Metiers anciens et insolites de Paris
Cette rubrique vous plonge dans l'histoire des métiers de Paris : leur origine, leur quotidien, leur évolution au fil du temps, leurs us et coutumes, leurs statuts. Insolites, oubliés, raréfiés ou disparus, découvrez ou redécouvrez-les.
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LES PERRUQUIERS
(D'après Tableau de Paris, paru en 1782)

Nos ancêtres ne livraient pas chaque matin leur tête, pendant un temps considérable, à un friseur oisif et babillard. Se faire le poil, imprimer à leurs moustaches, ornement de leurs physionomies mâles, un ton martial, telle était toute leur toilette.

Il y a deux siècles que nous avons eu la faiblesse d'imiter les femmes dans cet art de la frisure qui nous effémine et nous dénature. Où est le temps qu'un brave, lorsqu'il avait besoin d'argent, détachait sa moustache et la mettait en gage chez le prêteur, au lieu de lui faire un billet d'honneur ? Point d'hypothèque plus assurée : le prêteur dormait tranquille, et jamais la dette ne manqua d'être acquittée à son échéance.

Nous n'avons plus, il est vrai, le ridicule d'ensevelir notre tête sous une chevelure artificielle, de coiffer le front de l'adolescence d'un énorme paquet de cheveux ; le crâne chauve et ridé de la vieillesse n'offre plus ce bizarre assortiment ; mais la rage de la frisure a gagné tous les états : garçons de boutiques, clercs de procureurs et de notaires, domestiques, cuisiniers, marmitons, tous versent à grands flots de la poudre sur leurs têtes, tous y ajustent des toupets pointus, des boucles étagées ; l'odeur des essences et des poudres ambrées vous saisit chez le marchand du coin, comme chez le petit-maître élégant et retapé.

Quel vide il en résulte dans la vie des citoyens ! Que d'heures perdues pour des travaux utiles ! Combien les friseurs et les friseuses enlèvent de moments à la courte durée de notre existence ! Lorsqu'on songe que la poudre dont deux cents mille individus blanchissent leurs cheveux, est prise sur l'aliment du pauvre ; que la farine qui entre dans l'ample perruque du robin, la vergette du petit-maître, la boucle militaire de l'officier, et l'énorme catogan du batteur de pavé nourriraient dix mille infortunés ; que cette substance extraite du bled dépouillé de ses parties nutritives passe infructueusement sur la nuque de tant de désoeuvrés : on gémit sur cet usage, qui ne laisse pas aux cheveux la couleur naturelle qu'ils ont reçue.

Douze cents perruquiers, maîtrise érigée en charge, et qui tiennent leurs privilèges de Saint-Louis, emploient à peu près dix mille garçons. Deux mille chamberlans font en chambre le même métier, au risque d'aller à Bicêtre. Six mille laquais n'ont guère que cet emploi. Il faut comprendre dans ce dénombrement les coiffeuses. Tous ces êtres-là tirent leur subsistance des papillotes et des bichonnages. Nos valets-de-chambre-perruquiers, le peigne et le rasoir en poche pour tout bien, ont inondé l'Europe ; ils pullulent en Russie et dans toute l'Allemagne.

Cette horde de barbiers à la main leste, race menteuse, intrigante, effrontée, vicieuse, provençaux et gascons pour la plupart, a porté chez l'étranger une corruption qui lui a fait plus de tort que le fer des soldats. Nos danseurs, nos filles d'opéra, nos cuisiniers ont bientôt marché sur leurs traces et n'ont pas manqué d'asservir à nos modes et à nos usages les nations voisines.

Voilà les conquérants qui ont fait prévaloir le nom Français dans toutes les contrées, et qui ont été les vengeurs de nos revers politiques. Nos voisins pourraient donc faire un traité sur la pernicieuse introduction des friseurs parmi eux, et sur l'avantage qui aurait résulté d'une proscription prompte et raisonnée.


 

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