Rues et places de Paris
Cette rubrique vous livre les secrets de l'histoire des rues et places de Paris : comment elles ont évolué, comment elles sont devenues le siège d'activités particulières. Pour mieux connaître le passé des rues et places dont un grand nombre existe encore.
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RUE TIRECHAPE
(Histoire de Paris rue par rue, maison par maison, Charles Lefeuve, 1875)

Notice écrite en 1864. Le n° 16 de la nouvelle rue du Pont-Neuf est maintenant tout ce qui reste de l'ancienne rue Tirechape.

Tous les lundis, avant la grande révolution, les marchandes à la toilette tenaient un marché sur la place de Grève, au nord de l'Hôtel de ville ; on l'appelait marché du Saint-Esprit, à cause de l'hôpital dudit nom, fondé en cet endroit au XIVe siècle et démoli en 1798. La misère, la saisie et la mort aidant, jamais la place ne chômait de garde-robes de hasard ; à vendre jusqu'aux dernières chemises ; mais on y étalait aussi de riches toilettes, que la comédie, le souper et d'autres plaisirs avaient fripées la veille, la prudence et la coquetterie commandant de les renouveler au profit de l'amour, aux frais de la jalousie.

Les marchandes du Saint-Esprit ne se contentaient pas d'attirer l'attention sur ce luxe de rencontre en débitant à qui voulait 1’entendre : – Voici, ma petite dame, des dentelles qui ont coûté les yeux de la tête à la présidente d'Hennin, et plus encore au président ; voilà une robe de Mlle Duthé, qui sent son prince à quinze pas ; cet éventail vient d'une ambassadrice, et voulez-vous savoir, ma mie, quelles sont les jambes, tournées comme les vôtres, qui ont chaussé ces bas de soie ? les jambes d'une princesse qui ne va jamais à pied !... On tirait par la manche, tout en parlant ainsi, on prenait par le bras chaque femme qui passait ; tant pis pour la bourgeoise, qui se voyait traitée aussi familièrement que la grisette et que l'entremetteuse les récriminations de la prude poussaient elles-Mêmes à la vente. De nos jours, les marchandes du Temple s'y prennent-elles bien différemment pour arrêter tous les passants ?

Dès le XIIIe siècle, n'en doutez pas, les fripiers arrêtaient, comme à présent, les gens dont la mine valait mieux que l'habit, pour leur en offrir un qui montrât moins la corde. Dans la rue Tirechape, qui doit son nom à leurs moyens coercitifs de faire des offres de service, elles réhabilitaient commercialement le procédé qu'une passion malheureuse avait discrédité jadis entre les mains de Mme Putiphar. Le souvenir de cette chape-chute encourageait, il est vrai, d'autres femmes, aussitôt qu'il passait le soir quelque Joseph, à le tirer de même par son manteau, qui leur restait à défaut de sa bourse maintes petites rues comme celle qui nous occupe furent bercées, en naissant, par de pareilles nourrices. D'autre part, on appelait tire-laine, au moyen âge, un voleur à la tire, et tire-chape en paraît très fort le synonyme.

Quoiqu'on ait de force habillé et déshabillé les passants en cette rue Tirechape, au frontispice de son histoire ; deux de ses maisons ont été grevées d'une rente de 4 livres parisis, léguée en 1275 au chapitre de Notre-Dame par Agnès, veuve de Jean Sarrasin, pour fonder son adversaire.

Deux frères, Jean et Thibaud Paclet, bourgeois de Paris, avaient à la même époque le fief Tirechape, seigneurie de la rue, bien que celle-ci dépendît partiellement du For-aux-Dames. Lesdits tenanciers ayant refusé de rendre foi et hommage à Renoul, évêque de Paris, en raison de leur fief, qui consistait dès lors en 21 maisons, rapportant 20 livres, 11 sols, 6 deniers parisis de cens, un procès s'ensuivait ; mais il y a eu transaction entre les parties avant solution judiciaire les droits de lods et ventes sont restés aux frères Paclet et à leurs successeurs, moyennant reconnaissance au prélat de la justice et de l'hommage, mais ce dernier rachetable par convention au prix de 2 marcs d'argent doré. Or Tirechape était encore au nombre des fiefs de l'archevêché de Paris en 1789.

Pellisson-Fontanier, de l'Académie Française, n'a pas dédaigné la rue dont vous tenez le dossier historique entre les mains. Courageux avocat, il est resté fidèle dans la disgrâce de Feuquet, qui l'avait fait, premier commis des finances, puis conseiller d'Etat, et les mémoires écrits pour la défense du surintendant sont devant la postérité, le meilleur titre de son protégé. Les cinq ans de Bastille qu'il lui en a coûté ont formé l'éducation d'une araignée, travail de patience. Aussi bien cet ami de Mlle de Scudéri, auquel la veuve de Scarron a dû 600 écus de pension royale, n'était-il pas des plus patients ? Il jouait aux échecs mieux que personne de son temps, et il fallait que l'amour rançonnât de belle sorte la laideur du bonhomme pour que Boileau ne craignît pas de proclamer :

L'or même à Peilisson donne un teint de beauté.

Étienne Sallé, qui était propriétaire au coin de la rue Saint-honoré en 1672, tenait sur la rue Tirechape à Magdeleine Porcher, veuve de Claude Amant, qui tenait de même à Barbe Duménil, veuve de Nicolas de Pugny. Quelque vingt ans plus tard, les deux dernières maisons, c'est-à-dire les n°s 23 et 28 actuels, appartenaient la première, qui portait l'enseigne du Grand-Monarque, à Julienne d'Assy, veuve de Robert, et l'autre à Noblet, secrétaire du roi, du chef de sa femme, née Contenot. La rue ne comptait pas en ce temps-là moins de 38 maisons. Il y en avait une à deux portes, qui servent aujourd'hui de passage à l'impasse des Bourdonnais, par l'allée d'un marchand de vin, à l'enseigne du Panier-Fleuri. Or, sous le règne de Louis XIV, un gros traiteur, ayant nom Bédoré, était établi dans la rue à l'image du Petit-Panier, et le traiteur Baron avait, tout près, des pratiques qui regardaient plus à la dépense.



 

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