Vie quotidienne a Paris
Cette rubrique vous livre les secrets de la vie quotidienne d'autrefois à Paris, consignant les activités, moeurs, coutumes des Parisiens d'antan, leurs habitudes, leurs occupations, leurs activités dont certaines ont aujourd'hui disparu. Pour mieux connaître le Paris d'autrefois dans sa quotidienneté.
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Le monarque. Mobilité du gouvernement. Les espions
(D'après Tableau de Paris, par Louis-Sébastien Mercier, paru en 1782)

Le roi est pour les parisiens ce qu'est le modèle au milieu d'une académie de dessinateurs. Chacun dans la capitale s'évertue à faire son portrait : on le crayonne, on le représente sous toutes les faces ; et le plus souvent le portrait est manqué et fort peu ressemblant. Ceux qui sont éloignés ne voient que les principaux traits qu'apporte la renommée, et son bruit est vague. Ceux qui l'approchent, voient l'extérieur de l'homme, et les traits fins leur échappent. Entendez le valet qui le déchausse, le courtisan qui le suit à la chasse, le soldat qui combat pour lui, le magistrat qui vient avec des remontrances, l'homme de lettres qui le guette, le philosophe qui le plaint, le peuple qui le juge par la valeur des denrées : autant de portraits différents ; personne ne lit au fond de son âme ; c'est au temps que le portrait fidèle doit appartenir. Quel homme néanmoins est plus en vue et paraît plus propre à être saisi ? Le vrai caractère de Louis XV n'est-il pas encore pour nous une espèce d'énigme vraiment indéchiffrable ?

Mobilité du gouvernement.
Un étranger à Athènes, s'étant assis pour voir un ballet, aperçut cinq masques, cinq habits et un seul danseur. Qui fera, dit-il, les autres personnages ? Le même homme, lui répondit-on. Le même homme ! Il a donc dans un seul corps plusieurs âmes. Tel est le gouvernement français . Excellent pantomime, et jouant tous les états, il est successivement militaire, homme de loi, financier, banquier, prêtre ; je l'ai vu même, auteur pendant quatre ou cinq mois ; car il fit cent brochures, détestables à la vérité : mais ce rôle-là lui va plus mal que les autres. Faut-il s'étonner après cela si l'on trouve à Paris beaucoup de personnes du caractère d'Alcibiade qui, vain, brillant, propre à revêtir toutes sortes de caractères, aimait la représentation et tout ce qui attirait l'œil du vulgaire, était enfin plus sensible à la réputation d'homme d'esprit qu'à celle de bon citoyen.

Les espions.
Quand le parisien n'aurait pas la légèreté qu'on lui reproche, il l'adopterait par raison. Il marche environné d'espions. Dès que deux citoyens se parlent à l'oreille, survient un troisième, qui rode pour écouter ce qu'ils disent. C'est un régiment de curieux que celui des espions de police ; avec cette différence, que chaque individu de ce régiment a un uniforme particulier qu'il change chaque jour ; et rien de si prompt et de si étonnant que ces sortes de métamorphoses. Celui qui porte une épée le matin, prend le soir un rabat ; tantôt il représente un paisible robin en cheveux longs, tantôt un spadassin l'épée sur la hanche ; le lendemain, ayant en main une canne à pomme d'or, il figurera un financier uniquement occupé de calculs ; les travestissements les plus bizarres ne lui coûtent rien. Il est dans la même journée, chevalier de saint louis et garçon perruquier, prieur tonsuré et marmiton.

Il visite le bal paré et le tripot le plus infect. Tantôt le diamant au doigt, tantôt la plus sale perruque sur la tête, il change presque de physionomie comme d'habillement ; et plus d'un enseigneraient à Préville l'art de se décomposer ; il est tout yeux, tout oreilles, tout jambes ; car il bat, je ne sais comment, le pavé des seize quartiers. Tapi quelquefois dans le coin d'un café, vous diriez un homme lourd, triste, ennuyeux, qui ronfle en attendant le souper : il a tout vu, tout entendu. Une autre fois, il est orateur, il a rendu le premier des propos hardis, il vous sollicite à vous déboutonner, il interprète jusqu'à votre silence ; et que vous lui parliez, ou que vous ne lui parliez pas, il sait ce que vous pensez de telle ou telle opération.

Tel est l'instrument universel dont on se sert à Paris pour pomper les secrets ; et c'est ce qui détermine plus volontiers les actions des ministres, que tout ce qu'on pourrait imaginer en raisonnements et en politique. L'espionnage a détruit les liens de la confiance et de l'amitié ; on n'agite que des questions frivoles, et le gouvernement dicte, pour ainsi dire, aux citoyens la thèse sur laquelle ils parleront le soir dans les cafés et dans les cercles. Si l'on veut cacher la mort d'un homme, on ne se dira qu'à l'oreille, il est mort ; et l'on ajoutera, on ne parle point de cela jusqu'à nouvel ordre.

Le peuple a perdu absolument toute idée d'administration civile et politique ; et si quelque chose pouvait faire rire au milieu d'une ignorance si déplorable, ce serait le propos de tel bourgeois inepte, qui s'imagine constamment que Versailles et Paris doivent donner la loi et le ton à toute l'Europe, et de là au monde entier. La crasse des préjugés les plus invétérés ne peut pas abandonner ces vieilles têtes parisiennes, modifiées par la sottise la plus incurable. Le peuple qui n'a guère d'autre lecture que la gazette de France, ne raisonne que d'après elle.


 

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