Cafes, hotels, restaurants de Paris
Cette rubrique vous livre les secrets de l'histoire des cafés, hôtels et restaurants de Paris : comment ils ont évolué, par qui ils ont été fréquentés. Pour mieux connaître le passé des cafés, hôtels et restaurants dont un grand nombre existe encore.
magazine d'histoire, chroniques anciennes, le Paris d'antan, périodiques du passé
de la rubrique
Cafés/Restaurants
CLIQUEZ ICI

LE CAFÉ DE LA RENAISSANCE
(D'après Les cafés artistiques et littéraires de Paris, paru en 1882)

Cet établissement a eu un instant de célébrité : son nom a été cité à la sixième chambre ; les maîtres de Paris sous la Commune y ont tenu leurs assises et préparé le plan de campagne sinistre qui devait finir par l'incendie et le meurtre.

Dans les premiers mois de l'année 1866, Tridon, Raoul Rigault, les frères Levraud, Dacosta, A. Verlière, Longuet, Genton, Protot, Largilière, Landowski et plusieurs de leurs amis politiques, surveillés par la police, se laissèrent surprendre un soir qu'ils causaient de l'avenir de la France.

Le tribunal les condamna à des peines variant de trois à quinze mois de prison et fit fermer le café. Le commissaire de police Clément, chargé de leur arrestation, les surveillait depuis longtemps. Il était prévenu qu'ils avaient une réunion à la Renaissance ; lorsqu'ils furent tous assemblés dans la même salle, dont un garçon limonadier défendait l'entrée, M. Clément entra brusquement, plaça sur l'escalier quelques-uns de ses hommes, et, montant rapidement à l'entresol, où se trouvaient ceux qu'il cherchait, il les prit comme dans un filet. Au premier moment, la stupeur fut grande, lorsqu'on apprit l'entrée de la police : quelques individus parvinrent à se sauver ; le reste alla passer la nuit à la préfecture.

Largillière était menuisier. Après avoir fait ses trois mois à Sainte-Pélagie, il reprit sa profession, renonça à la politique et alla avec sa femme à Belleville, où il tenait en même temps un garni. Ses anciens amis le considérèrent comme un traître, et, sous la Commune, voyant qu'il refusait de se mêler au mouvement, il fut arrêté et ensuite fusillé par ordre des bandits dont il n'avait pas voulu se faire le complice.

Ces arrestations firent jeter les hauts cris aux journaux dits libéraux, qui blâmèrent l'Empire sur ses façons d'agir, et déclarèrent que les gens mis aussi brusquement sous les verrous n'étaient pas dangereux, qu'ils ne conspiraient point et qu'aucune loi ne les empêchait de se réunir dans un établissement public pour causer ou jouer. M. Gustave Chaudey s'intéressa beaucoup aux jeunes gens ainsi poursuivis, disant bien haut qu'ils étaient incapables de faire le moindre mal ; il ne songeait point alors que ses protégés le feraient fusiller cinq ans plus tard !

Le café de la Renaissance, situé en face de la fontaine Saint-Michel, avait une physionomie spéciale à l'heure de l'absinthe et le soir. Des étudiants débraillés, les cheveux en désordre, entraient, montaient au premier étage, se formaient par groupes, parlaient politique ou engageaient une partie de billard. On allumait les longues pipes savamment culottées, et, à travers un nuage de fumée, on entendait, en même temps que les voix des discoureurs, le bruit des billes d'ivoire s'entrechoquant sur le tapis vert.

Des étudiantes étaient mêlées aux hommes. Ces filles des rues aux costumes extravagants fumaient des cigarettes et s'occupaient de politique.

M. Fernand Papillon, qui n'était pas encore le savant collaborateur de la Revue des Deux-Mondes, fréquentait le Café de la Renaissance, mais il travaillait sérieusement, rédigeant des articles pour le fameux dictionnaire de M. Larousse et écoutant sans les prendre au sérieux les divagations politico-économiques de Rigault et de ses Amis. Au mois de mars 1873 avait paru le commencement de notre étude sur les Cafés politiques, à ce propos M. Papillon nous adressa la lettre suivante :

« Mille remerciements, cher monsieur Lepage, pour les quelques lignes bienveillantes que vous m'avez consacrées dans la Revue de France. J'ai toujours peur de voir, dans les récits de ces préliminaires de la Commune, mon nom associé ou seulement assimilé à ceux des gredins avec qui le hasard m'a fait vivre pendant trop longtemps, et vous suis infiniment reconnaissant de m'en avoir distingué.
Votre, etc. ».

M. Fernand Papillon est mort au commencement de l'année 1874. Il avait presque atteint la célébrité à l'âge où l'on commence à être connu seulement d'un petit nombre d'hommes spéciaux. Ses mémoires, lus à l'Académie des sciences, avaient été remarqués, ses études sur quelques savants allemands, publiées dans la Revue des Deux-Mondes, avaient obtenu auprès des lecteurs de ce recueil un légitime succès. Ces différents travaux ont été réunis en volumes sous les titres de : La Nature et la Vie, l'un de ces volumes n'a même paru qu'après la mort du jeune et laborieux écrivain.

Une société moins bruyante se réunissait au rez-de-chaussée de l'établissement : on y remarquait M. Gustave Huriot, rédacteur du Courrier français, devenu conseiller général de l'Yonne et chef du cabinet du ministère de l'intérieur, M. Lepère, M. Lariche, savant répétiteur de droit, auteur d'un ouvrage sur les Pandectes, mort fou ; M. Decrosse, nommé magistrat sous le ministère Ollivier. Quelquefois Landowski et son frère Landeck se mêlaient à ces jeunes gens, qu'ils considéraient pourtant comme des républicains trop tièdes.

En 1872, nous trouvant à Lyon, nous écoutions la musique militaire sur la place Bellecour, lorsqu'un garçon de café, s'approchant respectueusement, prononça notre nom. Nous reconnûmes aussitôt le patron du Café de la Renaissance. Le malheureux nous raconta ses infortunes et termina son récit en disant que les hauts dignitaires de la Commune étaient la cause de sa ruine. Il avait eu l'imprudence de leur faire crédit, et lorsqu'ils eurent accaparé le pouvoir, le souci de payer leurs dettes ne les empêcha pas de dormir, et, si l'imprudent limonadier avait réclamé, il est probable qu'il eût été immédiatement mis sous les verroux.

 


:: HAUT DE PAGE    :: ACCUEIL

magazine d'histoire, chroniques anciennes, le Paris d'antan, périodiques du passé
de la rubrique
Cafés/Restaurants
CLIQUEZ ICI