Rues et places de Paris
Cette rubrique vous livre les secrets de l'histoire des rues et places de Paris : comment elles ont évolué, comment elles sont devenues le siège d'activités particulières. Pour mieux connaître le passé des rues et places dont un grand nombre existe encore.
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Rue Riboutté, rue Bleue et passage Saulnier
IXe arrondissement de Paris
(D'après Histoire de Paris rue par rue, maison par maison, paru en 1875)

Notice écrite en 1857. Les n°s 36 et 38 sont maintenant des sentinelles perdues de la rue Bleue, au-delà de la nouvelle rue Lafayette. Celle-ci a fait jeter bas une douzaine de maisons, rue Bleue, et il ne s'en est relevé que trois.

Procès de la Distillerie. Comment beaucoup de Rues cessent d'être à la Mode :
En l'an de grâce 1818, le sieur Laugier obtenait la permission d'établir une distillerie rue Riboutté. Or cette petite rue, tracée sur des terrains acquis par l'architecte Lenoir et Riboutté, oncle ou père de l'auteur dramatique de ce nom, a été livrée à la circulation publique au mois de juin 1781, et elle a toujours eu pour déversoir la rue qui la reçoit dans ses bras jusqu'en la présente notice. L'enquête de commodo, qui avait précédé l'autorisation délivrée à Laugier, ne lui avait suscité en temps utile que cinq contradicteurs, propriétaires dans le voisinage, et le conseil de préfecture s'était borné, pour tenir compte de leurs objections, à ordonner que les cheminées de l'usine fussent disposées pour devenir fumivores L'année suivante, le ministre d'État, préfet de police, recevait, au sujet de l'usine de la rue Riboutté, une plainte appuyée d'un nombre beaucoup plus grand de signatures et de motifs.

Une fumée épaisse, y disait-on, incommode les trois rues voisines ; des écoulements infects et bouillonnants, qui ont, déjà brûlé les pieds d'une dame enjambant le ruisseau, inondent partie de la rue Bleue et de la rue du Faubourg-Poissonnière ; une fermentation constante de résidus rend, d'autre part, le quartier insalubre ; enfin, il y a chaque nuit des locataires, qui ne pouvant plus fermer l'œil à cause des travaux nocturnes de l'usine, se relèvent pour signifier congé comme un seul homme à des propriétaires consternés Malgré ces nouveaux griefs, le conseil d'État seul a le pouvoir de réformer la décision des conseils préfectoraux, et Laugier se flatte que les membres de cette assemblée y regarderont à deux fois avant de croire que des exhalaisons pestilentielles puissent émaner d'innocentes pommes de terre dont on tire l'esprit, pour en faire de, l'eau-de-cologne : Mais l'ouverture de la faillite du distillateur, en venant éteindre ses fourneaux et mettre à sec ses alambics, dispense les réclamants de donner suite à leur pourvoi. Le failli cherche en vain, après un intervalle d'environ une année, à rendre l'activité à ses travaux : une interruption de six mois suffit à rendre indispensable, en pareil cas, une autorisation nouvelle. Celle-ci lui est refusée, sur le rapport des architectes de la Ville et du conseil de Salubrité. Ainsi se trouve un tiers de la rue Bleue délivré d'un excédant de bruit, d'eau bouillante et d'ammoniaque, contre lequel ses habitants ont élevé, pour digue, un mémoire imprimé et illustré d'un plan, où figurent la maison et le nom de tous les opposants. Indications que nous allons être heureux d'utiliser l'une après l'autre.

Les considérants du mémoire se prévalaient à bon droit de ce que la rue Bleue tenait, à cette époque, au plus beau quartier de Paris. Par exemple, ce premier rang-là ne reste jamais longtemps à la même place. Chaque nouveau quartier n'atteint-il pas à son apogée un peu avant d'être bâti tout à fait ? Puis, sa planète décrit une courbe en se rapprochant du commerce, qui lui-même va du grand au petit. La rue trop neuve appartient aux petites gens et ne s'en débarrasse que si la mode veut bien passer par-là. Oh ! alors voilà une rue qui compte pour quelque chose dans cette réduction au procédé Colas que les gens du monde avouent leur tout Paris. On se dispute, sans regarder au prix, ses petits hôtels et ses appartements de tous les étages, tant que des femmes d'esprit et de jolies femmes y reçoivent et y sont reçues, avec cette radieuse élégance qui pare non seulement le salon, mais encore la maison et, qui plus est, la rue. Celle-ci, devenue passante, veut des boutiques, et souvent il en coûte de céder prématurément à cette envie. On diminue des cours, on en supprime, on se gêne dans toutes les maisons, et un jour de l'an vient où il est de mauvais ton d'avoir pareille adresse sur sa carte de visite. La plupart des locations n'étant plus que professionnelles, une porte cochère par-ci par-là ne risque pas grand chose à abriter l'une des petites industries dont les dernières bâtisses remplacent les échoppes. Ce terme est déjà, mis, rue Bleue, à l'exil de plusieurs marchandes de poissons frits et de beignets modeste profession qu'on oublie d'honorer, comme sa sœur l'agriculture, bien qu'elle soit dans les cités l'alpha dont l'industrie de luxe est l'oméga.

Procès Bony. M. Guisquet :
L
a friture ne manque ni à l'une ni à l'autre extrémité de la rue. De plus, nous trouvons actuellement, à l'angle de la rue Papillon, un restaurant qui a deux ailes, et dont l'enseigne emprunte sa forme, à gauche et sa couleur à droite ; c'est un papillon bleu, fixé sur un bouchon, mais sur un bouchon élégant, depuis le commencement du règne de Louis-Philippe. Avant que la maison fût bâtie, il y avait là une masure, servant de remise à maints tonneaux à bras de porteurs d'eau. Son propriétaire la vendit à un entrepreneur nommé Bony, moyennant une rente viagère, qui ne coûta pas cher à l'acquéreur, car le vendeur mourut vingt jours après la signature de l'acte ; et comme il fut prouvé que la maladie mortuaire n'avait pas été contractée avant la vente, Bony eut gain de cause dans son procès avec les héritiers du porteur d'eau.

Le 3, qui appartient à M. Liouville, bâtonnier des avocats, date de lieu d'années avant le procès Laugier, ainsi que la maison suivante ; MM. Leclerc et Dassel en étaient les premier propriétaires. Les jardins du maréchal Mortier, duc de Trévise, dont l'Hôtel ouvrait rue Riehel, s'étendaient de la rue à la cité qui, toutes deux, portent son nom ; seulement, sur le plan dont nous avons parlé ; une propriété remplit, du côté de la rue Bleue, la place de la cité Trévise, et sous le règne de Charles X, il s'y tint plusieurs réunions de la société Aide-toi, le ciel t'aidera. Là demeurait à cette époque M. Gisquet, qui était négociant avant de passer préfet de police, et qui s'est retourné vers l'industrie en quittant les affaires publiques. Dès le 27 juillet 1830, dans la journée, une affiche fut posée a la porte de M. Gisquet ; on y lisait « Dépôt d'armes pour les braves. »

.Mme Saint-Aubin :
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me veuve Saint-Aubin, pensionnaire du roi, ancienne actrice de l'Opéra-Comique, comptait parmi les signataires du mémoire relatif à la distillerie. C'était alors une bonne femme, dont la faconde intarissable survivait à un autre genre de fécondité ; elle avait eu beaucoup d'enfants, et de lits différents, bien qu'elle se fût marié une seule fois. Deux de ses filles avaient suivi leur mère devant la rampe ; l'une était Mme Duret, une autre jouait à ravir Cendrillon, et une troisième avait, mieux fait encore, elle avait épousé l'opéra-comique incarné, dans la personne de Planard, librettiste dont les nombreuses productions prouvaient aussi beaucoup de facilité. Mme Saint-Aubin disposait du n°6, aujourd'hui à M. Tattet. Le 8, précédé d'un jardin qu'a fait rentrer sous terre un fort magasin d'épiceries, répondait au nom de Laflèche, propriétaire au même temps.

Après avoir été une ou deux petites maisons de grand seigneur, le 7 et le 9 appartenaient sous Charles X à la comtesse de Vauguyon et à M. Sennegon, ancien juge ; un maître de pension tient aujourd'hui à bail un de ces numéros, de M. le comte de Vaufreland. Puis vient une propriété dont l'un des trois Berton, compositeurs de père en fils, disposaiten l'an 1824. Elle a servi de marraine à la rue Bleue, nous allons dire comment.

La Contesse de Buffon :
A
u XVIIe siècle, la rue n'était encore qu'un marais cultivé et divisé, auquel on appliquait son ancienne dénomination de marécage, Vallis ad Fanas, autrement dit Vallaroneux, vallée aux Grenouilles, et qui relevait principalement du chapitre de Sainte-Opportune. Dès 1714 cette rue portait le nom d'Enfer, bien qu'elle fût sans maison, sans lanterne, et qu'une levée seulement y livra passage au public ; toutefois un acte du notaire Devier la traitait encore en 1770 de « marais situé à la Nouvelle-France au lieu dit Vallaroneux ; » ce qui nous rappelle que le droit est en retard quelquefois sur le fait. Le voisinage des Porcherons et d'une caserne rendait assez bruyante cette chaussée, sans compter Ies lieux de plaisance qu'y établirent des gens de qualité, pour justifier l'autre dénomination, qui eut ensuite le malheur de déplaire à la comtesse de Buffon : Cette bru de l'illustre écrivain demeurait au n° 11. « Tel père, tel fils » est un proverbe qui doit bien plus de soufflets qu'il n'est gros, si chaque, démenti en vaut un ; par exemple, le fils du prince des naturalistes n'avait absolument d'un aigle que l'aire dans laquelle il était né ; il en avait déjà fait par lui-même un nid relativement obscur au moment où les serres du duc d'Orléans, plus tard Philippe-Égalité, vinrent y fondre sur une proie quasi royale. La charmante Mme de Buffon était un blanc-manger digne de la friandise princière, et le petit-fils du régent, qui en soupait, ne trouvait lui-même nul rapport entre ce fruit défendu et l'enfer. – Comtesse dit-il un jour, vos beaux yeux savent changer, l'enfer en paradis, et ils sont bleus. Voulez-vous que la rue prenne la même couleur ? L'enfer en sent jaloux comme le diable ; mais j'ai par-là, grâce à Cagliostro, assez de crédit pour arranger l'affaire.

Que si le mari de cette dame ne se distinguait pas du commun des martyrs par la pénétration de son esprit, il était, en revanche, bien fait de sa personne, et le cœur ne lui manquait pas : lorsqu'il finit par apprendre lui-même, après une quantité d'indifférents, que sa femme était la maîtresse affichée du duc d'Orléans ; il devint impossible de croire qu'il en avait pris son parti. Rendre son régiment au prince, qui l'avait fait colonel des dragons d'Orléans, fut un devoir bientôt accompli. Plus tard Philippe Égalité, députe à la Convention, se montra promoteur ardent de la loi du divorce, et le citoyen Buffon, qui prit cela pour une compensation à son adresse, fut le premier à profiter d'urne faculté qui lui permit de convoler avec la jeune Betzy d'Aubenton. Malheureusement le ci-devant marquis a péri révolutionnairement, en laissant à la fille du savant d'Aubenton, presque aussitôt veuve que mariée, toute la fortune de son père, notamment la terre de Montbard, où cette seconde comtesse de Buffon est morte vers la fin du règne de Louis-Philippe.

Quant au duc d'Orléans, il a tenu parole à la première, la rue d'Enfer ayant changé de nom. MM. Lazare frères, nos devanciers, attribuent, il est vrai, l'honneur d'avoir tenu la rue Bleue sur les fonts aux sieurs Story, et Wuy, fondateurs d'une manufacture de boules bleues. Seulement la rue déjà était vouée a cette couleur par sa propre dénomination, lorsqu'une ingénieuse industrie y fut créée pour suppléer à l'indigo, dont on était privé en France par le blocus continental.

De cette origine, qui n'est pas encore séculaire, revenons à celle du vallon aux Grenouilles. Quand cette étendue de terrain, abreuvée par des eaux sans écoulement, fut-elle convertie en des pièces de terre où l'on faisait venir des herbages et des légumes ? Probablement au XVIe siècle. Nous avons recueilli, d'ailleurs, sur cette ancienne colonie de batraciens, depuis que la terre fermé y prenait le dessus, sur la mare, des notes dont la place est ici.

Année 1532 :« Antoine Becquerel, praticien, au nom et comme procureur de Jehanne Chevallier religieuse, humble prieuré en l'esglise et monasterre des Filles-Dieu, rend hommage et reconnaît devoir le cens aux chanoines de l'esglise Madame Saincte-Opportune pour 13 arpens ou environ, assit ès-fauboutg de Paris sous la porte Sainct-Denis, au lieu dict le Vallaroneux, tenant d'une part à la veuve Chesnard, d'austre part au chemin tendant aux terres Sainct-Lazare et d'austre bout aux esgoux. »

Même année : – « Honorable Henriette Féron, femme de Dumoustier, bourgeois de Paris, et veuve de Jehan Pottier, se reconnaît, détemptrice, dans la mesme seigneurie et censive, d'un quartier et marrais au coin devers Sainct-Lazare, scis au lieu Levallaronez, tenant d'une part à Jehan Pinard, chanoine de Sainte-Opportune, d'austre part au chemin des Poissonniers, aboutissant d'un bout à Jacques Bisson et d'austre bout aux Fossez Saincte-Opportune tendant du RoulIe à Sainct-Lazare. »

Année 1670 : – Jean Saulnier et Michelle Baudin, sa femme, vendent à Etienne Pévrier et à Elisabeth Cadet, sa femme, deux pièces de terre, dont l'une d'un demi-arpent, tenant à l'abbesse de Montmartre, à Pierre Blanchard et au chemin des Porcherons à saint-Lazare. Les deux lots ont appartenu antérieurement à un autre Jean Saulnié, l'aïeul dudit vendeur.

Année 1685 : – Etienne Pévrier, jardinier, au nom et comme tuteur d'Élisabeth Pévrier, « fille de luy et deffuncte Elysabeth Cadet, » passe reconnaissance, conjointement avec des Baudin et des Porcher, entre les mains du bailli de Sainte-Opportune, pour un demi-arpent et un demi-quartier de marais, scis au clos Cadet, terroir des Porcherons, tenant d'un côté à Antoine Dufresnoy, à cause de Jeanne Cadet, sa femme, d'un autre côté à Caignet, aboutissant par-ci aux héritiers d'Edme Ranier, par-là au chemin de Saint-Lazare aux Porcherons. Les deux pièces qui font l'objet de cette déclaration censuelle provenaient d'Elisabeth Cadet ; elles ne différaient sans doute en rien des deux morceaux de terre acquis par celle-ci en 1670. Cette portion de l'ancien clos Cadet est actuellement bordée par des numéros pairs de la rue Bleue.

Même année : – Haute et puissante dame Marie-Anne de Lorraine, abbesse de l'abbaye royale de Montmartre, dame dudit lieu, de Clignancourt, des Porcherons en partie et d'autres lieux, rend aveu de bonne grâce, à ses co-seigneurs des Porcherons en raison d'un arpent de marais auxdits Porcberons, lieu dit Vallaroneux ; elle y a pour tenants d'une part Jean Saulnier et Charles Delaporte, jardiniers, d'autre part le greffier au Châtelet Tauxier et Ranier, entre les égouts et le chemin du Roule à Saint-Lazare.

Année 1690 : – Très Honorable dame Jeanne de Saveuse, veuve du comte de la Mark, maréchal-de-camp, colonel du régiment de Picardie, demeurant à l'Hôtel de Bouillon, rue du Mail, remplit la même formalité en raison d'un arpent et demi, en plein Vallaroneux. Ses tenants et aboutissants sont : l'égout de la ville, François Serche et Jean Duclos, tous deux bourgeois de Paris, Réné Cliquot et le chemin qui conduit de la porte Montmartre à Clignancourt. Cette comtesse est l'héritière unique de sa mère, Magdeleine Violle, veuve de Henri de Saveuse, marquis de Bougainville. Nous retrouverions de son terrain une lisière rue Richer, une autre rue Cadet.

Année 1694 : – Mathieu de Montholon, conseiller au Châtelet, déjà propriétaire à cause de sa femme, Marie Panier, de ce qu'on appelle surtout le clos Cadet, 8 arpents clos de murs avec une maison en vue. de la place Cadet, y a joint par-derrière 70 perches, achetées d'Anne et d'Élisabeth Pévrier. Sa femme lui a de plus, apporté 5 arpens presque contigus, entre Caignet, Mme de Montmartre et la rue du Faubourg-Sainte Anne (alias du Faubourg Poissonnière). Du tout il passe reconnaissance.

Année 1708 : – Jacques Leclerc est à la tête d'un hôtel, pourvu d'un vaste jardin, qui nous paraît faire suite au clos Cadet, à titre de mitoyenneté, si ce
n'est de substitution. La même propriété sans doute se trouvera ; une quarantaine d'années plus tard, à la disposition de Mme Hurtin, née Marie-Denise Leclerc.

Mais il nous convient mieux qu'il y en ait deux. Plus de place y reste disponible pour Adrien Rouen, tout à la fin du règne de Louis XIV, puis pour les frères Lecoq, Claude et Antoine, en 1728.

Année 1720 : – Un Saulnier, jardinier, est propriétaire de l'emplacement qu'occupent maintenant les premiers numéros impairs de la rue.

Année 1736 : – Sur la même ligne est un hôtel, avec jardin, à Jean-Réné Saulnier, et cela va jusqu'au. nouvel égout (dont la rue Richer prendra la place). Pierre et Michel Saulnier, qui succèdent à ce propriétaire l'année suivante, seront eux-mêmes remplacés, à quatorze années de là, par un nouveau Jean-Réné de leur famille.

Année 1738 : – Le 12 août, frère Estienne Boulloy, de la congrégation de la Mission de Saint-Lazare-lès-Paris, au nous et comme procureur de Dlle Marie-Madeleine Brochet, fille majeure, confirme aux seigneurs chanoines le tribut qui grève un terrain de 70 perches, à l'endroit appela les Vaularneux. Cette propriétaire tient à Jean Transvache, à Duplessis et à l'égout.

Année 1745 : – Un jardin et un marais appartiennent au jardinier Villon, qui compte parmi ses prédécesseurs Louis Haran et Pierre Haran.

Rouget de Lisle. Le Bourreau. Barras. La Comtesse Desroys. Catherine. Mme la Comtesse de Pritelly :
D
e plusieurs de ces documents il apparaît que le passage découvert du nom de Saulnier aurait pu être percé par les ancêtres de Rigoulot-Saulnier, sur la présentation de qui son entrée ne se fit dans la rue Bleue que six années après l'entrée de la rue Riboutté. Le populaire Rouget de Lisle habitait le n° 21 du passage Saulnier en 1825, et il y publiait 50 Chants français, dont il avait composé la musique sur les paroles de divers auteurs. L'Empire n'avait rien fait de plus que la Restauration pour l'auteur de la Marseillaise, qui ne fut pensionné que par le roi Louis-Philippe.

C'est approximativement que nous avons désigné rue Beauregard l'ancienne maison du bourreau. Les vieux préjugés s'en vont, dit à chaque instant le sage, four en introduire de nouveaux ; mais, en réalité, on se contente d'en augmenter le nombre, et si nous respections tous ceux du jour, nous aurions trop à regretter la liberté des écrits d'autrefois. Il est donc parfois expédient de s'en tenir aux anciens errements. Comment des habitants de la rue Beauregard auraient-ils reçu là nouvelle que leur propre maison avait été la demeure de la famille Sansoni, d'origine italienne, dite Sanson dès le règne de Louis XIII, dont l'un des membres était devenu exécuteur des hautes-ouvres, commissionné par le duc de Lorges, grand-justicier du roi ? Cette rue faisait partie de la Ville-Neuve, quartier s'ajoutant à la grande ville, et il n'était antérieurement permis au bourreau de demeurer en deçà des limites urbaines que dans la maison du pilori, où logement lui était donné pas ses provisions, comme, le rappelait un arrêt du parlement du 31 août 1709. On ne lui délivrait en ce temps-là ses lettres de provision, une fois scellées, qu'en les jetant sous la table, où il était forcé de les ramasser à genoux. Or Caignet, bourgeois de Paris, avait vendu dès l'année 1708, à Charles Sanson, officier du roi, une maison foraine, au coin de la rue d'Enfer et de la rue du Faubourg-Saint-Anne, dit la Nouvelle-France, une maison avec un petit jardin de 2 arpents par-derrière. Sur chacune des deux rues donnait une des deux portes de la propriété.

Charles-Henri Sanson naquit, dans cette maison de la banlieue chez son père, en l'année 1740. A cette époque le bourreau et les siens avaient une sépulture particulière à Saint-Laurent ; le revenu de la place s'élevait à 30,000 livres, grâce au droit de navage, prélevé sur le débit des comestibles dans la ville. Les fermiers-généraux se bornèrent à rogner ce traitement considérable en faisant substituer au droit de ravage, lors de l'avènement de Louis XVI, 16,000 livres d'appointements fixes. L'entretien de I'échafaud et du pilori coûtait 2,000 écus de surplus par an. Quelques années avant cette modification purement financière, Charles-Henri avait succédé, comme fonctionnaire, à l'auteur de ses jours. C'était, dit-on, un homme pieux et doux ; il n'habitait déjà plus la maison de la rue Bleue qui se trouvait près de la rue Riboutté, mais qui a été démolie circonstance qui nous laisse plus de latitude ici que rue Beauregard. Immédiatement après l'exécution de Louis XVI, M. de Paris tomba malade, et à son tour il transmit la place à son fils, par les mains duquel passèrent la reine, la sœur du roi, Philippe-Egalité, etc.

Le général Dalton, quelque temps gouverneur d'Alger, n'en a pas moins habité le 14, appartenant au sieur Cattu et bâti, ainsi que le 16, à la place du logis de M. de Paris. Un des appartements du sieur Boucou, au n° 18, était un peu plus tard occupé par Fétis, fils et père de musiciens, compositeur lui-même. Le 20 a été édifié en 1810 par le père de M. Saussine, ami de M. Lemorcier, qui avait demeuré à l'hôtel de Trévise, même rue ; dans la maison. Saussine s'est abrité cinq ans ensuite Barras, qui avait passé les Cent-jours dans sa belle terre des Aigalades, maintenant à M. jules de Castellane. Ses déceptions, plutôt que ses plaisirs, avaient déjà fait vieux l'ancien membre du Directoire ; cachochyme et morose, il se souvenait mieux de Bruxelles, roche Tarpéienne de l'exil, que des grandeurs et des fêtes du Luxembourg, son Capitole.

Après M. de Rubempré, dont l'immeuble se trouvait aux n°s 13 et 15 d'aujourd'hui, venait M. Thomas, dont le fils est maintenant le président de la chambre des notaires et garde son étude au n° 17. Deux vernes du Japon, plantés sous le premier, empire, précèdent le bâtiment du fond, que M. Thomas père inaugura vers 1793. Une portion de la maison a été édifiée avec les pierres des maisons démolies dans la rue Saint-Nicaise, à la suite de l'explosion qui avait menacé les jours du premier-consul. Parmi les locataires qui y ont laissé trace de leur passage, il convient de citer le général Taviel, président de la commission à laquelle le général Drouot dut son acquittement, sous la Restauration, et Oberkampf, fils de l'introducteur en France de l'industrie des toiles peintes. Celui-ci a rendu le dernier soupir en 1836 ; dans un appartement où avait résidé la veuve de l'illustre général Hoche. La comtesse Desroys, fille du même général, était d'une rare beauté et vivait auprès de sa mère. Bien peu de temps après les journées de juillet 1830, elle reçut une visite, trop longue pour être cérémonial, du nouveau roi, qui, pour cette fois seulement, suivait un chemin autrement familier à son père, le duc d'Orléans. C'était encore se conduire en jeune et galant prince, et on a remarqué depuis que Sa Majesté, pour mieux se garder d'elle-même, ne sortait plus qu'avec escorte. Grâce a cette galanterie d'exception, la rue Bleue prit sa part du plaisir d'être représentée dans l'un des grands çorps de l'Etat ; la haute chambre législative ne tarda pas à recevoir dans son sein un nouveau membre, le comte Desroys.

Du 22 que vous dire ? Mme Constant-Prévost, veuve d'un savant, jouit de cette propriété, qui est l'une des douairières de la rue et qui avait pour maître M. Bévière il y a trente-sept ans.

Sous le toit du 24 expira l'amiral Rolland. Un jardin, du côté de la rue de Trévise, arrondissait autrefois le 25, domicile mortuaire de l'amiral Delsaigne, qui avait pris et repris la Guadeloupe. Au 27 se rattache encore le nom d'un fameux carrossier, dont le neveu a été l'héritier, ce qui est d'un exemple fort salutaire à proposer aux oncles qui seraient portés à ériger leur gouvernante ou l'Institut en légataire universel. Catherin était premier garçon chez Hariether, carrossier rue Feydeau, qui fut empoisonné, probablement par un de ses confrères, en Espagne, où il allait livrer des voitures de gala aux grandesses et à la cour ; ce sinistre fit monter Catherin sur ses propres chevaux ; du moins il passa maître et devint le fournisseur par excellence des carrosses si bien dorés des maréchaux et des sénateurs, qui t'avaient pas encore le droit de se rendre aux Tuileries dans des coupés couleur de suie et grands comme des chaises à porteur.

Du 29, numéro final pour cette notice, dispose M. Baleine. M. Rousseau n'a pu savoir si ce propriétaire est fils ou neveu de certain traiteur du même nom, illustré par les chansonniers quand on chantait, ou peut-être lorsque les traiteurs le méritaient. La mère d'un de nos jeunes généraux, dont la bravoure a jeté le plus vif éclat en Afrique, Mme la comtesse de Pritelly, en premières noces Mme Fleury, a longtemps habité cette maison, qui la regrette. Non loin de Mme de Pritelly séjourne un charmant écrivain, Léon Gozlan, qui honore de son amitié l'auteur des Anciennes Maisons de Paris.


 

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