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LE CAFÉ DES VARIÉTÉS
(D'après Les
cafés artistiques et littéraires de Paris, paru en 1882)
De l'autre côté du boulevard Montmartre, en face du café de Madrid, sont les établissements similaires de la Porte-Montmartre, de Suède, des Variétés, Véron. Au café Véron, la clientèle est plus bourgeoise, les artistes et les gens de lettres ne l'ont jamais fréquenté d'une façon assidue ; le café des Variétés, voisin du théâtre de ce nom, est le rendez-vous de tous les cabotins de province qui viennent à Paris chercher un engagement. Au mois de mai. cette population, venue de tous les coins de la France, envahit les salles, entoure les tables, déborde sur le boulevard. Chacun parle de ses talents, de ses succès, et les camarades absents ne sont pas épargnés. On entend prononcer à chaque seconde les mots de rappels, de couronnes, d'ovations. Ni hommes, ni femmes, tous génies. Ils ne marchent pas, ils planent. Puis le jeune premier raconte ses conquêtes, l'actrice de quatrième ordre énumère les individus qui se sont ruinés ou tués pour elle. Mais au milieu de ce feu roulant de hâbleries, on devine facilement la vérité, et la majeure partie des individus qui, soi-disant, ont des appointements fabuleux, ne possèdent en réalité presque rien. Beaucoup même manquent des quelque sous nécessaires pour s'offrir une modeste consommation, et regardent d'un œil mélancolique les bocks, les mazagrans, les carafons, les demi-tasses qui couvrent les tables. Les bottes éculées, le drap luisant, le linge d'un blanc qui n'est pas, hélas ! douteux, les chapeaux démodés prouvent mieux que les phrases les plus éloquentes la gène qui se dissimule, la misère qui se cache. On reste plusieurs heures à boire un verre de bière, on cherche un ami ou une simple connaissance, on essaie d'emprunter cent sous... vingt sous, et l'on n'y réussit pas toujours. Pendant les deux derniers mois du siège de Paris, le café des Variétés offrait, à partir de cinq heures du soir, l'aspect le plus animé ; on y étouffait littéralement. Le pétrole, qui avait remplacé le gaz, éclairait l'établissement ; toutes les tables étaient occupées par des gardes nationaux, des mobiles, des soldats qui mangeaient une abominable soupe aux choux, que quelques-uns trouvaient excellente. Comment le limonadier préparait-il ce mets ? Il ne l'a jamais dit. Les estomacs qui avaient conservé un reste de délicatesse se montraient récalcitrants. Il fallait voir les grimaces étranges, les haut-le-coeur des plus affamés. Pour faire passer la fameuse soupe, on buvait en abondance du vin, du punch, du café. Jules Vallès, la barbe hérissée, les cheveux au vent, se montrait assez souvent dans cette foule ; on le désignait du doigt, on prononçait son nom ; il était enchanté de produire son petit effet. Il avait déjà été mêlé à l'affaire du 31 octobre. Avec l'aide de ses partisans, il avait conquis et dévoré la viande et les vins que l'administration tenait en réserve à Belleville pour être donnés aux blessés ; de pareils exploits faisaient du bruit autour de son nom ! Le café des Variétés a eu un instant pour clientèle la plupart des habitués du café de Madrid. Un jour, sous l'Empire, un consommateur se fâcha avec le patron, toute la bande des journalistes passa de l'autre côté du boulevard, entra au café de Madrid, et s'y installa. M. Camille Debans, auteur des Drames à toute vapeur, faisait partie de la colonne d'émigrants. On y voit souvent Alfred Delilia, secrétaire général des Folies-Dramatiques ; Edmond Millaud ; G. Grisier, gérant de la Patrie, qui signe son courrier des théâtres du pseudonyme de Dorante ; E. Fontès, un journaliste financier ; Gaston de Mez, directeur du Littoral ; Charles Grimont, secrétaire de la rédaction de la Patrie. Quelques auteurs dramatiques fréquentent le café des Variétés, où ils trônent au milieu des artistes qui les flattent, dans l'espoir d'obtenir un rôle dans leurs pièces. Les comédiens ont toujours eu à Paris un endroit pour se réunir, ce lieu de réunion ne pouvait être qu'un café. Sous le règne de Louis XV ils se rendaient rue Rochechouart, au cabaret de Ramponneau, à l'enseigne des Percherons. Après les Percherons, qu'ils abandonnèrent, ils choisirent un méchant bouchon de la rue des Boucheries, puis passèrent rue de l'Arbre-Sec, et de là, à peu de distance, rue des Vieilles-Étuves, tout près de l'endroit où naquit Molière. Chassés par les démolisseurs de la rue des Vieilles-Étuves, les artistes de province envahirent le Palais-Royal et enfin émigrèrent au boulevard, aux cafés de Suède et des Variétés et dans un petit établissement situé tout près de la porte Saint-Denis.
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