Rues et places de Paris
Cette rubrique vous livre les secrets de l'histoire des rues et places de Paris : comment elles ont évolué, comment elles sont devenues le siège d'activités particulières. Pour mieux connaître le passé des rues et places dont un grand nombre existe encore.
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RUE DE L'ARCADE,
VIIIe arrondissement de Paris
(D'après Histoire de Paris rue par rue, maison par maison, paru en 1875)

Notice écrite en 1856. Cette voie existait au XVIIe siècle sous le nom de chemin d'Argenteuil. Elle a porté le nom de rue de la Pologne, entre les rues des Mathurins et de Rome. Origine du nom : Dû à une arcade qui servait de communication entre les jardins des religieuses de la Ville l'Evêque.

Un quadrille d'hôtels :
Le comte de Tournon, préfet sous Napoléon Ier, puis gouverneur de Rome et sénateur, était l'un de ces fonctionnaires, gens de qualité disposant d'une grande fortune, que l'empereur se plaisait à faire voyager, parce qu'ils représentaient le pouvoir avec distinction, en répandant l'aisance et en se rattachant aux bonnes traditions sur quelque point qu'ils fussent dirigés. Aussi la Restauration le fit-elle à son tour préfet, conseiller d'État, pair de France.

Rué de l'Arcade, 57, est mort M. de Tournon dans l'une des premières années du règne de Louis-Philippe. L'hôtel avait appartenu au comte de Pansemont, père de Mme de Tournon, et celui d'à côté au marquis de Beauvoir. Mme Manuel, femme de l'orateur constitutionnel de ce nom, avait postérieurement habité l'hôtel de Beauvoir.

Le n° 22 est comparable à une femme parée pour le bal, qui, sous une jupe de gaze toute moderne, laisserait voir le damas de soie à grands ramages et à lames d'or d'une robe de gala héréditaire. L'édifice est princier, malgré le peu d'étendue de ses proportions ; le corps de bâtiment du fond de la cour présente quatre colonnes doriques surmontées d'un frontispice sculpté avec goût et vigueur. Entrez, vous voilà l'hôte de M. le marquis de Lubersac dont la famille, bien connue, est originaire de la Bretagne. Avant les Lubersac, des Castellane y séjournaient. En remontant encore, nous serions là en plein hôtel de Soyecourt, rebâti sous Louis XVI par l'architecte Célerié. N'abusons pas trop de l'occasion qui nous est offerte de vous parler des Soyecourt du moyen âge : il en est resté un sur le champ de bataille de Crécy, un autre sur le champ de bataille d'Azincourt. Lecomte de Soyecourt qui a acheté du chevalier de Rohan la charge de grand-veneur de Louis XIV, descendait de preux morts l'épée haute. C'est le personnage qui à servi de modèle à Molière pour le fâcheux du genre chasseur qu'il met en scène dans sa comédie des Facheux. Son nom se prononçait Saucourt.

On appelait un de ses petits-fils le grand Saucourt sous le règne suivant, qui l'avait fait gouverneur de Clermont en Beauvoisis, capitaine de la ville de Compiègne et chambellan. Celui-là était le l'éros d'une anecdote qui peut se conter à la chasse. Un jour que Grammont chassait dans un parc des environs de Paris avec Saucourt, celui-ci, faussa compagnie à celui-là, qui, le croyant égaré, reprit le chemin du château ; mais de sa fenêtre il aperçut le fuyard, qui s'enfonçait dans un taillis avec la fille du jardinier. Le lieu aurait paru propice à un. jeune luron du village ; mais le chambellan n'aurait jamais songé à profiter de l'occasion sans la jeunesse appétissante et les bonnes dispositions que lui montrait la paysanne. C'était bien le moins qu'il la complimenta tout d'abord de ses jolis yeux et de ses joues parées du vermillon de la santé ; mais il parlait encore que le son du cor se fit entendre, et cette distraction inattendue tournait en un vague bredouillement la fin de la déclaration. Le galant se remit quand l'air de chasse fut joué, et il s'excusa de son trouble, en avouant à la belle, qui n'y comprenait goutte, que les mâles accents du cor étaient depuis un siècle l'objet d'une passion dominante pour les Saucourt de père en fils ; puis il voulut prendre un baiser, et le cor de sonner la curée. Pour le coup, la séance fut levée et Grammont accueillit Saucourt en lui demandant : – Dis-moi au moins, mauvais sujet, où tu en es avec la jolie fille pour laquelle tu m'as brûlé la politesse ? - Eh ! mon cher, répondit l'ami, tes fanfares sur la trompe t'ont pleinement vengé. J'aurais préféré faire ta partie.

A l'endroit où je vous montre l'ancienne résidence des Soyecourt le plan de Verniquet place un hôtel de Conti. Or le seul prince de ce nom pendant les années consacrées à la gravure dudit plan, était celui avec lequel s'éteignit à Barcelone, en 1814, la branche cadette de la maison de Bourbon-Condé. Mais il arrive souvent à un château de s'appeler comme un châtelain qui n'est plus. Un plus petit plan signalait en 1805 sur le même point la maison de M. Dezarnod, inventeur des cheminées économiques, et l'hôtel Soubise, quoique M. de Soubise eût cessé de vivre avant la fin de l'ancien régime. Aussi bien ce prince résida notoirement à l'ancien hôtel de Guise, maintenant palais des Archives. L'hôtel de la rue de l'Arcade restait au magnifique seigneur comme annexe et petite maison.
C'est probablement là que furent inventées ces côtelettes à la purée d'oignons qui simplifient singulièrement le blason d'une maison illustre sur les cartes des restaurateurs. Mais une cerise porte bien le même nom qu'un Montmorency.

Charles de Rohan, prince de Soubise, né en 1715, fut maréchal de France et ministre d'État, sans rendre d'éclatants services comme capitaine, comme conseiller de la Couronne. Mais où Louis XV eût-il trouvé un plus aimable courtisan ? Sans cet opulent roué, entreteneur incessant de filles d'Opéra, le vaudeville historique serait resté impossible sur nos théâtres de genre, où il n'a ménagé pourtant au maréchal ni les couplets ni les situations bien ridicules ; c'étaient de froids ouvrages en général, que ces sortes de vaudevilles, qui se ressentaient de la poudre à frimas ; toutefois l'esprit n'y manquait pas, et ils ont rapporté à leurs auteurs de quoi vivre, même après sa mort, aux dépens d'un fastueux et infatigable protecteur qu'avaient eu les gens de théâtre. Ses prodigalités, il est vrai, couvraient d'or plus de femmes que de manuscrits ; mais on croit volontiers en France que les bouchons chassés par le champagne élèvent le niveau de l'esprit, et il a abreuvé d'aï à petits traits, mais incessamment répétés, toute une génération de courtisanes qui faisaient boire de son vin à une génération de gens d'esprit, prompts à reprendre ailleurs l'initiative. Partout où a coulé le champagne à flots, baissez-vous : il y a au moins un vaudeville à ramasser, si ce n'est son auteur, sous la table.

Le prince des vaudevilles poudrés, s'il revivait, serait assurément ravi d'apprendre qu'un de ses hôtels a rang de palais et que l'autre se porte encore pas mal. Il était plus glorieux encore que voluptueux, et il n'en voulait pas à ce croquant de Laborde, défrayant après lui le luxe de la Guimard. Le mariage de sa fille avec un Condé l'avait allié à la famille royale, et il prenait, malgré les princes du sang, le titre de très haut et très excellent prince qui était de leur apanage.

Le jésuite Georgel a établi, dans un mémoire, l'égalité des prérogatives des Soubise avec celles des ducs et pairs. La cour, d'ailleurs, a été divisée d'opinion sur les prétentions du beau-père de M de Condé. Mme de Pompadour, ayant fait le mariage, se rangeait du côté du prince. Ce qui n'empêcha pas Soubise, un peu plus tard, d'aller faire sa cour, un des premiers, à Mme Dubarry. En ce temps-là il était l'amant de la comtesse de l'Hospital, qu'il engagea à recevoir chez elle, pour commencer, la nouvelle favorite. Bientôt il fut l'ami de ce mauvais sujet de Dubarry, frère de la comtesse, et il eut la faiblesse de marier une de ses parentes avec le petit vicomte Dubarry. Cette parente était justement Mlle de Tournon, dont la famille habite la rue de l'Arcade.

Quand le médecin Bordeu eut fermé les yeux de Louis XV, le maréchal de Soubise fut le seul de ses favoris qui suivît le corps du roi jusqu'à Saint-Denis.

Un pont qui reliait deux jardins appartenant aux religieuses de la Ville-l'Évêque valut sa dénomination à cette rue, qui d'abord leur appartenait presque entièrement. L'arcade était à la hauteur de l'hôtel de Conti, c'est-à-dire plus près de la rue Neuve-des-Mathurins que de la rue Ville-l'Evêque. Les carosses de M. de Soubise passaient par-dessous pour conduire la Guimard aux Porcherons. C'était aussi le chemin pour se rendre au quartier dit de Pologne, d'où il vient que la rue de l'Arcade a commencé par être un grand siècle la rue de Pologne.


 

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