Rues et places de Paris
Cette rubrique vous livre les secrets de l'histoire des rues et places de Paris : comment elles ont évolué, comment elles sont devenues le siège d'activités particulières. Pour mieux connaître le passé des rues et places dont un grand nombre existe encore.
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RUES CHABANAIS ET CHÉRUBINI
IIe arrondissement de Paris

(Histoire de Paris rue par rue, maison par maison, Charles Lefeuve, 1875)

Notice écrite en 1858. Rue Chabanais commençant : rue des Petits Champs, 22. Finissant : rue Rameau, 9. Historique : une partie de la rue Chabanais est devenue en 1838 la rue Chérubini. Origine du nom : ouverte par le marquis de Chabanais sur les terrains de l'Hôtel de Saint-Pouanges. Rue Chérubini commençant : rue Chabanais, 11. Finissant : rue Sainte-anne, 52. Historique : précédemment, partie de la rue Chabanais. Origine du nom : Marie Louis Charles Zanobi Salvatore Chérubini (1760-1842), compositeur italien ; voisinage de la place Louvois, ancien emplacement de l'Opéra.

Le Mis de Chabanais. – Chérubini. – Les Demi-Cours. – M. Delécluze. – Le général Digeon. – La Maîtresse de Chénier. – Ladvocat. – Huvé. – Chamfort. – Pichegru.

A la première année du règne de Louis XVI remonte seulement l'ouverture de cette rue, sur terrain provenant de l'hôtel de Saint-Pouange et aux frais de Claude-Théophile-Gilbert de Colbert, marquis de Chabanais les Saint-Pouange étaient aussi des Colbert. Cette rue formait d'abord rectangle en partant de la rue Neuve-des-Petits-Champs pour rejoindre la rue Sainte-Anne ; mais les propriétaires riverains ouvrirent, en 1838 une souscription, pour subvenir à la dépense d'un percement, qui fut autorisé après qu'elle fut couverte.

Ainsi se prolongea jusqu'à la place Louvois l'une des deux branches de la rue en équerre, pendant que l'autre s'émancipait, entre les rues Chabanais et Sainte-Anne, sous le nom du célèbre compositeur Chérubini, dont le Requiem venait de se chanter pour lui-même. Cette séparation n'a supprimé que l'immeuble qui se trouvait le plus au milieu. La plupart des autres maisons ont conservé l'uniformité extérieure de leurs entresols, aux ouvertures arquées, et d'autres rapports de physionomie originels. L'éclaircie intermédiaire n'a pas manqué de donner plus de jour aux façades ; mais les cours n'en sont pas moins exigües qu'avant ; la demi obscurité y maintient une odeur stagnante de sous-sol. Que sentiront donc, dans cent ans, toutes les maisons sans cour de l'ère Haussmann ?

Deux architectes, Delécluze et Périac, ont entrepris à leurs risques et périls la construction de presque toute la rue Chabanais, dans son étendue primitive ; mais ils y ont vendu toutes neuves assez de maisons pour ne s'en réserver bientôt que quatre. Périac avait gardé l'immeuble n° 1 de la rue Cherubini a actuelle et puis un autre ; à Delécluze étaient échus les n°1 et 4, du côté de la rue Neuve-des-Petits-Champs. Survint alors la République, et non contente de restreindre les revenus de ce dernier, elle écourta son nom d'une syllabe, à cause de sa fortuite ressemblance avec la particule nobiliaire, en ce temps-là tant décriée et sur l'autel de la Patrie le citoyen Lécluzo déposa, sans opposer de résistance, cette partie intégrante de son nom, qu'il avait portée sans orgueil. Mais quand l'ordre se rétablit aux dépens de la liberté, plusieurs actes notariés et même d'état-civil se trouvaient entachés d'un cas de nullité ; il fallut un jugement pour établir l'identité légale des Delécluze et des Lécluze. Le fils de l'entrepreneur de la rue Chabanais, né au n° 1, collabore activement au Journal des Débats, pour la critique musicale et les articles d'édilité parisienne.

D'en face, n° 2, il est parti dès le premier appel de « la Patrie en danger », un soldat qu'arrachait la première réquisition aux embrassements de son père, ci-devant colonel, et de sa sœur, jolie même dans les larmes plus tard ce simple soldat était le général, vicomte ou chevalier de Dijon, car les deux fils du comte ont porté les mémés épaulettes sous l'Empire et sous la Restauration.

Marie-Joseph Chénier, rédacteur du Mercure lors du second mariage de l'empereur, fréquentait alors la même maison, où demeurait sa maîtresse, qui n'était plus alors Mme Vestris ; du moins la dernière muse du tribun poète était beaucoup trop grasse, d'après le portrait qui nous en est tracé par M. Delécluze, pour qu'on la soupçonnât d'avoir dansé en public, comme les autres Vestris, avant de jouer la tragédie.

Le boudoir de cette plantureuse beauté devint plus récemment le cabinet d'un éditeur que 101 écrivains connus y honorèrent d'un autre genre d'hommages. La prose et les vers du Livre des Cent-et-un, offerts par leurs auteurs au libraire Ladvocat pour lui servir de planche de salut, ne firent toute fois que retarder un naufrage. Cet éditeur de mille et un autres volumes, n'a-t-il pas toujours eu le talent de paraître plus riche qu'il n'était ? Il dîna plusieurs fois aux Tuileries, comme colonel d'une légion de la garde nationale, dans les premières semaines qui suivirent la révolution de Juillet ; cette qualité le fit même admettre un jour à la table du nouveau roi, auquel il proposa, entre la poire et le fromage, de prêter 500, 000 fr., dans sa personne, à la littérature, dont l'élan était entravé par les progrès de l'esprit constitutionnel. A partir de ce jour, les honneurs du couvert ne furent plus faits, chez le roi, aux officiers supérieurs de service que par un général, le baron Atthalin. Mais Ladvocat, loin de se décourager, reprit sans subvention la direction du théâtre international dont l'affiche était son catalogue de nouveautés, avec une série consacrée à la traduction des chefs-d'œuvre des littératures étrangères.

Il avait le génie des grandes entreprises, et rarement elles sont les plus heureuses. Mais sans les risques et périls courus par Ladvocat et Cie, où en seraient les expériences de la jeune école ? Au profit de cette génération littéraire, qui ne s'attendait guère a vieillir, Ladvocat a inventé un moyen de lancer un livre, qui réussit encore et qui consiste à faire bruit tout d'abord d'un prix exagéré que l'éditeur aurait donné du manuscrit ; ses prospectus, ne se contentant pas d'allécher de simples acheteurs, lui amenaient jusqu'à des actionnaires.

Il a toujours eu l'esprit de recruter des prosélytes et des flatteurs ; il a même compté parmi ses créanciers, désespérant d'un dividende, quelques admirateurs dont le désintéressement ne pouvait plus laisser de doute. Gommé homme, il s'est fait adorer, avec une rare persévérance, jusqu'à l'âge où les cheveux blancs tombent, par une couturière à la mode ; lorsqu'il en venait à manquer, par malheur, du louis absolument indispensable pour recommencer le million qu'il rêvait toujours, elle réhabilitait l'homme taré, en le faisant caissier de sa maison, qui prospérait. Ces gilets de velours vert, grenat ou noir, qu'il portait constamment, ne se taillaient-ils pas un peu dans les robes destinées à des princesses étrangères ? Alors les morceaux en sont bons et différent beaucoup de ces maculatures dont les éditeurs ne font rien.

La maison dont la librairie Ladvocat occupait le plus bel appartement, a eu aussi pour locataire M. Huvé, architecte de la Madeleine.

Du même côté de la rue, Chamfort avait pris domicile, en quittant l'un des dessus d'arcades du Palais Égalité. Quand on vint pour l'y arrêter, il désespéra de recouvrer une seconde fois la liberté, que lui avait déjà ravie le comité de salut public ; voulant mourir en homme libre, il passa dans son cabinet, sous prétexte d'y prendre des papiers, et se tira un coup de pistolet.

Enfin c'est au n° 11 que le général Pichegru fut arrêté, deux mois et quelques jours avant que le premier consul passât empereur.



 

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