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Cette rubrique vous plonge dans l'histoire des métiers de Paris : leur origine, leur quotidien, leur évolution au fil du temps, leurs us et coutumes, leurs statuts. Insolites, oubliés, raréfiés ou disparus, découvrez ou redécouvrez-les. |
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MARCHANDE DE PETIT NOIR
(D'après Paris
qui crie : petits métiers, paru en 1890)
C'est au coin des ponts, à l'orée
des faubourgs, sur les grands passages d'ouvriers que l'on trouve la pauvre
vieille femme, avec son réchaud et sa grosse bouillotte, ou bien
encore sur les quais, aux rampes où dévalent les débardeurs.
Pour un sou, elle réchauffe de son café, vulgo petit
noir, le travailleur allant de bonne heure à l'ouvrage, le
chiffonnier qui rôde aux heures sombres et revient le matin avec
son butin, et le pauvre diable sans domicile qui a passé la nuit
sous les ponts.
Indifférente au fleuve humain qui passe
auprès d'elle, hypnotisée dans ses vieux châles, elle
rêve... à quoi peut-elle bien rêver ?
Et pourtant, que de choses elle a vues, la
marchande de petit noir ! que de types divers l'ont coudoyée et
quelle moisson d'observations philosophiques et immorales elle a pu faire
! Voici le trottin, le nez au vent, cherchant l'occasion d'abandonner
parents et atelier, le valet sans place affalé sur un banc, le
provincial naïf suivant machinalement le cours de la Seine, l'aigrefin
en quête d'un bon coup, le philosophe à la poursuite... d'une
idée, le flâneur, monocle à l'oeil, à la poursuite
d'une fine bottine, et la désespérée l'oeil égaré,
allant se jeter à l'eau.
Immobile, la marchande voit tout cela et bien
d'autres choses ; mais les révolutions peuvent gronder, les ministères
tomber, tout lui est égal, comme disait Horace, pourvu qu'elle
vende son petit sou de café.
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