topographie de Paris, que Blaire a dédiée à la duchesse de Bassano, s'éditait en 1813 chez l'auteur, n° 7 même rue.

La famille d'Houdetot reste propriétaire du 12, le dernier domicile de la comtesse d'Houdetot, que l'amour a rendue célèbre un demi-siècle avant sa fin. Cette maison, reconstruite par l'architecte Neveu, qui demeurait là sous Louis XVI, était au XVIIe siècle le grand hôtel d'Entraigues. Le petit de même souche répond au chiffre 14. Balzac d'Isliers, marquis d'Entraigues, les transirait à son fils et à son petit-fils, qui épousa Anne de Rieux. Les créanciers de certain sieur Rousseau, qui avait acheté en 1699, transportaient quarante ans après la propriété tout entière à Bergoignon, simple traiteur.

Dans la maison qui suit a demeuré le publiciste Mallet du Pan ; il rédigeait alors la partie politique du Mercure de France, addition faite à cette publication par Panckouke, et 8, 000 francs par an lui étaient assurés. Mallet ne s'est montré l'ennemi déclaré des innovations qu'au moment où elles ont franchi outrageusement et cruellement les limites du droit, du bon sens, du respect humain. Une visite domiciliaire, lorsque s'est répandue la nouvelle de la fuite du roi, a été faite chez le journaliste, qui a repris la plume avec vigueur, après deux mois de silence obligé, pour ne la plus quitter, même en exil.

D'où vient le nom de l'empereur Joseph II, servant d'enseigne à un hôtel garni, de l'autre côté de la rue ? Il parait étonnant, n'est-ce pas ? que le frère de Marie-Antoinette soit descendu de son auguste pied dans cet hôtel d'étudiants. Néanmoins nous regardons la chose comme très probable. Joseph II était un souverain si philosophe qu'il alla voir des fois Jean Jacques Rousseau, sans que la visite fût le moindrement annoncée, et le surprit copiant de la musique. Il tomba également à l'improviste chez Buffon, qui s'en voulut toute sa vie d'avoir reçu en robe de chambre l'empereur. Dans ses voyages, Joseph II aimait à se faire appeler le comte de Ralkenstein ; mais il lui eût été bien difficile de garder à Paris cet incognito au moment du mariage de sa sœur. C'est peu de temps après que l'hôtellerie se mit sous les auspices du Saint-Empire.

A cette époque un autre-hôtel garni, situé moins haut, s'appelait de Valois ; le cabinet d'estampes de M. d'Héricourt y attirait les curieux.

 


 

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