Rues et places de Paris
Cette rubrique vous livre les secrets de l'histoire des rues et places, quartiers de Paris : comment ils ont évolué, comment ils sont devenus le siège d'activités particulières. Pour mieux connaître le passé des rues et places, quartiers de Paris dont un grand nombre existe encore.
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PLACE DE L'HÔTEL-DE-VILLE
(D'après Les rues de Paris. Paris ancien et moderne : origines, histoire, monuments, costumes, mœurs, chroniques et traditions, sous la direction de Louis Lurine, paru en 1844)


Place de l'Hôtel-de-Ville de Paris

La place de Grève rebaptisée place de l’Hôtel-de-Ville en 1830, était une ancienne grève, où il était facile de décharger des marchandises arrivant par la Seine. On y construit un port remplaçant celui de Saint Landry de l’île de la Cité. Le port de la Grève devient le plus important de Paris. On y décharge bois, blé, vin, foin, permettant ainsi l'établissement d’un marché. La Place de Grève devient le cœur de la ville. L’installation de la municipalité en 1357 en fait le cadre des grandes manifestations : les fêtes, les révoltes, les révolutions, les exécutions capitales jusqu’en 1830.

A la naissance même de Paris, dès les premiers vagissements de l'antique Lutèce, nous voyons se former et s'établir cette prépondérance d'un endroit sur tous les autres. Une troupe d'hommes actifs et laborieux sort des forêts druidiques pour chercher un bien-être qu'elle ne trouve plus dans ces sombres retraites. Le fleuve attire d'abord leurs regards ; leurs rudes instincts devinent tout de suite les avantages de ce moyen de communication ; ils ont compris ce que Pascal dira plus tard : Les rivières sont des chemins qui marchent.

C'est sur la Grève que se posent les premières cabanes ; les îles du fleuve voient construire les premières habitations, et lorsque tant de splendeur et de magnificence, à travers des phases si multipliées, si agitées et si diverses, auront remplacé ces humbles demeures, la Ville reconnaissante gardera pour emblème le signe de son origine, et le vaisseau d'argent dira sur l'écusson de Paris, qu'il fut fondé par une colonie de bateliers et de pêcheurs. Sur la rive se dressera le palais de la Cité, et c'est là, en face de l'édifice municipal, qu'éclateront en cris d'allégresse ou en sanglots toutes les joies et toutes les souffrances du peuple.

C'est là aussi qu'il viendra tour à tour menaçant, irrité, calme, superbe, fort, puissant, résigné, exalté, abattu, vaincu ou triomphant, paisible ou tourmenté, sage ou en délire, réclamer ses droits, conquérir ses franchises, honorer la vertu, châtier le crime, gémir sur des désastres et célébrer ses fêtes, commencer, continuer et accomplir toutes ses révolutions.

L'histoire de la place de l'Hôtel-de-Ville n'est pas seulement le premier chapitre de l'histoire de Paris dans son existence comme cité : c'est le sommaire le plus complet de l'histoire de France. Les premiers droits de la cité parisienne furent ses privilèges de commerce et de navigation sur la Seine ; la conquête et toutes les dominations qui se succédèrent ne purent anéantir ces franchises qui devaient être à fa fois si fécondes et si stériles, mais qui furent toujours le gage assuré de son indépendance et de sa prospérité.

La place de l'Hôtel-de-Ville a une figure qui lui est propre, sa physionomie est étrangement expressive, elle n'a laissé altérer aucun de ses traits, elle porte un de ces vieux visages dont chaque ride atteste le passage d'une passion.

Sa situation tient à l'origine même de Paris ; dans les îles qu'elle regarde et sur les rives qu'elle touche, des huttes de pêcheurs ont tracé la première enceinte. Vis-à-vis d'elle sont nés les monuments, qui témoignaient d'une grandeur future. Les églises, les monastères, le palais des rois, les asiles ouverts à la souffrance et à l'infortune, les grands logis de la noblesse, la maison de justice, les entrepôts des marchands et la maison des bourgeois se groupèrent autour d'elle ; elle

Place de l'Hôtel-de-Ville
devint le forum naturel de cette ville qui commençait à se montrer si puissante ; le rôle qui lui appartenait dans l'histoire de Paris lui fut promptement tracé, et rien n'a pu l'en faire dévier.

Qu'importent les récits de la tradition qui ont sèchement enregistré des titres d'acquisition, de transmission et de propriété, comme s'il ne s'agissait, dans l'existence de l'Hôtel-de-Ville de Paris, que de constater la légitimité du domaine ? Les bourgeois eurent d'abord une maison de la marchandise ; en 1357, ils achetèrent une maison qui avait appartenu à Philippe-Auguste ; on l'appelait la maison aux piliers, parce qu'elle était soutenue par de gros piliers ; on la nommait aussi la maison du dauphin, parce qu'après avoir été prise par Philippe de Valois à la reine veuve de Louis-le-Hutin, elle avait été donnée à Guy, dauphin de Vienne.

Réparée par les soins des prévôts des marchands et des échevins, cette maison, qu'on appelait indifféremment maison de Ville ou maison de la Prévôté, fut, en 1368, ornée de peintures par Jean de Blois. En 1380, sous le règne de Charles VI, deux cents Parisiens, habitants notables, réunis sous la présidence du prévôt des marchands, y faisaient entendre leurs doléances contre les violences exercées par les parents du roi. En 1533, Pierre de Viole, prévôt des marchands, posait la première pierre de l'Hôtel-de-Ville ; en 1555, Dominique de Cortone en poursuivait la construction ; en 1605, il était achevé par Dominique Bonardo, sous l'édilité de François Miron, prévôt des marchands.

En 1801, lorsque la préfecture du département de la Seine prit possession de l'Hôtel-de-Ville, l'édifice fut agrandi par la démolition de l'église de Saint-Jean-en-Grève et d'une partie des monuments de l'hôpital du Saint-Esprit. Aujourd'hui, des travaux considérables ont doublé son étendue, régularisé sa forme, et on fait de loyaux efforts pour donner à l'Hôtel-de-Ville de Paris des dehors dignes de la capitale de la France.

Par une belle et radieuse matinée de printemps de l'année 1381, une foule considérable était rassemblée à la halle de Paris, et dans les rues étroites qui entouraient ce vaste marché ; il y avait là force bourgeois et manants ; les marchandes s'étonnaient de cette affluence extraordinaire, et composée de gens qui paraissaient occupés de tout autre chose que de faire leurs provisions. Des groupes se formaient ; l'inquiétude, une anxiété universelle et des signes non équivoques de mécontentement se manifestaient partout ; on entendait déjà gronder la tempête populaire.

Ils sont sans pitié, disait à ceux qui l'entouraient un marchand drapier ; ils nous accablent d'impôts, et je sais de bonne part qu'ils viennent encore de décréter de nouvelles taxes.
Ils n'oseront pas les demander ! s'écria avec véhémence un boucher.
Bah ! ils oseront tout ! Est-ce qu'ils ne sont pas les maîtres ? – Nous verrons bien, murmuraient. quelques voix...
Vous verrez, reprit un homme au visage pâle et austère, vous verrez la ruine de la France, la nôtre, et celle de nos familles...
Nos braves échevins ne le souffriront pas, répondirent quelques bourgeois.
Vos échevins ! Quel mal ont-ils empêché ? Ne se sont-ils pas toujours contentés de satisfactions vaines, et n'ont-ils pas toujours blâmé nos efforts ?... Ah ! s'ils avaient laissé agir le bon peuple de Paris, ces princes qui ont déjà volé la couronne ne nous voleraient pas nos franchises, nos privilèges et notre argent.

Ce dernier mot produisit la commotion la plus vive ; une clameur haute et terrible s'éleva de toutes parts ; des cris partis de différents endroits lui répondirent, et il sembla que cette multitude allait s'ébranler. Aussitôt quelques hommes se détachèrent des groupes et se hâtèrent de calmer cette irritation ; ils étaient accueillis avec impatience : mais l'autorité qu'ils exerçaient n'était point méconnue : c'étaient des bourgeois notables qui, par dessus toutes choses, redoutaient la sédition.

– Écoutez, dit un d'entr'eux, le roi Charles VI...
– C'est un enfant, il n'a pas quatorze ans.
– Mais...
– Ses oncles règnent en sa place ; le duc d'Anjou, le régent, dont la cupidité est insatiable, ne rêve qu'impôts et taxes, et, après nous avoir tout pris, il prétend fouiller nos maisons pour nous enlever jusqu'à nos dernières ressources.
– Ces mesures ont trouvé de l'opposition dans le conseil.
– Et que lui importe, à lui, qui brave toutes les volontés ?
– Il y a eu des remontrances...
– Des pleurs d'enfants qu'on n'écoute pas.
– L'impôt ne sera pas exigé...
– Et si je vous disais, maître Michaud, qu'il est déjà vendu à ceux qui doivent le percevoir, et que M. le duc d'Anjou a déjà touché le prix des taxes qu'il a cédées.
– Parlez plus bas, maître Bernard, j'aperçois des hommes de la cour.

Effectivement, quelques personnages portant, comme marque distinctive de leur noblesse, des chaînes d'or, parcouraient les groupes des bourgeois, sans parler, mais écoutant tous les propos ; des archers se tenaient prêts à recevoir leurs

Place de l'Hôtel-de-Ville de Paris

ordres : c'étaient des officiers du palais.

Cependant, l'émotion de la foule se calmait ; des paroles rassurantes avaient dissipé les craintes et apaisé les ressentiments ; déjà le calme se rétablissait, lorsque parut tout-à-coup, au milieu de la halle, un homme à cheval. Il portait une armure complète, mais sombre, sans devises et sans armoiries ; la visière de son casque, à demi baissée, laissait à peine voir les traits de son visage ; il tenait à la main droite un clairon, et sonna une fanfare qui attira autour de lui toute la population.

Lorsque le silence fut établi, il annonça que des voleurs venaient d'enlever les diamants de la couronne, et que dix marcs d'or étaient promis à ceux qui aideraient à découvrir les auteurs de ce vol... Puis, profitant de la surprise que causait cette proclamation, il ajouta, avec une voix qu'il sut rendre étrangement éclatante et formidable : « Et demain, habitants de Paris, l'impôt sera perçu ! »

Après avoir prononcé ces paroles, il perça la foule et partit au grand galop de son cheval, avant que les archers aient pu seulement faire une démonstration contre lui.

Ces mots soulevèrent la multitude ; elle s'émut comme un seul homme, et avec des cris horribles, elle s'élança vers les quais, et au-dessus de cet immense tumulte on entendait ces mots : « A l'Hôtel-de-Ville ! » En un moment le flux populaire remplit toute la place de l'Hôtel-de-Ville ; il y arriva par le côté qui fait face à l'édifice. On se précipita vers les portes, elles furent brisées et enfoncées ; on s'arma des maillets de plomb que Charles V avait fait fabriquer, et qu'il avait déposés là comme dans un arsenal ; puis, avec d'épouvantables clameurs, on se retira dans toutes les directions, rompant et mettant à sac tout ce qu'un caractère royal signalait à la haine du peuple.

A l'un des angles de la place de l'Hôtel-de-Ville, on voit encore la tourelle, d'où un homme vêtu d'une longue robe noire, et le visage caché sous un capuchon rabattu, donna à cette multitude furieuse le signal du départ, en frappant lui-même avec un lourd maillet trois coups dont la muraille a longtemps gardé l'empreinte. Ce fut la première journée des maillotins.

 


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