Rues et places de Paris
Cette rubrique vous livre les secrets de l'histoire des rues et places de Paris : comment elles ont évolué, comment elles sont devenues le siège d'activités particulières. Pour mieux connaître le passé des rues et places dont un grand nombre existe encore.
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PLACE VENDÔME
Ier arrondissement de Paris
(Histoire de Paris rue par rue, maison par maison, Charles Lefeuve, 1875)

Notice écrite en 1880.Monuments classés : aux nos 1, 3, 5, 15, 17, 23, 2 à 6, 12 à 20, 26 et 28 : façades et toitures. Aux nos 7-9 : ancien hôtel de l'état-major de la Place et du Gouvernement militaire (façades). Aux nos 11-13 : Ministère de la Justice (façade). Aux nos 19-21 et 25 : Crédit Foncier. Colonne Vendôme.
Historique : elle a été appelée place Vendôme dès le XVIIIe siècle ; c'était plus anciennement la place Louis le Grand et, à l'origine, la place des Conquêtes. On lui a donné le nom de place des Piques pendant la Révolution et de la place Internationale en 1871. Origine du nom : créée sur l'emplacement de l'hôtel de Vendôme.

Circonvolution locale et historique.

Aux deux extrémités de la rue Neuve-des-Petits-Champs sont la place des Victoires et la place Vendôme, qui n'ont pas que ce trait d’union. Ne peut-on pas les dire sœurs ? L'aînée sur la cadette n'avance que d'un petit nombre d'années et le dessin en émane du même Mansart de plus, deux figures du grand roi les apparient, à l'origine, et les premiers occupants des hôtels qui s'enguirlandent sur l'une et sur l'autre ont également des noms à comparer.

La place des Conquêtes, autrement dite des Victoires, où se font les publications de paix, comment e trouve-t-elle habitée, dans les dernières années du règne qui a donné de cette façon deux pôles à une nouvelle, sphère parisienne ? Si nous commençons à main droite, en partant de la rue Croix-des-Petits-Champs, le tour de la place des Victoires le cercle de ses propriétaires va se décrire comme il suit : Crozat, Cormery, le fermier général Hénault, Prudot, Pomponne, Clérambault, Nivet, Roland, dame Pelet, dame de Mailly, Raquin, dame Normando, Jérémie, dame Pelet, Legras.

L'autre place, pourvu qu'on la passe en revue dans le même sens de la rue Saint-Honoré à la rue Saint-Honoré, donne pour les trois premiers, de ses hôtels le trio que voici : Delpech, Aubert, La Fare. Saluons, avant de passer outre, dans le marquis de La Fare un maréchal de France, frère d'un évêque et fils d'un poète, qui lui-même aurait pu produire d'excellents états de service militaire. Celui-ci a aimé Mme de Caylus et M1le de la Sablière, auxquelles il a adressé la plus grande partie de ses poésies légères, que nous avons toujours vues imprimées, avec celles de son ami Chaulieu.

Une place à bâtir sépare encore La Fare d'Hertault, et un autre arc pareillement est vide entre Hertaultet Boffrand, contigu à Nocé là finit le premier hémisphère de la place.

Inutile de vous présenter Germain Boffrand nous remettons trop souvent sa signature sur des façades pour que la connaissance ne soit pas faite. M. de Nocé est premier gentilhomme de la chambre du régent.

La seconde moitié du cercle commence par un lot en expectative d'édifice. Un des frères Çrozat, financiers, dispose subséquemment de deux hôtels. Est-ce le duc Antoine-Charles de Gramont qui réside à l'hôtel d'après, ou bien le marquis de Grammont, lieutenant général ? Pas l'un avec l'autre, car ils sont de deux, familles différentes : celle d'origine franc-comtoise porte au milieu de son nom un m de plus que celle de la Basse-Navarre. Le fermier général Villemarais, son confrère Luillier et Jules Hardouin-Mansart, avec x, pour un ou deux lots vacants, nous complètent le pourtour de la place octogone. Le même Mansart, deuxième du nom, a donné le modèle des façades, uniformément décorées d'un grand ordre corinthien en pilastres, qui comprend deux étages, et de lui seul est tout son hôtel ; mais il ne faudrait pas lui attribuer jusqu'au dernier gradin de cet amphithéâtre d'appartements qui respirent l'ambition. Boffrand a bâti sa maison en 1703, et pourquoi serait-ce la seule de sa façon ? Deux autres au moins ont pour auteur Bullet.

Le projet de Louvois était d'abord de faire carrée cette superbe place Louis-le-Grand, qu'eussent encadrée les grandes académies, la Bibliothèque du roi, l'hôtel des Ambassadeurs extraordinaires et la Monnaie. A cette fin avait été acquis un hôtel que la fille du duc de Mercœur avait apporté en mariage à César Monsieur, titre porté de son vivant par le duc de Vendôme, fils légitimé de Henri IV et de Gabrielle. Or la duchesse de Mercœur avait fait ériger ledit hôtel, en 1603, à la place de celui des ducs de Retz. Le couvent des Capucines avait changé de place, afin d'arrondir celle que la démolition de l'hôtel de Vendôme rendait disponible, et les travaux étaient en bonne voie, avant que la mort du ministre Louvois en motivât la suspension. Les prévôt et échevins en reprenaient l'exécution, huit ans après, en conséquence d'une concession royale, mais sur un plan réduit et modifié, qui fermait par des pans coupés les angles du carré primitif pour le ramener, à une forme octogone irrégulière. La statue de Louis XIV avait été inaugurée en grande cérémonie, le 13 août 1699.

Il n'y avait à cette date que des façades sans maisons sur la place et toutes ne jouaient pas la pierre avec du bois et de la toile peinte, à la façon des décorations de théâtre ; plus d'une était déjà du haut en bas ce que nous la voyons. Elles avaient l'air de ne se tenir droites, comme un gigantesque paravent, que grâce à des angles formés par leurs chassis incomplètement ouverts. Chacune des maisons de la place peut encore se démolir de fond en comble sans qu'une seule pierre tombe de sa façade, qui forme avec les autres façades une œuvre collective de Mansart, un tout dont il est défendu de défigurer les parties. Les particuliers dont nous venons de faire l'appel n'en avaient pas moins élevé des maisons à leurs frais sur des lots de terrain mis en vente par la Ville.

Dès le principe, on se logeait plus à l'aise place Louis-le-Grand que place des Conquêtes, et l'on y jouait de plus grands personnages. Jetons un coup-d'œil sur la population que d'autres générations y ont amenée dans ses propres carrosses depuis le règne de Louis XIV.

Le marquis de Bourgade, sous le règne suivant, était propriétaire de l'hôtel étrenné par M. Delpech, au coin de la rue Saint-Honoré. M. Le Peletier de Saint-Fargeau, conseiller au parlement, fils d'un contrôleur des finances, a succédé de plus près encore à Aubert, dans ce qui est maintenant l'hôtel du Rhin, avant qu'y demeurât sa fille, devenue princesse de Chimay et nommée en 1758 dame pour accompagner Mesdames. Cette femme d'esprit, qui jouait avec passion, aimait à-peu-près tous les jeux elle était surnommée à la cour dame de Volupté, après la charmante comtesse de Vérue et elle ne mettait de moitié dans son jeu M. Daigreville, sous-lieutenant de chevau-légers, que si la veine était favorable, sauf à faire des économies, dans le cas contraire, avec une manière d'abbé, M. de Talleyrand-Périgord, aumônier du roi. Le conventionnel Le Peletier de Saint-Fargeau, neveu de cette princesse de Chimay, vota la mort du roi sans appel et sans sursis, mais fut bientôt assassiné en ville par un ci-devant garde du corps. On exposa son corps ensanglanté sur le piédestal même d'où avait disparu la statue de Louis XIV, et le cortège de ses funérailles défila sur la place Vendôme, dite en ce temps-là des Piques.

L'ancien hôtel Lafaré, pan coupé sud-est de la place, était habité avant la Révolution par la Beauvoisin, qui a ruiné le financier Saint James. Les héritiers de Mme de Beaumont, sous Louis XVI, avaient des droits sur le 14. L'immeuble mitoyen appartenait alors au marquis de la Sonne ; il est échu plus tard, à Deserre, quelque temps directeur du théâtre de la Porte-Saint-Martin. M. Dainval, contemporain de La Sonne, possédait le 18, vendu postérieurement par la baronne de Feuchères à la famille Aguado de Las Marismas ; il avait pour second voisin M. de la Gardé. M. de Curzay, après Boffrand, mais avant le financier Magon de la Balue, a joui de l'hôtel actuel de l'état-major de la garde nationale. Tous les matins il y a table ouverte chez le général marquis de Lawoëstine les officiers de service audit état-major et quelques-uns de leurs soldats au choix déjeunent avec le Commandant en chef.

Cette table d'hôte citoyenne aurait fait, sous le premier empire, une terrible concurrence au restaurant de la place Vendôme. Billiotte et Berly le tenaient, dans une propriété qui avait dû appartenir aux religieux jacobins de la rue Saint-Honoré, vis-à-vis de la Chancellerie, où le grand juge résidait alors. Un libraire-éditeur et un marchand de tapis ont été établis depuis au rez-de-chaussée et Mme, Garenne, marchande de modes, trône encore du premier étage. L'indication commerciale qui la concerne survit à une période de tolérance révolutionnaire ; mais elle n'est pas d'ordonnance, elle contrevient à la règle imposée, pour l'uniformité de la tenue, à tous les côtés de la façade polygone. Aussi bien les jours sont comptés de cette enseigne, qui va disparaître. Ne semblerait-il pas, à première vue, que le même palais règne tout autour de la place ? Le gouvernement de l'État ne s'y réserve qu'une partie officielle, tout comme au Moniteur, et le premier venu des millionnaires peut y avoir ses fenêtres aussi bien que l'e garde des sceaux ou le commandant de la Ier division militaire. Les hauts barons de la finance ont toujours vu figurer un des leurs, pour le moins, dans ce monde à part, qui fait beaucoup d'affaires et qui reçoit aussi bien une mercière retirée qu'un ancien notaire, mais qui tient à distance le commerce en activité. Il est vrai que des gens du peuple trouveraient eux-mêmes aussi difficilement une mansarde à louer place Vendôme qu'aux Tuileries.

Par exception, la foire de Saint-Ovide attira des marchands et le peuple autour de la statue de Louis le Grand, quelques années de suite, Le Saint-Père avait envoyé dès 1666 le corps de saint Ovide , au couvent des Capucines, où l'exposition de cette relique attirait beaucoup de monde chaque année, le jour de la fête du saint. Des marchands en ayant profité pour encombrer de leurs étalages les abords de l'église, une ordonnance de police les avait obligés en 1764 à s'établir sur la place même, dans des baraques en planches, et la foire du même coup s'était organisée. Elle commençait le 30 août, et comme elle avait, non contente de ses bateleurs, deux troupes de comédiens forains, son tapage ne finissait pas avant minuit. Odieuse promiscuité pour des hôtels qui ne briguaient aucun genre de popularité ! Aussi transféra-t-on à la place Louis XV le champ de foire, sur la plainte des habitants de l'autre place leur crédit l'emportait sur celui des marchands et des saltimbanques intéressés à ne pas déménager.

Depuis que les capucines avaient quitté l'emplacement qui provenait de l'ancien hôtel de Retz, et qu'elles tenaient de la duchesse de Mercœur, la façade de leur église faisait suite à la rue Neuve-des-Petits-Champs ; mais elle regardait assez la place Vendôme pour faire partie de sa décoration. Les religieuses avaient pris possession dès l'année1688 du monastère dont cette église dépendait, et les maçons avaient été moins vite en besogne autour de la place même.

Il y restait encore quelques lots à vendre, sous la Régence ; le contrôleur général s'en rendit acquéreur, et l'agiot de la rue Quincampoix changea de quartier général. Le marché aux billets prenait ainsi les devants sur le marché forain pour attirer, des foules bruyantes à la porte du chancelier, qui s'en formalisa, ainsi que ses voisins, et le fait est que la cupidité mettait aux prises avec le système encore moins de grands seigneurs que de coquins de bas étage. On obtint que ce nouveau genre de commerce allât jouir de son reste à l'hôtel de Soissons. La déconfiture s'ensuivit, et le financier inventeur, qui avait su donner une valeur incroyable à du papier, n'échappa que par la fuite à des porteurs d'actions, en voulant à ses jours. L'hôtel qu'il avait habité sur la place fut vendu par ses créanciers, en 1728, à M. de Boulogne, premier commis des finances, intendant des ordres du roi.

Lancret, Watteau, Boucher enrichirent alors de peintures, qui se sont conservées, les appartements dans lesquels M. Boucher, trésorier général des finances d'Amérique, succéda à M. de Boulogne, puis M. de Montbreton à M. Boucher. Le dernier de ces propriétaires tenait de part et d'autre à la comtesse de Coigny et à M. Dornay, dont les propriétés respectives avaient été sous le même séquestre que la sienne.

Aussi bien des hommes à citer ont habité l'ancienne maison Dornay (n°21) : 1° Joubert, trésorier des États du Languedoc, formateur d'un riche cabinet d'histoire naturelle ; 2° L'Héritier de Brutelle, savant botaniste, enfermé dans sa propre maison sous la Terreur, mais pouvant encore se promener avec deux gardiens sur la place où l'herbe poussait de toutes parts, ce qui lui a permis d'écrire sa Flore de la place Vendôme ; n°3 Ferdinand Berthoud, horloger mécancien, de la marine et membre de l'Institut, qui est mort en 1807 dans cet hôtel ; 4° le marquis de Méjanes, grand bibliophile et ancien syndic de la noblesse de Provence.

Au logement du président de la Chambre des députés a été affecté assez longtemps le n° 19, où le maréchal de Broglie avait eu pour prédécesseurs le comte da Cunha, ambassadeur de Portugal, et un Bouillon, comte d'Evreux, colonel général de la cavalerie légère, gouverneur de l'Il-de-France. Celui-ci, à qui Law donna 800, 000 livres du comté d'Évreux, avait épousé la fille d'Antoine Crozat, marquis du Châtel, qui avait fait construire par l'architecte Bullet ledit hôtel, à côté de celui qu'il habitait. La comtesse d'Évreux, avant que de se marier avait accepté la dédicace de la Géographie de l'abbé Le François, laquelle n'a jamais eu d'autre raison pour s'appeler Géographie de Crozat. Le père de la comtesse cessa de vivre en 1738. Il avait été receveur des finances de Bordeaux, privilégié du commerce de la Louisiane et trésorier de l'ordre du Saint-Esprit.

De toutes les maisons de la place, celle occupée par Crozat du Châtel avait été achevée la première le peintre Mattéi en avait décoré la galerie en l'année 1703. La célèbre collection de tableaux et dessins qu'un des fils d'Antoine fit graver, fut léguée par lui à son frère, le marquis du Châtel, en 1740. La comtesse de Béthune, qui était née Crozat, comme la maréchale de Broglie, possédait quarante ans après, ledit hôtel, dont les Schikler jouissent à notre époque, et qui a gardé un jardin. Du temps de Mme de Béthune, le Lauzun du XVIIIe siècle était locataire de l'aristocratique habitation transformée aujourd'hui en barreaux du Crédit-Mobilier.

Les traitants Villemarais et Luillier et le sous-traitant Poisson de Bourvalais furent saisis dans leurs biens, en 1717, faute de paiement d'une taxe imposée à leurs malversations en chambre de justice, et deux des hôtels qui leur appartenaient devinrent par ce retour à l'Etat, siége de la Chancellerie, préfecture de Paris sous le Directoire et le Consulat, puis résidence du grand-juge. La société d'Agriculture, a tenu sa première séance en l’an VI, dans cette préfecture de paris, dont a repris possession la Chancellerie, qui ne faisait pas encore qu'un seul département avec le ministère des cultes ;

Saint-Amand, fermier général, si la justice révolutionnaire lui fut encore plus rigoureuse, a pour consolation posthume de se voir remplacé, dans l'immeuble adjacent, par un des plus beaux hommes et des plus haut placés en ce temps-ci, le maréchal Magnan, commandant la Ier division militaire. L'intendance de la liste civile, au moment de la révolution de Février, occupait encore cet ancien hôtel du maréchal d'Estrées, qui avait appartenu au comte d'Évreux et auquel avait travaillé Bullet.

L'état-major de la place de Paris a pour siège une maison en pan coupé que s'est édifiée Mansart en l'an 1703, et où depuis ont séjourné M. Le Bas de Montargis, garde du Trésor royal, M. de la Grange y demeurant porte à porte avec le comte de Durfort, et le célèbre girondin Vergniaud. L'abandon où était tombée la place des Piques n'empêchait pas cinq ou six députés d'y demeurer.

Le prince Corsini et les comtes Venturi et Fossombrini avaient à leur tour des croisées sur la place Vendôme quand fut inaugurée, le 15 août 1810, la colonne de la Grande Armée le socle mutilé de l'ancienne statue n'avait pas encore disparu quand Napoléon avait conçu le dessein d'élever à la même place le plus triomphal monument du monde. Quoi de plus national que cet immense trophée ! Puisse ne jamais venir le jour où il en sera refait des canons !

A l'époque où la place Vendôme s'en enrichit, il y avait n° 1 une maison de jeu autorisée, mais aristocratique à sa manière le peu de monde qui la fréquentait n'était reçu que sur des cartes d'introduction distribuées avec discernement.



 

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