Monuments, édifices de Paris
Cette rubrique vous narre l'origine et l'histoire des monuments et édifices de Paris : comment ils ont évolué, comment ils ont acquis la notoriété qu'on leur connaît aujourd'hui. Pour mieux connaître le passé des monuments et édifices dont un grand nombre existe encore.
magazine d'histoire, chroniques anciennes, le Paris d'antan, périodiques du passé
de la rubrique
Monuments
CLIQUEZ ICI

TOUR JEAN SANS PEUR
(D'après Chroniques et légendes des rues de Paris. Édouard Fournier, 1864)

Plusieurs hôtels avaient été bâtis sur le terrain du fief. Dans le nombre s'en trouvait un qui appartenait à un certain Diego de Mendoca, dont le nom indique assez l'origine espagnole, qui était sans doute parent de Bernardino de Mendoca, ambassadeur de Philippe II à Paris pendant la Ligue, mais sur lequel il m'est impossible de dire rien de positif, non plus que sur l'époque où il logea par ici. Tout ce que je sais à son sujet me vient de Sauval et c'est fort peu de chose. Après quelques regrets donnés aux démolitions faites de ce côté, et qui n'avaient presque rien épargné des vieilles murailles, Sauval s'explique ainsi : « Diego de Mendosse ruina tout, aussi bien que les autres, hormis une tour ronde, qu'il conserva, qu'on voit encore à l'hôtel de Mendosse, qui appartient présentement au sieur Courtin de Tannequeux. »

Cette tour, quoique la forme ronde que lui donne, Sauval nous déroute un peu, doit toucher de près à celle dont nous parlons. Il n'aura bien vu que la tour de l'ancienne enceinte, avec laquelle nous l'avons dit, le donjon de Jean sans Peur était pour ainsi dire accouplé ; et comme les débris de la vieille muraille étaient ce qui l'occupait surtout, il aura oublié l'un pour parler de l'autre. Pendant le

Tour Jean Sans Peur
règne de Henri IV, l'hôtel de Mendoça, dont l'entrée était rue Mauconseil, à quelques pas de l'hôtel de Bourgogne et sur la même ligne, semble, avoir été sans habitants fixes.

Le seigneur espagnol qui l'occupait s'était sans doute enfui, ainsi que ses compatriotes, à l'arrivée du Béarnais. Antonio Perez qui logea vis-à-vis pendant trois ans, et qui n'avait pas, dit-il, « cherché ce voisinage à cause du nom, » parle d'un danseur de corde « qui y faisait des tours et des sauts périlleux, dont la vue causait encore plus d'étonnement que le récit, » et qu'il dédaigna d'aller admirer, quoiqu'il vît entrer tous les jours, les, princes, les dames, et des gens de tout état.

Pendant la Fronde, l'hôtel Mendoça est encore sans maître. On y établit l'un des deux magasins charitables fondés par saint Vincent de Paul, pour les pauvres de la campagne. C'est là que les paysans de Gonesse et des lieux voisins viennent chercher ce qui leur garde la charité. Après avoir été ainsi le restaurant des pauvres diables, l'hôtel devint le cabaret des heureux. Le voisinage du théâtre lui faisait une chalandise. Il en profita. Il h'y eut plus de bonne fête si elle n'avait lieu à Mendosse, comme on disait, ou chez Mendoce, comme on disait encore. Robinet Robinet en parle souvent ; comme Mendosse rime bien à noce, jamais dans ses mauvais vers il ne met l'un sans qu'aussitôt vienne l'autre. Parlant par exemple du roi Casimir, il dit qu'il :

Donna chez lui mieux qu'à Mendosse
Le beau régale (sic) de la nôce.

De Visé, dans la Mère coquette entraîné aussi par la rime, n'oublie pas non plus le fameux cabaret de l'hôtel Mendoça. Il vient, dit-il de son Cléon :

Il vient assurément pour danser à la noce,
il est peut-être allé descendre chez Mendosse.

Aujourd'hui, l'on ne fait plus par ici de ces oisives ripailles. Le travail est partout. Une grosse maison de négoce s'est installée rue Mauconseil, à deux pas de la rue Françoise, sur l'emplacement de l'hôtel Mendoça. Rue du Petit-Lion, dans la maison qu'un mur mitoyen sépare de l'autre, et de laquelle, par suite de remaniement de propriété, dépend aujourd'hui le donjon de Jean sans Peur, l'industrie et le commerce ne sont ni moins actifs, ni moins florissants. Le riche quincaillier Sterlin, avait ses magasins dans cette maison, en 1816, quand La Tynna fit à la tour une visite qui la révéla. M. Bricard, qui lui, a succédé, fait avec une complaisance éclairée, les honneurs du précieux débris. Il montre ce joyau archéologique en homme qui en sait le prix.

Nous pourrions nous arrêter ici, et ne rien dire de ce qu'il advint de l'autre partie de l'hôtel de Bourgogne, dont le morcellement formait au moment de l'adjudication, en 1543, les lots ou places portant les numéros 3, 5, 9, 10, 11, 12 et 13 ; mais, sans ce détail, notre notice serait incomplète ; nous le donnerons donc en quelques lignes, d'après le procès-verbal même de la vente, en date du dix-huitième jour de mars 1543.

Jean Rouvet, le flottage :
L
'annonce de la vente fut d'abord criée et cornée par les rues et carrefours ; « Pourtraict et figures furent faits des lieux à vendre, et, attachés sur tableaux de bois ès portes desdits hôtels de Bourgogne et d'Artois, et portes du Palais du Chastelet. » Puis, au jour dit, se firent les enchères au feu esteint. » Il y avait grande assemblée de peuple. Parmi les riches de la bourgeoisie qui étaient venus pour se partager cette grande dépouille féodale l'une des premières qu'on leur

Jean Rouvet
livrât, se distinguait Jean Rouvet, le grand marchand, assez riche à lui seul pour tout acheter. On le savait, et pour lui faire pièce, on pouvait surenchérir plus que de raison. Il para le coup en amenant des compères, auxquels furent adjugés la plupart des lots, et qui, la vente terminée, déclarèrent n'avoir surenchéri que pour son compte.

De cette façon, les sept places, sauf quelques bribes, restèrent à Jean Rouvet tout seul. Il lui fallut satisfaire à plusieurs conditions. D'abord, il dut payer 5, 200 livres tournois ; ensuite il prit l'engagement, de démolir ce qui était sur rue et le remettre « à droit alignement, suivant le pourtraict ; » il promit encore que le gros mur étant en la onzième place, adjugée pour lui à Jacques Payen, « serait rompu, afin d'être mis au niveau ; » Le docteur J. Payen, à qui ses travaux sur Montaigne ont fait une si belle réputation parmi les bibliophiles, descend de ce Jacques Payen. Je crois savoir qu'il possède une maison rue Française, dont le terrain fut sans doute acquis par son aïeul à l'époque de cette première vente. Et enfin il s'obligea à « bâtir et édifier maisons manables et habitables. »

Il ne paraît pas s'être hâté de satisfaire à cette dernière condition. Il en laissa le soin à d'autres. Cinq ans après, n'ayant encore rien reconstruit, le 30 août 1548, il s'entendit avec les confrères de la Passion qui venaient de perdre le théâtre de l'hôpital de la Trinité, la salle où ils faisaient leurs jeux ayant été « par ordonnance de la cour, prise, occupée et employée en l'hébergement des pauvres. » Il leur vendit « une masure de 17 toises de long sur 16 de large », avec deux issues, l'une sur la rue Mauconseil et l'autre sur la rue Françoise, « puis peu de temps en ça faite et érigée droit. »

Les conditions furent : Que les confrères payeraient une rente annuelle de 250 livres, rachetable pour 4 500 livres ; qu'ils bâtiraient et édifieraient de neuf « une grande sale et autres bâtiments, pour le service de la confrérie, et que parmi les loges de ladite salle ledit Rouvet en aurait une à son choix, pour lui, ses enfants et amis leur vie durant, sans aucune chose en payer, ne diminuer de ladite rente ». Le contrat de vente, se trouve dans le Recueil cité tout à l'heure, et dans Félibien, Hist. de Paris, t. III des Preuves, p. 781-785.

Ce Jean Rouvet nous parait avoir été un maître homme, et puisque nous le tenons ici, nous nous en voudrions de ne pas dire tout ce que nous savons de bien sur son compte. Il faisait un commerce qui n'était pas toujours très heureux à Paris : le commerce des bois. Souvent, les arrivages manquant, il y avait disette, et l'on ne savait comment y remédier. Bien longtemps auparavant, en 1490, des bûcherons de la forêt de Lyons, en Normandie, s'étaient avisés de faire flotter de la rivière d'Andelle jusqu'en Seine le bois qu'ils avaient abattu, et qu'on appelait bois d'Andelle, sur le quai de l'École où on le mettait en chantier. Charles Leconte trouva le moyen bon et l'employa pour les bois des bords de l'Yonne qu'il fit flotter jusqu'à Paris, à la grande satisfaction du bureau de la ville, qui lui octroya des lettres patentes, « comme premier expérimentateur du flottage. »

C'était en 1547. L'année précédente, un ami et un protégé de Rouvet avait eu une idée pareille, mais faute d'argent il avait du laisser Charles Leconte prendre le pas sur lui. Il s'appelait Gilles Deffroissez, et passait sa vie à s'ingénier d'inventions de toutes sortes « pour le bien de la république de la ville. » Ainsi n'avait-il pas voulu, le premier de tous, établir un bac entre le Louvre et la tour de Nesle, fonder sur la Seine des moulins à mouture économique qui feraient considérablement baisser le prix du blé ; puis encore, faire une vigoureuse prise d'eau dans la Seine, à l'aide de laquelle toutes les grandes rues de la ville seraient abondamment arrosées ? C'était l'inventeur complet, d'autant mieux que, chez lui déjà, comme chez tant d'autres depuis lors, la disette de l'argent allait de pair avec la richesse des idées.

Pour une seule invention, celle du flottage, quelqu'un lui vint en aide, ce fut Jean Rouvet. Deffroissez était depuis longtemps en familiarité d'affaires avec sa famille. Fiacre Rouvet, frère de Jean, lui avait notamment acheté la ferme des vins et du poisson de mer dont il avait été gratifié. En 1546, le flottage des bois du Morvan jusqu'à Paris, était l'entreprise qu'il caressait le plus chèrement. Il s'était persuadé qu'il suffirait, pour qu'elle réussit, de rendre navigable la petite rivière de Cure dans le Morvan. Il sut le persuader à d'autres, même dans le conseil du roi ; il obtint des lettres patentes, et ainsi, recommandé, il vint

Le flottage
apporter son idée au bureau de la ville, le 23 juillet 1546, avec la double caution de G. Le Gras, et de notre Bouvet.

Que lui fallait-il ? Une avance de deux mille écus sur les deniers des aides auxquels lui donnait droit la commission octroyée avec les lettres royales. Il demandait cette somme en trois payements, et, sous la responsabilité de Le Gras et de Rouvet, il s'engageait à la restituer, dans le cas où, malgré sa promesse, la Cure ne serait pas rendue navigable pour le flottage à bois perdu. Il obtint ce qu'il voulait, mais le mauvais état de ses affaires, les dettes dont il était accablé l'empêchèrent de rien mener à bien. Après trois années perdues qui laissèrent à Charles Leconte l'avance que nous luit avons vu prendre il fallut que Rouvet, engagé comme caution, s'emparât de l'entreprise.

Deffroissez, en qui l'on n'avait plus confiance et que le bureau de la ville avait déclaré « grand entrepreneur et petit exécuteur», reçut de Rouvet, comme refuge, un bon emploi dans ses forges de la foret de la Charité, et à ses risques et périls, notre marchand de bois, dut seul, comme je l'ai dit, reprendre et pousser l'affaire du flottage. Il réussit ; la Cure que Deffroissez n'avait pu rendre flottable que jusqu'à Cravant, le devint par ses soins jusqu'à s'on embouchure dans l'Yonne, et ainsi de rivière en rivière, les trains de bois du Morvan purent entrer dans la Seine et arriver triomphalement au quai de l'École, vers le milieu d'avril 1549. Ce fut une véritable fête ; « le roi, dit Lamberville accorda sa protection à Jean Rouvet, etc., ordonna qu'en l'honneur de son heureuse entreprise on fit des feux de joie le long des rivières d'Yonne et de Seine, aussi bien que dans l'intérieur de Paris. »

Les feux de joie en pareil cas étaient bien trouvés, ma foi ! C'était la reconnaissance du bois flotté. L'invention du flottage, selon M. Fréd. Moreau qui en donne de nombreuses preuves dans son curieux volume, p. 21-26, était connue de toute antiquité. M. Maury ne le dément pas. Suivant lui, les nautes de la Durance, du Rhône et de la Seine avaient fait du flottage une des principales branches de leur industrie, V. dans les Mémoires présentés par divers savants à l'Acad. des inscript., 2° série, t. IV, p. 251, son traité historique sur les Forêts de la France, travail excellent, mais incomplet et même inexact pour ce qui se rapporte à Jean Rouvet page 110.

Le succès de Jean Rouvet n'alla pas beaucoup plus loin. C'est René Arnould qui, dix-sept ans après, en 1566, eut les plus beaux profits de l'affaire, profits bien gagnés du reste par d'incontestables améliorations. Lorsque la fortune du flottage eût été complètement faite, et qu'un arrêt du Parlement de 1569 l'eût consacrée (V. dans le Recueil de Sainct-Yon, p. 1028, l'arrêt du Parlement du 26 février 1569.- Un autre, de 1669 ; le confirma. (V. Freminville, Dict. ou traité de la police générale, 1775, in-80, p. 638 et suiv.), les jésuites, toujours aux aguets pour les fructueuses affaires, mirent la main sur celle-ci, jusqu'à ce qu'en 1621, un concurrent plus heureux vînt à son tour l'accaparer pour son compte. La bonne œuvre de Jean Rouvet, tentée pour le profit de tous, tournait au profit d'un seul !

Maintenant, puisqu'on va percer de nouvelles rues sur des terrains dont il fut propriétaire, ne pourrait-on pas donner à l'une d'elles, fût-ce à la plus petite, à la plus modeste, le nom de ce philanthrope intelligent, en l'honneur duquel la ville de Clamecy, prenant l'avance sur la reconnaissance parisienne, éleva, en 1828, un monument si bien mérité.

Sujets de cette chronique : Histoire de tour jean sans peur, jean sans peur, tour de jean sans peur, tour-de-jean-sans-peur, tour jean-sans-peur, tour jean sans peur, paris, tour jean sans peur paris, tour de jean sans peur paris, hôtel jean sans peur paris, enceinte de jean sans peur rue etienne marcel, tour de jean paris, musée tour jean sans peur, la tour jean sans peur, la tour de jean sans peur, jean sans peur paris, donjon jean sans peur paris

 


PAGES 1/2 | 2/2

:: HAUT DE PAGE    :: ACCUEIL

magazine d'histoire, chroniques anciennes, le Paris d'antan, périodiques du passé
de la rubrique
Monuments
CLIQUEZ ICI