Cafes, hotels, restaurants de Paris
Cette rubrique vous livre les secrets de l'histoire des cafés, hôtels et restaurants de Paris : comment ils ont évolué, par qui ils ont été fréquentés. Pour mieux connaître le passé des cafés, hôtels et restaurants dont un grand nombre existe encore.
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LA BRASSERIE HEIDT
(D'après Les cafés artistiques et littéraires de Paris, paru en 1882)

L'imprimerie Kugelmann et les nombreux journaux qui ont leur siège rue de la Grange-Batelière fournissent à la brasserie Heidt la plus grande partie de sa clientèle. C'est le Gaulois, la Civilisation, l'Étoile Française, le Soir, l'Unité nationale, l'Express, et près de l'Hôtel des Ventes, le Parlement, feuilles quotidiennes ; les organes hebdomadaires qui se tirent chez Kugelmann se comptent par au moins soixante. C'est le Courrier du Dimanche, qui a pour inspirateur M. Vacherot ; l'Armée territoriale, dirigée par M. Amédée Charpentier. Les autres feuilles traitent des questions financières ou théâtrales.

A certaines heures de l'après-midi, la brasserie est encombrée de journalistes et de compositeurs. Linus-Lavier, ancien secrétaire de la rédaction du Petit Caporal, puis rédacteur en chef du journal de M. Haentjens, député bonapartiste de la Sarthe, revenu à Paris pour entrer au Gaulois lorsque M. Robert Mitchell succéda à M. Arthur Mayer ; son collègue Charpentier. Iveling-Ram-Baud qui signe ses romans de son nom et ses articles du Gaulois de son pseudonyme ; Frédéric Gilbert ; M. Fischer, ancien rédacteur en chef du Tagblatt, de Berlin, qui traite les questions étrangères au Gaulois, apprécient la liqueur de Gambrinus que débite l'établissement situé de l'autre côté de la chaussée.

Leurs collaborateurs Paul Deléage, Gustave Cane, Cartilier, Blain, Arthur Cantel, etc., ne font pas fi de la bière brune ou blonde ; M. Deléage, secrétaire de la rédaction, accompagnait en 1819 l'expédition anglaise contre les Zoulous. Il était alors correspondant du Figaro. Il publia chez Dentu un volume fort intéressant sur cette guerre qui coûta la vie au prince impérial. M. Cartilier a été rédacteur du Soir, sous-préfet, il a repris la plume de journaliste. M. Blain, ancien rédacteur au Grand-Journal, rédige les échos ; M. Arthur Cantel a succédé à M . François Oswald au Courier des Théâtres.

Lorsque M. Mayer prit la direction du Gaulois, lui qui s'était toujours montré excellent confrère, devint inabordable. Il affecta de ne plus connaître beaucoup de ceux dont, la veille, il serrait la main. Il fallait pour contempler sa face avoir une situation élevée, un nom célèbre ou un titre sonore. Rien n'était drôle comme de voir ce petit bonhomme prendre des airs qu'il croyait de bonne foi très distingués. Quand il voulait être naturel il était bien, mais dès qu'il voulait jouer au grand seigneur, il devenait ridicule. Aussi, sans s'en douter, était-il la risée de beaucoup de journalistes qui, sans qu'il s'en méfiât, le faisaient poser à la grande joie de la galerie. C'était Jocrisse gentilhomme. Il était solennel même en buvant un bock.

A la brasserie on voit aussi des rédacteurs de l'Étoile Française, ç'a été, ou c'est encore M. E. Taine, qui se faisait remarquer par sa violence contre les communards ; Philibert Audebrand ; Camille Etiévant ; Alexandre Ducros, poète improvisateur. Un groupe, occupé gravement dans une partie de piquet, composé de Huot, administrateur de feu Paris-Capitale ; de M. Dyonnet, gérant de cette feuille ; de M. Prudhomme, ex-chef de gare de Saint-Lazare ; Demolliens, rédacteur de l'Unité nationale et de quelques amis, ne s'occupe que des quintes et des quatorze ; à côté on voit des metteurs en pages, des correcteurs ; sur d'autres tables des écrivains corrigent leurs articles. C'est un bruit de verres, de conversations à haute voix qui domine la voix des garçons répondant aux clients. Georges Durand, rédacteur de l'Unité nationale ; Alphonse Delaunay, gérant du Soir ; Paris et C. Monplot, dont la spécialité est de fonder des cafés-concerts, sont des habitués de la brasserie.

Joseph Kugelmann est certainement l'homme le plus aimé des journalistes. Comme son père, combien de fois n'a-t-il pas aidé de sa bourse un écrivain dans la gène ? Le nombre de ceux qu'il a recommandés et qui, grâce à lui, ont été placés, est considérable. Jamais il n'a su dire non. Si par hasard il transportait son imprimerie dans une autre rue, la brasserie Heidt perdrait toute son animation. M. Henri des Houx, l'énergique défenseur de la légitimité et de l'Église disparaîtrait avec toute la rédaction de la Civilisation, et les républicains du Soir n'auraient plus de raison de demeurer rue de la Grange-Batelière. Les journaux militaires, financiers, de théâtres émigreraient également avec les compositeurs, correcteurs, employés de toutes sortes. Ce serait le calme d'un couvent de trappistes remplaçant la vie exubérante, et la rue y perdrait son originalité.


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