Rues et places de Paris
Cette rubrique vous livre les secrets de l'histoire des rues et places de Paris : comment elles ont évolué, comment elles sont devenues le siège d'activités particulières. Pour mieux connaître le passé des rues et places dont un grand nombre existe encore.
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RUE LAFFITTE
IXe arrondissement de Paris

(Histoire de Paris rue par rue, maison par maison, Charles Lefeuve, 1875)

Notice écrite en 1860, pendant que bien dés pioches frayaient, au travers de la rue Laffitte, passage à la rue Lafayette, en ce qu'elle avait de nouveau. Mais la rue Olivier ne s'élargissait pas encore aux dépens des derniers numéros de la rue Laffitte, pour se prolonger des deux bouts et pour prendre bientôt le nom du cardinal Fesch, qui avait résidé à l'une de ses nouvelles extrémités. Commençant : boulevard des Italiens, 18. Finissant : rue de Châteaudun, 19. Historique: rue d'Artois, lors de l'ouverture, rue Cerutti (1792) puis, de nouveau rue d'Artois en 1814. On lui a donné son nom actuel en 1830, après la Révolution de Juillet.
Origine du nom : Jacques Laffitte (1767-1844), financier et homme politique français, habitait un hôtel particulier dans cette rue. I. prit une part active à la Révolution de 1830.

Café Hardy. – Cérutti. – Le Marquis d'Hertford. – Laromiguiére. – Dîner de l'Exposition. – La fausse Malibran. – La Rue qui se range. – MM. de Rothschild. – Mme de Saint-Jullien. – La Reine Hortense. – Hôtels Laffitte et Thélusson.

Riz au lait, riz au gras, cette inscription figurait sur les vitres des meilleurs cafés, et ils ne servaient de substantiel que des potages quand le café Hardy imagina, à l'époque du Directoire, d'ajouter à l'indication extérieure : et déjeuners à la fourchette. L'innovation d'abord était timide : elle avait surtout trait à des déjeuners froids ; mais les oeufs et les côtelettes amenèrent peu à peu bien des limonadiers à se faire restaurateurs, à l'exemple du pauvre Hardy, qui a fini par se couper le cou. Son café avait, du reste, commencé par être l'œil de boeuf des affaires, la petite Bourse escomptant les nouvelles douteuses et la coulisse des spéculateurs sur les fournitures des armées.

Le restaurant de la Maison-d'Or a pris la suite du café Riche, dans un immeuble qui remplace, depuis 1839, l'ancien hôtel de Mme Laferrière, décédée au milieu du règne de Louis XVI. La même résidence a été connue au comte de Stainville, qui était un Choiseul ; Mme Tallien l'a habitée aussi, avant de passer princesse de Chimay, mais après Cérutti, dont la rue a porté le nom de 1792 à 1814. Cet élève relaps des jésuites, rédacteur principal de la Feuille villageoise, membre de la Commune de Paris et député à l'Assemblée, est mort dans un bon lit à l'angle de sa rue.

Le ci-devant hôtel d'Aubeterre, dont l'encoignure demi-circulaire fait vis-à-vis à celle-là, ne s'appelle plus comme d'anciens maréchaux de France ; mais le marquis d'Hertford, pair d'Angleterre, partout gentilhomme accompli, l'a acheté sous la Restauration, afin de ne pas déménager, au moment où sa mère, qui y demeurait avec lui, devenait elle-même propriétaire au coin de la rue Taithout.

Au n° 10 ou au 12, l'an VIII voyait Laromiguière, qui avait publié, au fort de la Terreur, ses Eléments de Physique à Toulouse.

Nous croyons que le 16 n'était pas étranger au grand hôtel-garni que la Révolution avait fait du ci-devant hôtel de Choiseul, maintenant occupé par l'administration de l'Opéra, et dont une porte donnait rue Cérutti. Un passage Laffitte s'y trouvait, en tout cas, avant que M. Emile de Girardin, acquéreur de l'immeuble, y eût pour locataires les fondateurs du Biner de l'Exposition-Universelle. Plutôt qu'un restaurant, n'était-ce pas la banque des assignats de la gastronomie ? Que d'actionnaires en sortirent ayant faim !

A la place de ce restaurant, où l'on mangeait si bien.... l'argent des autres, un gymnase érotique donnait auparavant un autre genre de leçon. Bien que les exercices n'y fussent pas de ceux qui se recommandent aux familles, c'était encore pis dans un corps de logis qui passait pour mieux habité, à l'extrémité du passage, alors qu'une supercherie odieuse y exploitait la vogue si méritée de Mme Malibran. Une vieille femme, postée au paradis, assistait fréquemment aux représentations des Italiens, et elle était habile à distinguer les étrangers, fraîchement débarqués, dont le talent de la prima-dona portait l'exaltation au comble. L'intrigante fieffée s'arrangeait pour en aborder au moins un, dans l'entr'acte, en se donnant pour la parente, pour l'amie de la cantatrice, et que n'osait-elle pas offrir !

Il y avait toujours rendez-vous pris au passage Laffitte, et l'amateur s'y rendait, au sortir du spectacle, tout plein d'orgueil, quand ce n'était qu'un sot, mais avec hésitation s'il avait l'esprit de craindre une mystification. N'en arrivait-il pas toujours à se croire le plus fortuné des galants quand il voyait venir la duègne, accompagnée d'une femme dont la taille, les traits et l’âge se rapportaient à ceux de la grande artiste ? L'étranger en bonne fortune vidait sa bourse sans regret, et souvent il quittait Paris avant qu'un examen plus attentif l'eût tiré d'une erreur où son amour-propre trouvait son compte. L'aventurière abusait de sa ressemblance avec Mme Malibran jusqu'à se donner pour elle, tout le carnaval, au bal de l'Opéra, et à ne pas même en démordre quand le champagne du souper semblait lui délier la langue. M. de Girardin, en supprimant le passage, n'a pas peu contribué à la moralisation de la rue Laffitte.

Elle est de plus en plus financière et de moins en moins décolletée, cette avenue du quartier Bréda, qui lui-même se modifie sensiblement en prenant du développement. Lola Montès, qui a donné des bals par souscription au n° 40, et Mogador, si connue à Mabile lorsqu'elle était logée au 52, ont des couronnes brodées sur leurs mouchoirs !

Mais retournons d'un siècle à l'autre. Après Mme Laferrière, dont la propriété tenait plus de place que la Maison-d'Or, venait M. de la Live de July, introducteur des ambassadeurs. M. d'Aubeterre, proche parent des d'Esparbès, était, comme à l'entrée de la rue, propriétaire aux n°s 13 et 15. En face demeurait M. de Courmont ; régisseur-général du Trésor, à côté M. de Saint-Jullien, trésorier des Etats de Bourgogne, puis receveur-général des rentes du clergé. La clientèle ecclésiastique de ce dernier n'empêchait pas sa femme, une La Tour-du-Pin, de s'amuser, de fréquenter Voltaire et de sacrer à la manière des bateliers du coche de Vert-Vert. Le veuvage ne la trouva pas moins philosophe que d'autres inconstances de l'amour. Sa 90me et dernière année fut 1820.

La reine Hortense, bien que la cour consulaire l'eût mise plus à son aise que la cour impériale, en était l'ornement encore lorsqu'elle se fixa à l'hôtel Saint-Jullien. Le titre de reine lui était conservé, malgré sa séparation et l'abdication de son mari. Son salon devint tout de suite le rendez-vous de ce qu'il y avait de plus distingué. Elle ne suivit pas les membres de la famille Bonaparte, dans leur premier exil, en 1814 ; mais, ayant contribué au revirement des Cent-Jours, elle en porta la peine le reste de sa vie.

Mieux encore qu'un tel souvenir, un des rameaux de l'arbre des Rothschild protège cette belle demeure : leur greffe de Vienne s'y ente sur Paris. M. Anselme de Rothschild ne veille pourtant que de loin sur son immeuble, naguère habité par M. Salomon. Des compagnies de chemins de fer y ont établi un réseau de siéges administratifs, qui comptent l'espace par minutes, comme le temps par kilomètres.

Chez M. le baron James de Rothschild, qui fait souvent des affaires avec les rois, le Trésor royal avait ses bureaux avant 89, et dire que le fonds de roulement s'y est accru considérablement, en passant d'un souverain à un particulier ! Le garde du Trésor, M. Micault d'Harvelay, résidait lui-même rue d'Artois, vis-à-vis de la rue Pinon, maintenant Rossini, aussi près de ses bureaux que l'est M. de Rothschild. Naugude, voisin de d'Harvelay, précédait aux n°s 23 et 25 : le général Savary, duc de Rovigo, ministre de la police sous l'Empire, M. de Greffulhe, M. Joseph Périer, qui a fait bâtir le devant, enfin M. James de Rothschild.
Le comte de Laborde, banquier de Joseph II, a étrenné l'hôtel qui vient après et que l'on écorne à cette heure pour faire place à une rue de biais, reliant le boulevard des Capucines à la Nouvelle-France. Cet inaugurateur, que n'a pas épargné le tribunal révolutionnaire, était un honnête homme, d'après les uns, et un trop habile homme au dire des autres. Valet-de-chambre du roi, puis banquier, il a été encore plus connu par ses galanteries et ses oeuvres musicales.

Un d'Escars, chevalier de Malte, n'a consenti à changer de vocation, en devenant le gendre de ce financier, que pour un million, plus le gîte et la table. Substitué aux droits que Bouret de Vézelay, un autre financier, tenait de l'édilité sur les bords de l'égout parallèle au boulevard, M. de Laborde a obtenu, vers la fin du règne de Louis XV, des lettres patentes autorisant le percement de la rue d'Artois, dont Cérutti ne fut plus tard le parrain qu'à la place d'un prince du sang. On dit que le même Laborde a, dans l'origine, affermé l'hôtel à sa maîtresse, la Guimard, mais pour peu de temps. Il ne le vendit en 1770 à Mme Loménie de Brienne que pour, bientôt rentrer dans ses droits, faute de paiement. La duchesse de Mouchy fut, un acquéreur plus sérieux ; elle eut pour successeurs : l'architecte Rougevin, les époux Mellier, Jacques Laffitte.

La révolution de l 830, à laquelle ce dernier avait tant contribué, valut à son nom la popularité de l'estampille voyère où la, Restauration avait remis en honneur celui du prince. Le 28 juillet, les députés de l'opposition s'étaient réunis dans l'hôtel dont Jacques Laffitte, leur collègue, était propriétaire depuis huit ans, et les délibérations y avaient continué jusqu'à la constitution du nouveau gouvernement. L'homme politique triomphait un moment ; par malheur il était financier, et les affaires souffraient, depuis plusieurs années, des violences d'une polémique dont les tendances remettaient en question les principes de l'autorité. Trop de passions révolutionnaires étaient déchaînées pour qu'une transaction libérale suffit à les assouvir. Aussi le député devait-il promptement rentrer dans l'opposition, comme, devant l'auréole du martyre lui était décernée en raison du mauvais état de ses finances, qui n'avait nullement attendu, pour se produire, les journées de Juillet. Une souscription mémorable rachetait son hôtel, pour le lui rendre à titre de don patriotique. Dans Laffitte s'incarnait bourgeoisement le centre-gauche, dont l'idéal était assurément le meilleur des gouvernements, mais qui l'a eu plus d'une fois pour adversaire sans s'en apercevoir.

La rue d'Artois s'est prolongée, en 1823, jusqu'à la rue Chantereine, ou de la Victoire, en faisant mordre la poussière au superbe hôtel Thélusson, dont la porte, en forme d'arche de pont, se voyait du boulevard. Mme Thélusson y avait reçu somptueusement la bonne compagnie, qui en avait repris le chemin, sous le gouvernement directorial, quand le Bal des Victimes s'y donnait périodiquement par souscription, ainsi qu'au ci-devant hôtel Richelieu. L'État avait confisqué la propriété, qui n'était encore en 1807 qu'un hôtel-garni, auquel faisait concurrence porte à porte l'ancienne résidence de Laborde. Puis Murat l'avait habité ; Napoléon ensuite l'avait donné à l'empereur Alexandre, pour l'ambassade de Russie. Enfin Berchut, naguère tailleur au Palais-Royal, avait acheté l'immeuble, et tout le quartier en voulut à ce spéculateur alors que disparut le beau jardin qui distribuait de toutes parts quelque aperçu de sa verdure, purifiait et rafraîchissait l'air, en y mêlant des senteurs délicieuses.

L'année suivante, la rue fut continuée sur le territoire d'Ollivier, auquel nous consacrons un souvenir domestique dans la rue du Faubourg-Montmartre.



 

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