Rues et places de Paris
Cette rubrique vous livre les secrets de l'histoire des rues et places de Paris : comment elles ont évolué, comment elles sont devenues le siège d'activités particulières. Pour mieux connaître le passé des rues et places dont un grand nombre existe encore.
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RUE DE LA MANUTENTION, naguère Basse-Saint-Pierre,
XVIe arrondissement de Paris
(D'après Histoire de Paris rue par rue, maison par maison, paru en 1875)

Notice écrite en 1857. Il ne reste plus aujourd'hui de la rue Basse-Saint-Pierre, principalement absorbée par la nouvelle avenue de l'Empereur, qu'un escalier et une ruelle donnant sur le quai. Celle-ci longe la Manutention militaire : de là sa nouvelle dénomination.

Mlle Dumesnil :
Melle Dumesnil, de la Comédie-Française, eut pour maison de plaisance le n° 42 de la présente rue Basse-Saint-Pierre, où avait été l'orangerie royale, avant la prévôté royale de Chaillot. Marie-Françoise Dumesnil, née en 1713 dans notre ville, était de taille moyenne, et d'un physique sans ampleur ; sa nature dérangeait trop vite la rectitude de maintien qu'on prend le plus souvent, comme un masque, pour s'élever à la dignité d'un rôle tragique ; mais les négligences de sa tenue livraient passage à des éclairs sublimes de vérité, et ce n'était plus une actrice expérimentée qui les dégageait des situations pathétiques, c'était le personnage dont elle éprouvait réellement les passions, au lieu de les traduire. Pour la comédie, en revanche, son talent excellait par le côté sérieux qu'elle mettait en relief dans les scènes qui ne lui offraient pas l'occasion de toucher, d'attendrir l'auditoire, et son intelligence avait encore du cœur. Melle Dumesnil créa Mérope, entre autres rôles, et puis la Gouvernante de La Chaussée, l'un des grands-oncles de l'auteur du présent ouvrage.

Elle avait un défaut, il faut bien qu'on en passe à l'une des gloires de la scène ; mais ce défaut, qui se pardonne difficilement à une femme, était de boire comme un cocher : quand elle entrait en scène, son laquais l'attendait dans la coulisse, une bouteille à la main. Son talent avait besoin de ce genre d'excitation, si mal porté, et elle n'en jouait pas moins comme sa rivale, Melle Clairon, des princesses. Seulement Melle Dumesnil l'emportait dans les rôles de mère. Ne fut-elle même pas trop bonne mère dans la vie réelle ? Du moins elle avait eu un fils, qui devint riche lorsqu'elle cessa de l'être et qui ne lui en montra aucune gratitude. Retirée du théâtre en 1775, avec une pension de 5 000 livres, dont la moitié sur la cassette du roi, elle perdit à la Révolution presque toute cette rente, devenue sa seule ressource ; elle quitta Paris dans un état voisin de l'indigence et ne reçut que plus tard, à Boulogne-sur-Mer, quelques secours du gouvernement consulaire, puis mourut en 1803 dans sa quatre-vingt-onzième année.

Perrin :
Toutefois le fils de Melle Dumesnil, nommé Perrin, passait pour le plus riche habitant de Chaillot, où il pouvait tenir de son père la maison et le jardin dont Melle Dumesnil avait pu n'être jamais propriétaire en titre. Mais celle-ci avait eu pour sûr une maison à elle rue de Buci. L'avarice de ce Perrin portait à croire qu'il avait eu un père prodigue. Il avait rempli un moment les fonctions de maire sous la République, ce qui ne l'empêchait pas d'afficher sous Louis XVIII le zèle monarchique et la piété. Il s'en allait vêtu comme le jardinier qu'il avait pour valet de chambre ; mais il dînait souvent en ville chez un parent marié, que deux fois seulement par année il traitait chez Véry, et ces jours-là il changeait de nature en même temps que d'habitudes : Quand un ladre se déboutonne, disait-il au ménage qu'il régalait, on ne doit pas épargner sa bourse ; commandez, j'ai sur moi deux cents bons louis.

M. Lorin :
M. Lorin, fils de ces deux invités semestriels et neveu de leur amphitryon, a hérité des biens de son oncle ; dans cette succession, dit-on, il a figuré assez d'or et d'argent pour que M. Lorin en ait rempli trois grands fiacres, après avoir prudemment requis l'assistance de la gendarmerie pour escorter ces véhicules.

Le Dr Duval :
La résidence de feu Perrin est depuis vingt-trois ans une maison de santé, prévenant ou corrigeant les défauts apparents du corps et dirigée par le docteur Duval ; il y en a vingt-cinq que ce médecin est à la tête du traitement orthopédique dans les hôpitaux de Paris. C'est à M. le comte de Sérincourt que le docteur Duval paie actuellement le loyer des lieux qu'il occupe.

La construction n'y manque pas de grandeur, dans les deux acceptions du mot. Elle abritait sous la Régence, pendant tout ou partie de l'année, Maynand, seigneur de Fontenailles, conseiller au parlement de Paris ; elle fut ensuite restaurée pour la famille De Fontenay du Boullay, puis appartint à Bouret de Vézelay, financier qui sans doute n'était un étranger ni pour Perrin, ni pour sa mère. Un jardin magnifique, un air pur, une vue admirable en faisaient et en font encore un charmant hôtel de campagne, dont la haute porte a toujours pour sentinelle un sycomore, plus haut encore, qu'on rajeunit assurément en le traitant de centenaire.

Presque rien n'est changé dans les dispositions de l'intérieur et du jardin, depuis Mlle Dumesnil. Mêmes boiseries et bordures, autour des mêmes glaces. Dans les cheminées en marbre de Durance, le feu qui brûle sous le second empire semble avoir été allumé au commencement du premier. Ne dirait-on que l'absente s'y chauffera les pieds tout à l'heure, en revenant de sa répétition ? N'est-ce pas son carrosse qu'annoncent bruyamment les deux battants de la porte d'entrée ? Mais au théâtre il n'est plus d'amateur qui se rappelle encore cet interprète, en assistant à la reprise d'un chef-d'œuvre.

M. Delamarre :
La propriété adjacente donnait les Thomé pour voisins à la famille De Fontenay du Boullay. M. Delamarre, savant auteur d'études archéologiques sur l'Algérie, possède cet immeuble, et il y a formé un petit musée des plus intéressants, plus riche dans son genre que tout autre : une collection de chaussures algériennes en fait partie, au nombre de cent paires de modèles différents.

Le Dr Bouvier :
Au dernier siècle, M. Hersemule de la Roche a été maître du 28, qu'on regarde avec justesse comme bâti du temps de Sully. La forme du perron est presque une date. Un plant d'arbres en échiquier annonce aussi que le jardin attenant à cet hôtel était d'une importance qu'il n'a pas conservée : un grand parc s'étendait derrière ce quinconce, jusqu'au quai sur un large espace. Mme Albertine Say de Bellecote, baronne du Saint-Empire, vendait cette belle propriété en 1823 à Mme veuve Pérignon, mère de M. Edouard Pérignon, caissier central du Trésor, belle-mère du maréchal comte Dode de la Brunerie. Le docteur Bouvier en a fait une maison de santé, dont la spécialité est aussi le traitement des difformités de la taille : établissement orthopédique ailleurs, fondé en 1821.

La rue Basse-Saint-Pierre, rampe qui présente la forme d'un bras à demi-ouvert, s'est nommée des Égouts ; elle a aussi été coupée en deux à l'endroit où elle forme le coude, rue Basse-de-Chaillot d'une part, rue Saint-Pierre de l'autre.

Probablement la Ville de Paris, qu'on doit considérer maintenant comme un orthopédiste de premier ordre, taillera et rognera bientôt dans les immeubles de cette petite rue anguleuse. Nous sommes venu la confesser à temps.


 

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