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LE VEAU QUI TETTE
(D'après Chroniques
et légendes des rues de Paris. Édouard Fournier, 1864)
Le Veau qui tette, était un établissement du XVIe siècle. On venait y manger du veau de lait et des pieds de mouton. Au XVIIIe siècle, Grimod de la Reynière en parle : « On y mange d'excellentes anguilles piquées de truffes ; l'aimable Veau-qui-tette toujours sur pied depuis deux siècles vous invite gracieusement à y faire une station. » Paris continue à se rajeunir ; mais, ainsi que me disait un barbier, on fait avec lui, comme moi avec mes clients : pour le rajeunir, on le rase. Une ville nouvelle surgit du chaos. En bien des endroits, le présent se bâtit avec le passé, le Paris ancien prête ses pierres au Paris neuf. Ceux qui aiment les contrastes trouvent souvent là, matière à curieuses antithèses, lorsqu'ils mettent
Il me souvient d'avoir lu dans les Comptes des bastiments royaux du XIVe siècle, la mention d'une somme payée au marguillier de l'église dont dépendait le cimetière des Innocents pour avoir vendu au château du Louvre, où se faisait alors un grand escalier en vis plusieurs pierres tombales provenant dudit cimetière (cette vis, ou escalier tournant, du Louvre fut célèbre jusqu'à ce que celle qui fut construite aux Tuileries par Catherine de Médicis le devint davan-tage. V. au sujet de celle-ci une gaillardise du Moyen de parvenir, 1757, in-12, t. I, p. 257-258) : Il fallait de « belles tranches de pierre» comme on disait alors, et pour les trouver, on n'avait pas reculé devant cette impiété, devant cette violation de la demeure des morts. Voici l'extrait de ce curieux compte daté de 1364 : « A Thibaut de la Nasse, marguilliet de Saint-Innocent, pour dix tombes dont l'on a fait marches en la grand vis neuve du Louvre, acheté de là chacune tombe, pris au cimetière dudit Saint-Innocent, à XIIIj sols p., par quittance VII liv. p.2 » (cité par M. Léon de Labodrde dans sa Notice des émaux, 2e partie, p. 534.) Si l'on agissait ainsi pendant un siècle de croyance, jugez de ce que ce dut être à une époque où tout respect pour les choses vénérées s'était peu à peu éteint dans les âmes ; je parle de la Terreur et du Directoire. On était alors si bien entré en familiarité avec la mort, qu'on ne pensait pas lui devoir les moindres égards. Ce n'était partout dans Paris que profanations
effrontées des
sépulcres. Ici, dans le faubourg Saint-Germain, l'on avait élevé une
salle de bal dans un cimetière ; là, près de la rue Saint-Denis,
ayant besoin de larges pierres pour le dallage d'un passage, on avait pris
celles qui, pendant des siècles, avaient couvert les tombes des religieuses
du couvent des Filles-Dieu. Je trouve à ce sujet de curieux et fort
attristants détails dans un petit volume, publié en l'an IX,
et intitulé des Tombeaux, etc., par le citoyen
Girard (c'est un pauvre
poème, avec de trop rares notes qui valent mieux que ses vers. En voici
le titre complet : Des Tombeaux, ou « Le cimetière Saint-Sulpice, dit-il (notes,
p. 134.), est placé en
face latérale de l'église. Il y a sur la porte cette inscription
: Lias ultra metas requiescunt beatam spem expectantes.
On lit au-dessus, en transparent couleur de rose : Bal des
Zéphyrs. Tous les jours, le bruit
des instruments semble sortir du fond des tombeaux (V.
sur ce bal la Chronique scandaleuse de l'an 1800, Paris, 1801, in-12, p. 17, et
les Souvenirs thermidoriens de G. Duval, t. II, p. 72.
Ceux qui permettaient ces profanations eurent leur tour. Comme la place manquait
au cimetière
de la Madeleine, quand les corps décapités de Robespierre, Saint-Just
et Dumas durent y être
portés, on les transporta au cimetière des Errancis, à l'extrémité de
la rue du Rocher. Ce cimetière fut fermé peu après et
vendu. On y établit un bal public qui exista jusqu'à ces der-niers
temps. Les fouilles faites pour la construction de la maison qui le remplace
ont mis à découvert les restes de Saint-Just et de Robespierre). Aujourd'hui, de telles profanations ne sont pas à regretter : si l'antithèse entre ce qui était et ce qui est se reproduit encore, c'est d'une façon plus riante, et presque toujours à l'honneur du présent. Ainsi qu'a-t-on fait à la place du Châtelet ? Du fond d'immenses cavités, qui, sans qu'on sans doutât, se sont trouvées être de véritables carrières, on a tiré d'énormes blocs de pierre. Qu'étaient-ils dans ces profondeurs ? les fondements du Grand Châtelet, les murailles des cachots effrayants que la prison cachait sous ses pieds ; et que sont-ils devenu au contraire ? à quoi ont-ils servi ? à la construction d'un théâtre. C'est le Cirque, on le sait, qui s'est élevé sur cette place pour y prendre le nouveau nom de théâtre du Châtelet et qu'elle lui imposait si naturellement. Les cachots dont la pensée seule jetait la terreur parmi le peuple, car la Bastille des gens du commun était là, ont prêté leurs pierres à celui de tous les théâtres où le peuple aime le mieux à s'aller ébattre, parce qu'il y entend parler de la gloire de ses enfants sur les champs de bataille. On le voit, comme je le disais, tout est contraste : le cœur populaire, réjoui par le spectacle de ses triomphes,
C'était une terrible prison que ce Châtelet, avec ses cachots, dont les deux plus redoutés s'appelaient, celui-ci la fin d'aise, ce qui veut dire que le prisonnier qu'on y enfermait n'avait plus rien à espérer, et cet autre la chausse d'hypocras, parce qu'il était fait en forme de cornet, comme la chausse à travers laquelle on passait l'hypocras pour le clarifier. Au fond était de l'eau croupie, où grouillait toute une population de reptiles, dont le prisonnier, qui devait se tenir debout, les pieds dans le cloaque, sentait les corps froids et visqueux serpenter autour de ses jambes. Le frisson vous prend rien que de penser à ces horreurs ; aussi, dans tous les contes d'arrière-boutique, dans toutes les légendes des veillées, le Châtelet se dressait comme un épouvantail. Jusqu'aux derniers temps, il effrayait le moins poltron, bien que tenant à peine et presque tout ruiné. Claude le Petit, qui aurait eu plus d'un compte à régler avec lui, ne s'arrêta pas trop à l'invectiver dans son Paris ridicule. Il se contenta de l'apostropher par ces quelques vers : Bastiment debasti partout, (Paris ridicule et burlesque aux XVIIe siècle, par Cl. le Petit Berthod, etc. Nodvelle édition. Paris, 1859, in-12, p. 46.) Les abords mêmes en étaient redoutables quiconque se sentait la mine d'un vaurien devait craindre d'en approcher, tant les gens de justice y faisaient bonne garde. Berthod, l'auteur du Paris burlesque, qui paraît aussi avoir été de ces batteurs de pavé que le regard d'un homme de police a toujours embarrassés, ne flâne pas longtemps, dans son poème, aux environs de la terrible geôle. Il s'en va vers les Innocents, avec son compagnon de promenade, et déjà tout tremblant du pas qu'ils vont avoir à franchir, il lui dit : Faut passer sous le Chastelet
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