Metiers anciens et insolites de Paris
Cette rubrique vous plonge dans l'histoire des métiers de Paris : leur origine, leur quotidien, leur évolution au fil du temps, leurs us et coutumes, leurs statuts. Insolites, oubliés, raréfiés ou disparus, découvrez ou redécouvrez-les.
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LES BOUCHERS
(D'après Tableau de Paris, paru en 1782)

Les boucheries ne sont pas hors de la ville, ni dans les extrémités ; elles sont au milieu. Le sang ruisselle dans les rues, il se caille sous vos pieds, et vos souliers en sont rougis. En passant, vous êtes tout-à-coup frappé de mugissements plaintifs.

Un jeune boeuf est terrassé, et sa tête armée est liée avec des cordes contre la terre ; une lourde massue lui brise le crâne, un large couteau lui fait au gosier une plaie profonde ; son sang qui fume, coule à gros bouillons avec sa vie. Mais ses douloureux gémissements, ses muscles qui tremblent et s'agitent par de terribles convulsions, ses débattements, ses abois, les derniers efforts qu'il fait pour s'arracher à une mort inévitable, tout annonce la violence de ses angoisses et les souffrances de son agonie. Voyez son coeur à nu qui palpite affreusement, ses yeux qui deviennent obscurs et languissants. Oh, qui peut les contempler, qui peut ouïr les soupirs amers de cette créature immolée à l'homme !

Des bras ensanglantés se plongent dans ses entrailles fumantes, un soufflet gonfle l'animal expiré, et lui donne une forme hideuse ; ses membres partagés sous le couperet vont être distribués en morceaux, et l'animal est tout à la fois enseigne et marchandise. Quelquefois le boeuf, étourdi du coup et non terrassé, brise ses liens, et furieux s'échappe de l'antre du trépas ; il fuit ses bourreaux, et frappe tous ceux qu'il rencontre, comme les ministres ou les complices de sa mort ; il répand la terreur, et l'on fuit devant l'animal qui la veille était venu à la boucherie d'un pas docile et lent.

Des femmes, des enfants qui se trouvent sur son passage, sont blessés ; et les bouchers qui courent après la victime échappée, sont aussi dangereux dans leur course brutale que l'animal que guident la douleur et la rage. Ces bouchers sont des hommes dont la figure porte une empreinte féroce et sanguinaire, les bras nus, le col gonflé, l'oeil rouge, les jambes sales, le tablier ensanglanté ; un bâton noueux et massif arme leurs mains pesantes et toujours prêtes à des rixes dont elles sont avides. On les punit plus sévèrement que dans d'autres professions, pour réprimer leur férocité ; et l'expérience prouve qu'on a raison.

Le sang qu'ils répandent, semble allumer leurs visages et leurs tempéraments. Une luxure grossière et furieuse les distingue, et il y a des rues près des boucheries, d'où s'exhale une odeur cadavéreuse, où de viles prostituées, assises sur des bornes en plein midi, affichent publiquement leur débauche. Elle n'est pas attrayante : ces femelles mouchetées, fardées, objets monstrueux et dégoûtants, toujours massives et épaisses, ont le regard plus dur que celui des taureaux ; et ce sont des beautés agréables à ces hommes de sang, qui vont chercher la volupté dans les bras de ces Pasiphaé.


 

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