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LE CAFÉ RICHE
(D'après Les
cafés artistiques et littéraires de Paris, paru en 1882)
La disparition de l'Opéra n'a pas déplacé la clientèle du café Riche. C'est toujours le même mouvement, la même animation. L'été, la terrasse est envahie, les consommateurs voient défiler, sur le large trottoir, les étrangers qui dans la belle saison, abondent dans Paris. Dans cette foule où se montrent les célébrités du jour, artistes, littérateurs, hauts fonctionnaires qui viennent prendre l'air du boulevard ou simplement se faire voir, on remarque parmi ces derniers un individu dégingandé qui porte au sommet d'un torse étique une tête bizarre, pointue au sommet, pointue au menton, pointue aux oreilles. Des cheveux longs et roides couronnent ce chef bizarre percé de deux trous où s'agitent des prunelles mobiles. Une barbe rare orne (?) la face, une longue barbiche se détache du menton et finit en pointe. Le torse est taillé à coups de serpe, les bras descendent jusqu'aux mollets, les jambes sont deux échalas d'une longueur démesurée. Cet assemblage de morceaux disparates forme un tout qui a des prétentions à l'élégance. La tête tourne à droite et à gauche avec des mouvements automatiques, son propriétaire craint sans doute qu'elle ne se détache. Ce singulier personnage a toujours l'air très satisfait de lui et semble dire aux flâneurs : « Voyez comme je suis beau, comme j'ai une tournure distinguée ! Mon physique est admirable, mais mon talent est immense ! Je suis Rigondeau. » Qui est-ce qui connaît M. Rigondeau ? personne. Mais lui sait s'apprécier et il a dit qu'en France on ne compte dans la seconde moitié du dix-neuvième siècle que deux journalistes, Rigondeau d'abord et ensuite M. Emile de Girardin. Le reste ne vaut pas la peine d'en parler. M. Rigondeau signe ses articles du pseudonyme de Louis Peyramont. Ce prodigieux génie inconnu a quelque peu fréquenté les antichambres du ministère des affaires étrangères, mais ses prétentions exagérées, son instruction incomplète et son manque absolu d'éducation ont toujours empêché de le prendre au sérieux. Cependant M. Gambetta a cru à son génie, et il est devenu directeur du journal opportuniste l'Unité Nationale. L'éminent M. Rigondeau, le tombeur de tous les diplomates, n'est pas le seul personnage prétentieux qui se pavane sur le trottoir, ses pareils se comptent par dizaines du café Riche à Tortoni ; sous une forme ou sous une autre, ce sont toujours les mêmes nullités. A laterrasse du café Riche ou dans l'intérieur, selon le temps et la saison, on voit Aurélien Scholl, Gérard de Frontenay de l'Evénement – Emile Villemot, du Gil Blas ; Florian Pharaon, du Derby, de la Chasse Illustrée, du Figaro ; Arthur Ranc, la plume la plus virile de la République française ; le voyageur Pertuiset ; presque toute la rédaction de l'Evénernent dont les bureaux sont à quelques pas ; Albériç Second ; Henri de la Madeleine. Auguste Villemot, l'ancien rédacteur du Figaro mort en 1871 fréquentait le café Riche. Le dîner de la Chasse Illustrée s'y réunit le premier mercredi de chaque mois sous la présidence de M. Alfred Didot. Le célèbre éditeur est entouré des disciples de saint Hubert qui racontent leurs exploits et de voyageurs qui montrent les objets curieux rapportés d'un coin ignoré de notre planète. A côté de M. Alfred Didot est M. Ernest Bellecroix, rédacteur en chef de la Chasse Illustrée ; MM. le colonel du Housset ; marquis de Cherville, comte de la Panouze ; des dessinateurs et des rédacteurs du journal. Les artistes lyonnais, les anciens élèves de l'école des Beaux-Arts de Lyon et ceux de la Martinière se réunissent également au café Riche.
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