|
|
|
||||||||||||
LES COCHERS
(D'après Tableau de Paris, paru en 1782)
Les misérables rosses qui traînent ces voitures délabrées, sortent des écuries royales, et ont appartenu à des princes du sang, enorgueillis de les posséder. Ces chevaux réformés avant leur vieillesse, passent sous le fouet des plus impitoyables oppresseurs. Ci-devant nobles quadrupèdes, impatiens du frein, traînant l'équipage superbe comme un fardeau léger ; maintenant malheureux animaux, tirant le nerf, humides de pluie, dégouttants d'une sueur sale, fatigués, tourmentés pendant dix-huit heures par jour, sous le poids des courses que le public leur impose. Ces voitures hideuses, dont la marche obscure est si traînante, servent quelquefois d'asile à la jeune fille échappée un instant à la vigilance de ses argus, et qui montant d'un pied agile et non aperçu, veut converser avec son amant sans être vue ni remarquée. Rien ne révolte l'étranger qui a vu les carrosses de Londres, d'Amsterdam, de Bruxelles, comme ces fiacres et leurs chevaux agonisants. Quand les fiacres sont à jeun, ils sont assez dociles ; vers le midi ils sont plus difficiles ; le soir ils sont intraitables ; les rixes fréquentes qui s'élèvent sont jugées chez les commissaires ; ils inclinent toujours en faveur du cocher. Plus les cochers sont ivres, plus ils fouettent leurs chevaux ; et vous n'êtes jamais mieux mené que quand ils ont perdu la tête. Il s'agissait de je ne sais quelle réforme, il y a quelques années : les fiacres s'avisèrent d'aller tous, au nombre de presque dix-huit cents, voitures, chevaux et gens, à Choisy, où était alors le roi, pour lui présenter une requête. La cour fut fort surprise de voir dix-huit cents fiacres vides qui couvraient au loin la plaine, et qui venaient apporter leurs humbles remontrances au pied du trône : cela donna une sorte d'inquiétude. On les congédia comme ils étoient venus : les quatre représentants de l'ordre furent mis en prison, et l'on envoya l'orateur à Bicêtre avec son papier et sa harangue. Rien de si commun que la soudaine rupture des soupentes ou des roues : vous avez le nez cassé ou une contusion au bras ; mais vous êtes dispensé de payer la course. Les fiacres ne peuvent aller jusqu'à Versailles, ni sur les routes où il y a des bureaux de voitures, qu'en payant une permission particulière . Dès qu'ils sont hors des barrières, ils vous font la loi malgré les tarifs : les uns sont d'une complaisance extrême, les autres sont emportés, insolents ; il est plus tôt fait de les apaiser avec quelques sols de plus, que d'aller demander justice, ou de se la faire soi-même ; et c'est le parti que prennent tous les honnêtes gens. Si vous oubliez quelque chose dans la voiture, comme elle est numérotée, vous allez à un bureau en faire la réclamation, et l'objet vous est ordinairement rendu. La commodité et la sûreté publique exigeraient que les fiacres fussent moins sales, plus solides, mieux montés ; mais la rareté, la cherté des fourrages, et l'impôt considérable de vingt sols par jour, pour rouler sur le pavé, empêchent les réformes les plus désirables. |
|
|||||||||||||
:: HAUT DE PAGE :: ACCUEIL |
|