Rues et places de Paris
Cette rubrique vous livre les secrets de l'histoire des rues et places de Paris : comment elles ont évolué, comment elles sont devenues le siège d'activités particulières. Pour mieux connaître le passé des rues et places dont un grand nombre existe encore.
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RUE LOUIS-LE-GRAND
IIe arrondissement de Paris

(Histoire de Paris rue par rue, maison par maison, Charles Lefeuve, 1875)

Notice écrite en 1860. La nouvelle rue du Dix-Décembre croise aujourd'hui la rue Louis-Le-Grand, à la rive gauche de laquelle s'arrête à l'heure qu'il est l'avenue de l'Empereur, qui doit également passer outre, pour mettre en communication directe le nouvel Opéra avec le palais des Tuileries. Le changement de niveau donne l'air de s'effondrer à un tronçon de la rue Louis-le-Grand, reliée d'un côté par des marches à la rue du Dix-Décembre. Commençant : rue Danielle Casanova, 16. Finissant : boulevard des Capucines, 1 et boulevard des Italiens, 31. Servitude : les immeubles situés du côté impair entre l'avenue de l'Opéra et la rue du Quatre Septembre sont grevés d'une servitude d'architecture obligatoire (Décision du jury d'expropriation du 8 février 1868 et jours suivants). Historique : cette voie a été dénommée rue des Piques (1793-1798) ; rue de la place Vendôme (1799-1814).
Origine du nom : voisinage de la place Vendôme, autrefois place Louis le Grand.

Mme de Montespan. – Le Général Chasseloup-Laubat. – M. Double. – Le Général Bertin de Vaux. – Les Hôtels d'Egmont et Gontaut-Biron. – Le Due d'Antin. – Le Maréchal de Richelieu. – Le Pavillon de Hanôvre.

Les propriétaires en cette rue étaient, sous le règne de Louis XVI :

Côté des numéros impairs : MM. de La Fontaine de Brassard, de Grandbourg, Castela, de la Bussière, de Villemarais, Maurangel. Taupin, Gueffier, Daugny, d'Egmont de Gontaut, la maréchale de Nicolaï, MM. Arthur et Grenard.

Côté des numéros pairs : M. Duval de Lépiuay, Mlle Quinon, les héritiers Croixmare, MM. de Verville, Vernier, de Richelieu.

Bien qu'ouverte en 1703, elle était bordée plus encore de murs que de maisons sur le plan de Paris en 1739. Des hôtels auxquels tenaient ces murs, gardons-nous d'oublier le plus ancien, mais le moins connu. C'était plutôt une maison qu'un hôtel, car elle n'avait pas de jardin, tant le couvent des Capucines, par-derrière, la serrait de près ! Mme de Montespan, dans la disgrâce, y passa quelque temps. Depuis son départ de Versailles, elle menait une vie de pénitence, quoique peu sédentaire, après s'être essayée à l'immobilité de la retraite dans la communauté des filles de Saint-Joseph : ses terres la gardant six mois de l'année, elle prenait, de plus, les eaux de Bourbon. Le duc du Maine et le comte de Toulouse, légitimés princes du sang, visitaient à Paris Mme de Montespan, qui ne les traitait pas sur un autre pied que le fils du marquis de Montespan, leur frère aîné. MM. de Grandbourg et Castela ont disposé de la propriété ; elle a été occupée de plus fraîche date par l'amiral Parceval-Deschênes, par le général Pigeon : n°3 et 5 à présent.

M. de l'Épinay était propriétaire du 4, arrière-bâtiment de l'hôtel Mondragon, que nous avons vu rue d'Antin. L'hôtel avait appartenu conjointement à Marie Bersin, femme de Louis Duval de l'Épinay, secrétaire des finances, et au marquis de Mondragon, secrétaire des commandements de Madame, comtesse de Provence, ainsi qu'à la marquise, née Duval de I'Épinay. M. Varignon de Villemarais, qui avait le 9 du chef de sa femme, veuve de Derbais en premier lit, était l'un des prédécesseurs du général marquis de Chasseloup-Laubat, père du ministre actuel de la Marine : Sénateur depuis une année, le général, en 1814, se rappela qu'il était fils et petit-fils de brillants officiers, qui avaient servi sous le drapeau des maréchaux de Saxe et de Luxembourg ; il refusa même, aux Cent-Jours, de reprendre sa place au sénat, ce qui n'empêcha pas Napoléon de faire encore à Sainte-Hélène l'éloge des talents et de la probité de Chasseloup-Laubat.

Le général a eu pour acquéreur le beau-père de M. Double, propriétaire à l'heure qu'il est de l'immeuble où il donne l'hospitalité à une rampe d'escalier, tirée de la maison de Samuel Bernard, rue Notre-Dame des-Victoires. M. Double possède aussi, dans la vallée de Montmorency, un ancien château des ducs de Vendôme, qui fit de plus à Mme d'Enghien. Son appartement à Paris est d'un luxe devenu rare en ce qu'il ne parle pas qu'aux yeux, un magnifique mobilier historique y réveille le souvenir des détenteurs primitifs de chaque objet, c'est-à-dire des plus grands ministres, des ducs et pairs, des rois eux-mêmes, et des femmes qui, l'une après l'autre, taillèrent dans chaque règne le leur. Tapisseries, cheminées, porcelaines, mosaïques, pendules, bronzes, dorures, lustres, sofas et guéridons sont des chefs-d'oeuvre de bonne compagnie, avec lesquels jamais on n'est tout seul : chacun d'eux cite une date et un nom historiques dont on aime à s'entretenir et qui donnent quantité d'idées qu'un mobilier tout neuf garde pour plus tard. Tout n'est pas une importation dans le musée domestique de M. Double : les sculptures, les peintures des plafonds et des dessus-de-portes n'ont jamais été autre part. Bon Boulogne a passé par-là.

Suit l'ancienne propriété de M. Maurangel ; M. Taupin, vers 1800, la vendit à M. Merlin, agent de change, beau-père du général Bertin de Vaux, qui y commande. Les immeubles d'après n'ont fait, pour la plupart, que croître, sans embellir, depuis le règne a de Louis XVI : exemples, le grand hôtel d'Egmont, au 21, et le petit, dans le fond du 23. Jenny-Colon a joué aux Variétés une pièce qui nous empêche d'oublier que la jolie Mme d'Egmont chassait de race, étant fille du maréchal de Richelieu.

L'hôtel de M. de Gontaut-Biron a quitté entièrement la place à des maisons de revenu sur ce point de la rue Louis-le-Grand. La fameuse pension Morin et cet hôtel, pour lequel elle avait renoncé à l'ancien théâtre de Pierre, seraient-ils morts dans 1es bras l’un de l'autre ? L’Histoire du lycée Bonaparte donne sur la pension Morin des détails plus circonstanciés, qui seraient pour nous une répétition ; Renvoyons aussi le lecteur à la notice de la rue Grange-Batelière (la portion de la rue Drouot dans laquelle se retrouve l’ancien hôtel Daugny appartenait naguère à la rue de la Grange-Batelière), s'il tient à s'édifier sur le compte de M. Daugny, le second voisin des d’Egmont. Mais les Gontaut ont eu évidemment, eux aussi, majeur et mineur hôtels. L'un des deux a passé Nadara et ouvre plus bas : vous pénétrez dans son sous-sol d'autrefois en allant prendre une glace chez Durant, sur le boulevard des Capucines, où le jardin de l'hôtel touche au jardin du ci-devant couvent de femmes, déboisé par le percement de la rue de la Paix.

L'an 1738 y avait encore à l’angle du Rempart et de notre rue, l'extrémité de sa ligne gauche, que le magasin des marbres du roi. L'autre angle n'étai qu'un fossé. L'égout de la Ville grouillait, à n'en pas douter, entre les deux.

Le financier Lacour-Deschiens, sieur de Neuville, avait fait bâtir, en l'année 1707, sur les plans et de Pierre Levée, un bel hôtel, rue Neuve-Saint-Augustin, dont le jardin allait jusqu'au boulevard entre les rues de la Michodière et Louis-le-Grand. Il en reste, sur celle-ci, notamment le n°16, marque déjà sur le plan de Lacaille. Le duc d’Antin, ingénieux courtisant du roi, surintendant de ses bâtiments, s’était rendu acquéreur, en 1713, de l’hôtel qui a pris son nom pour le laisser à un autre quartier. Le maréchal de Richelieu en était propriétaire dès 1757, et il y faisait faire des embellissements.

Alors fut dessiné par Chevautet ce joli pavillon qui forme encore le coin du boulevard, à la place de l'ancien fossé : sa rotonde y délasse la vue des monotones pans coupés que présentent tant d'autres angles ! Les masques qu'on y a sculptés demeurent les chefs-d'oeuvre du genre. Un balcon tourne autour de l'édifice, comme une ceinture glissante, et c'est pourtant la seule que Richelieu ait nouée, dans son pavillon de Hanôvre : il faisait le contraire aux autres ! On sait que la plupart des femmes préféraient sa maturité à la jeunesse de ses rivaux, le poursuivaient encore, octogénaire, de leurs envies de pardonner, qui étaient des lettres de rappel : plus d'une finissait même par le coucher, consolation désespérée, dans la ruelle de son testament ! Il disait à son fils, goutteux : – Imitez votre père, Fronsac ; quand un de mes pieds a la goutte, c'est l'autre qui en souffre le plus : je ne fais pas un pas de moins.

En ce qui regarde notre rue, le duc plaida avec M. Arthur, prédécesseur des frères Robert : cet Arthur avait établi, à l'autre encoignure du Cours, c'est-à-dire à la place qu'avait occupée le dépôt des marbres du roi, une fabrique de papiers peints, qui masquait la moitié de la vue : Fronsac n'hérita de son père qu'en 1788, et des entrepreneurs de fêtes, publiques accaparèrent l'hôtel de seconde main, dans la Révolution. Il était dès lors divisé, car la rue de Hanôvre, dont le terrain avait été acquis par Chéradame, et celle de Port-Mahon, dont le nom rappelait aussi une victorieuse campagne du maréchal, avaient été, celle-ci tracée et l'autre ouverte, avant que Richelieu rendît le dernier soupir dans l'hôtel, séparé déjà du pavillon. On y assista à des fêtes, bals ; concerts, petits spectacles, feux d'artifice ; on put s'y loger en garni ; une maison de jeu s'y essaya, qu'éclipsa bientôt Frascati ; enfin Tortoni y fonda sa réputation de glacier, comme associé de Velloni.

Puis, les maçons revenant à la charge, de nouveau les lustres s'éteignirent dans les salons où, au milieu d'un bal, la générale Bonaparte avait reçu le glorieux surnom, qui déjà était justifié en 1798, de Notre-Dame-des-Victoires. Simon, marchand de papiers peints, devint le locataire du pavillon, occupé aujourd'hui par un marchand de ruoltz.

Comment en un vil plomb, l'or pur s'est-il changé ?



 

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