Rues et places de Paris
Cette rubrique vous livre les secrets de l'histoire des rues et places de Paris : comment elles ont évolué, comment elles sont devenues le siège d'activités particulières. Pour mieux connaître le passé des rues et places dont un grand nombre existe encore.
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RUE LAPLACE,
naguère rue des Amandiers-Sainte-Geneviève,
Ve arrondissement de Paris
(D'après Histoire de Paris rue par rue, maison par maison, paru en 1875)

Notice écrite en 1855. Postérieurement la rue des Amandiers-Sainte-Geneviève, donnant presque en face de l'École polytechnique, a reçu le nom du géomètre Laplace, qui avait été président du Sénat sous le premier empire.

L'Auteur du Roman de la Rose :
P
hilippe le Bel chargea Jean de Meung, dit Clopinel parce qu'il boitait, de continuer le célèbre Roman de la Rose, commencé par Guillaume de Lorris. Ce poète, autre Tyrtée, parlait sans gêne des femmes et des prêtres ; ses licences ne l'empêchèrent pas d'être enterré vers l'année 1320 aux Jacobins. Il avait habité la montagne Sainte-Geneviève, près du Puits-Certain et de la cour d'Albret ; plus tard même on reconnaissait, au coin de la rue des Amandiers, la maison qu'avait dû occuper Jean de Meung dans celle d'un pâtissier, à l'enseigne de la Talmouse. Or l'auteur du Roman de la Rose n'avait connu que sous le nom de rue de l'Allemandier celle qui s'appela encore des Allemandiers avant de prendre, à la fin du XIVe siècle, la dénomination de la présente monographie. Les évêques de Nevers y avaient alors leur hôtel, à l'angle du cimetière de Saint-Étienne-du-Mont.

Le Collège des Grassins :
Le collège des Grassins y était fondé en 1569 par Pierre Grassin, sieur d'Ablon, conseiller au parlement, lequel par testament consacrait à cette œuvre 30,000 livres d'abord, puis 60,000 autres pour le cas ou son fils unique viendrait à mourir sans enfants. Ce fils cessa de vivre assez jeune et sans postérité, non sans avoir montré sa soumission aux volontés suprêmes de son père. Mais Thiéry Grassin, avocat, frère du conseiller au parlement, et ennemi des substitutions héréditaires, éleva des prétentions contraires. Il fallut un arrêt du parlement, chargeant le prévôt des marchands et les échevins de procédée à l'achat d'un terrain, avec la qualité d'exécuteurs testamentaires commis, pour que Thiéry, de guerre lasse, vînt à résipiscence, et une fois son parti pris il s'exécuta de bonne grâce. Lui-même choisit pour emplacement une portion de l'ancien hôtel d'Albret, dit de Blois, en la censive, justice, police, voirie, terre et seigneurie de Sainte-Geneviève, où il ouvrit le collège des Grassins. Qui plus est, il y mit du sien en léguant quelque rente et sa bibliothèque au principal et aux boursiers. Ses livres furent gardés avec une pieuse prédilection dans la chapelle tant que le collège subsista : c'étaient des éditions médiocres des Pères de l'Église et de quelques auteurs mystiques.

La pédagogie des Grassins se composait, à l'origine, d'un principal et de six grands boursiers, étudiants en théologie ayant déjà subi un examen, plus six petits boursiers d'humanités et de philosophie. Chacun des grands boursiers, suivant le vœu du premier bienfaiteur, avait à surveiller les études de deux élèves de la catégorie suivante. C'était un commencement d'enseignement mutuel, dont Pierre Grassin était le créateur. L'archevêque de Sens avait à nommer ces boursiers, et il devait les prendre de préférence parmi les pauvres écoliers de son diocèse. Il fallait que le principal fût docteur régent licencié, ou au moins reçu bachelier en la faculté de théologie de Paris.

En vertu de lettres patentes du mois de mai 1696, une fondation du même genre, faite en faveur de pauvres écoliers irlandais, fut transférée au collège des Grassins ; mais cette agrégation ne fut que temporaire, les Irlandais passèrent au collège des Lombards quatorze années après. Les écoliers de la rue des Amandiers étaient mal partagés à cette époque, malgré des libéralités nouvelles dont ils avaient été l'objet. Quelque temps le nombre de leurs bourses avait été croissant ; mais un arrêt du parlement en suspendit douze d'un seul coup pour que l'institution mit ordre à ses affaires. Un quatrième membre de la famille Grassin, seigneur d'Arci, directeur général des Monnaies de France, tint a prouver que bon sang ne ment jamais, en ajoutant au bienfait de ses aïeux ; les finances du collège s'en ressentirent favorablement ; toutefois, les bourses supprimées ne purent pas être rétablies. Le traitement du principal avait été réduit à 300 livres ; celui du procureur gérant, à 100. Le collège ne possédait, plus que cinq petites maisons et 246 livres de rentes sur les aides et gabelles : il fallait donc user de parcimonie. Le supérieur majeur de la maison était toujours l'archevêque de Sens ; son aveu était nécessaire pour que les dépenses imprévues excédassent par an 300 livres, et le censeur, officier révocable, avait besoin de la signature du principal pour toute somme à payer qui dépassait 30 livres, ainsi que pour toute action à intenter en justice. Grâce à ces précautions sévères, les bâtiments furent remis en état, et il y eut même, vers 1780, une somme de 10,000 livres, économisée par deniers, qu'on put placer sur les États du Languedoc.

Heureusement les études florissaient dans l'établissement de la rue des Amandiers, quel qui en fût le revenant-bon. Edme Pourchot, auteur de livres de philosophie, professeur aux collèges dés Grassins et Mazarin, fut sept fois recteur de l'université. Aux Grassins appartient l'honneur de l'initiative en ce qui regarde l'impression du livret de la distribution des prix. Pour exciter l'émulation des classes, le principal fit imprimer les noms de tous les lauréats de sa maison, depuis 1747 jusqu'à 1780, sais oublier les accessits : des lettres d'or distinguaient le prix d'honneur. Outre les huit chaires ordinaires, le collège était fier d'en avoir une de grec, fondée par le sieur Dairaux, principal, et qui était à la nomination du tribunal de l'université de Paris.

L'Élève Chamfort :
Il faut citer Chamfort parmi les écoliers auxquels il fut donné d'acquérir aux Grassins ce qu'il faut encore de culture à l'esprit le mieux doué pour se faire un nom dans les lettres. Un docteur de la faculté de Navarre, nommé Morabin, avait obtenu une bourse pour cet enfant pauvre, dont il avait été le premier instituteur. Comme Chamfort était né en Auvergne, il eût dû se voir préférer un élève des environs de Sens mais Morabin jouissait directement du crédit tout particulier qui n'échappe nulle part au secrétaire d'un lieutenant de police. On sait que l'élève ainsi tenu sur les fonts des humanités marquait ensuite comme poète, comme littérateur et comme ami de Mirabeau.

L'Hôtel du Principal et son Entourage :
Le dernier principal du collège fut l'abbé Neuville, à qui la Nation ordonna d'en fermer les portes.

Un de ses prédécesseurs, maître François du Moutier, avait laissé au commencement du règne de Louis XIV son nom à un hôtel situé par derrière et cet hôtel à ses héritiers. Une reconnaissance passée par ledit principal à l'abbaye Sainte-Geneviève avait eu pour objet : sis corps d'hôtel, une grande cour, une chapelle, plusieurs petites cours et un jardin, rien que pour le collège, avec seconde entrée par la rue des Sept-Voies. L'ancienne porte, rue des Amandiers, arborait en ce temps-là une Diligence pour enseigne, à cause d'un bureau de coches pour la province qui s'y tenait. Une maison adjacente, avec un Pélican pour image, appartenait aux Grassins. Le collège était mitoyen, de l'autre côté, avec l'Occasion, appartenant aux boursiers de l'Ave-Maria. Puis venaient : Saint-Nicolas, à Gérarde Batelard, veuve Regnault ; le Nom-de-Jésus, à Pierre Marchant ; Sainte-Geneviève, à l'avocat Veyras, faisant le coin de la rue, avec issue sur le cul-de-sac du Carrefour-Saint-Étienne. Trois maisons, dites Saint-Marc, Saint-Mathieu et Saint-Jean, précédaient cet hôtel. L'hôtel de Belle-branche, dont elles avaient fait partie, était presque à l'autre bout de la rue, et le Dauphin gardait l'encoignure.

Aujourd'hui les hospices possèdent, dans cette petite rue des Amandiers-Sainte-Geneviève, une bonne part de l'ancien collège, et la rue de l'École Polytechnique doit quelque chose à son jardin. C'est dans le fond de la maison principale qu'ont été faits par M. Leullier les premiers essais de bouillon en tablettes.

Pichegru. Une Gravure de Poncelin :
On rapporte que Pichegru, au mois de janvier 1804, s'y réfugia chez le nommé Leblanc, qui le trahit et qui le fit arrêter rue Chabannais. Le général Pichegru, conspirant le retour des Bourbons et la mort du premier consul, avait Moreau et Cadoudal, comme chacun sait, pour complices.

La grande porte des Grassins n'avait été celle d'un bureau de voitures qu'à l'époque où ils avaient dû se faire petits pour rétablir l'ordre dans leurs finances. Nous revoyons cette porte n°12. Mais comme la maison est appelée à disparaître au premier jour, ainsi que la plupart de celles de Paris qui nous rappellent quelque chose, nous renvoyons d'avancé les amateurs à l'Histoire civile, ecclésiastique, physique et littéraire de Paris, par Béquillet, parue en 1781 et ornée de planches par Poncelin. Le haut d'une jolie gravure à deux compartiments y représente la cour du collège, avec des écoliers qui jouent devant, leur chapelle à rosace, jadis bénite par un évêque de Digne sous l'invocation de la Vierge. Le soubassement de l'image donne la porte.


 

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