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HISTOIRE du PALAIS-ROYAL
(D'après Les
rues de Paris. Paris ancien et moderne : origines, histoire, monuments, costumes,
mœurs, chroniques et traditions, sous la direction de Louis
Lurine, paru
en 1844)
Le 8 juin 1781, pendant qu'on exécutait ces travaux, l'Opéra brûla une seconde fois ; cet incendie enleva l'Opéra au Palais-Royal ; ce spectacle fut provisoirement transporté dans une salle construite à la hâte près de la Porte-St-Martin. Le Palais-Royal subit, sous ce maître nouveau, une des modifications les plus importantes de son existence, et sur laquelle il est utile d'appeler l'attention. Quels que soient les motifs que l'on s'efforce de donner aux résolutions prises et exécutées par le propriétaire du Palais-Royal, il y a un fait qui est demeuré incontestable, le but qu'il se proposa fut d'augmenter ses revenus devenus insuffisants pour ses dépenses. Il conçut le projet d'isoler le jardin, en l'entourant des édifices qui forment aujourd'hui les trois côtés de son, enceinte ; à ce sujet il y eut de la part des propriétaires voisins des réclamations très vives, sur lesquelles le Parlement fut appelé à prononcer. L'opinion publique témoignait sa colère par des sarcasmes ; à la cour on persiflait sans pitié sur les boutiques que le premier prince du sang faisait construire pour les louer aux marchands. Ce qui causa le plus de regrets, ce fut la destruction de la grande allée du jardin ; elle était chère à l'oisiveté des promeneurs ; elle était le rendez-vous des nouvellistes. Il fallut abattre les marronniers plantés par le cardinal de Richelieu, et qui étaient d'une grosseur remarquable ; on vit tomber le fameux arbre de Cracovie, celui au pied duquel avaient été réglés, en dépit des rois, des armées, des législations et des évènements, les destinées du nord de l'Europe. Ces dispositions contrarièrent tous les plans. On voulait d'abord conserver la façade principale du côté de la place, et séparer en deux parties, par des colonnades, l'espace qui s'étend du palais au jardin, avec des constructions posées sur les galeries. Le prince ne renonçait pas à l'espoir de ressaisir l'Opéra dont il regrettait l'absence ; il ordonna donc d'interrompre les travaux des colonnades, et fit construire la salle de spectacle qu'occupe maintenant le Théâtre Français. Dans l'intérieur du palais, les besoins successifs de la famille avaient exigé beaucoup de modifications : presqu'au même temps s'éleva, à l'extrémité d'une des galeries du jardin, une autre salle de spectacle, celle des petits comédiens du comte de Beaujolais, devenue depuis, mais avec des changements notables, la salle du théâtre du Palais-Royal. Dès ce moment toute grandeur disparut ; la spéculation exploita la triple galerie ; le jardin vit revenir les promeneurs, le public s'empara de cette promenade, ouverte à ses distractions, et oublia bientôt les premières doléances, et la foule adopta cet endroit, dont le prince et ses familiers ne jouissaient qu'après la fermeture des grilles. En 1786, le jardin du Palais-Royal avait conquis la plus grande vogue ; c'était le lieu où les merveilleux de la ville et de la cour venaient le plus volontiers ; les étrangers y accouraient de toutes parts ; il y avait certaines franchises indigènes qui étaient comme les privilèges de ce territoire ; la galanterie facile s'y était naturalisée. On avait construit un cirque au milieu du jardin ; il était décoré d'une manière originale par des compartiments en treillage ; il avait toutes les apparences d'un bosquet paré de fleurs et d'arbustes et rafraîchi par des jets d'eau qui s'élançaient et, retombaient de la terrasse placée au sommet de cette
Nous insistons sur cet établissement auquel le Palais-Royal doit peut-être les grandes destinées auxquelles touche déjà notre récit. Destiné d'abord à des exercices d'équitation, le cirque, dans lequel ne parut jamais un cheval, fut occupé par des fêtes, par des bals, des spectacles forains, des jeux, des repas et d'autres divertissements qui attirèrent la foule. Il occupait l'emplacement où se trouve le bassin, et il s'avançait sur l'une et l'autre pelouse. Rose le restaurateur l'exploita d'abord ; ce fut là que se réunit le club de la bouche de fer ; en 1799, il fut dévoré par les flammes. On était en 1789, la politique agitait tous les esprits ; mais rien ne pouvait satisfaire la curiosité du public : les journaux manquaient à son impatience, et ce n'était que par les conversations et dans des entretiens mutuels qu'on pouvait s'instruire de ce qu'il importait tant de savoir. Le Palais-Royal était le point central auquel venaient aboutir tous ceux qui recherchaient avec avidité le moindre bruit. Ces réunions s'augmentaient chaque jour, la foule y accourait de tous les points de Paris, pour y chercher des nouvelles et s'instruire de la situation de l'État. Ne semble-t-il pas que dans ces habitudes athéniennes on voie poindre l'origine de nos journaux ? La parole faisait alors ce que fait aujourd'hui la publicité imprimée. S'il arrivait une personne de Versailles, elle était aussitôt entourée par la multitude et pressée de questions sur la cour, sur le ministère et sur les États-Généraux ; les commentaires s'exerçaient ensuite sur ce que l'on venait d'apprendre. Cette situation avait quelque chose d'alarmant ; elle était plus dangereuse que la presse jugée si redoutable. D'abord, elle ouvrait la route à tous les mensonges, à toutes les erreurs et à toutes les exagérations. On dirait que c'est pour ces sortes de réunions que Beaumarchais a écrit cette pensée qu'il n'est de bruit absurde qu'on ne puisse faire croire aux oisifs d'une grande ville, en s'y prenant avec habileté. On comprend, tout de suite, quelle influence ce qu'on est convenu d'appeler un beau parleur, pouvait exercer sur ces masses mobiles, dociles et impressionnables ; rien ne pouvait conjurer l'orage excité par quelques paroles sonores ou par quelque brillante explosion de sentiments ; la raison n'aurait pu se faire entendre, elle eût été infailliblement étouffée par les transports du premier tumulte et bientôt réduite au silence. La force populaire ainsi groupée comptait promptement ses forces, les passions enflammaient, par le contact de l'idée à l'action, de la pensée au mouvement la transition était prompte et facile ; c'était un amas de matières combustibles qu'une étincelle pouvait enflammer. L'événement devait réaliser ces prévisions. Necker venait de céder la direction des affaires publiques à un nouveau cabinet. Paris avait reçu cette nouvelle avec irritation ; les groupes se formaient dans tons les lieux publics : au Palais-Royal, dans le jardin, la foule était immense. C'était le 12 juillet 1789. D'une des masses qui marquait le plus d'irritation, une voix, dont il était aisé de reconnaître la jeunesse à son émotion et à sa fraîcheur, s'éleva au-dessus de tous les autres entretiens, proposa de prendre les armes et d'adopter une cocarde nouvelle pour signe de ralliement. Voici comment il raconte lui-même ce qui se passa : « Il était deux heures et demie ; je venais sonder le peuple, ma colère était tournée en désespoir. Je ne voyais pas les groupes, quoique vivement émus et consternés, assez disposés au soulèvement. Trois jeunes gens me parurent agités d'un véhément courage ; ils se tenaient par la main : je vis qu'ils étaient.
– Messieurs, leur dis je, voici un commencement d'attroupement civique ; il faut qu'un de vous se dévoue et monte sur une chaise, pour haranguer le peuple. – Montez-y. – J'y consens. Aussitôt je fus plutôt porté sur la table que je n'y montai. A peine y étais je, que je me vis entouré d'une foule immense. Voici ma courte harangue que je n'oublierai jamais. – Citoyens, il n'y a pas un moment à perdre. J'arrive de Versailles, M. Necker est renvoyé ; ce renvoi est le tocsin d'une Saint-Barthélemy de patriotes. Ce soir les bataillons suisses et allemands sortiront du Champ-de-Mars pour nous égorger ; il ne nous reste qu'une ressource, c'est de courir aux armes et de prendre des cocardes pour nous reconnaître. J'avais les larmes aux yeux, et je parlais avec une action que je ne pourrais ni retrouver, ni peindre. Ma motion fut reçue avec des applaudissements infinis. Je continuai : – Quelle couleur voulez-vous ? Quelqu'un s'écria : – Choisissez ! – Voulez-vous le vert ? couleur de l'espérance, ou le bleu cincinnatus, couleur de la libellé d'Amérique et de la démocratie. Des voix s'élevèrent : – Le Vert, couleur de l'espérance ! Alors je m'écriai : – Amis, le signal est donné ; voici les espions et les satellites de la police qui me regardent en face. Je ne tomberai pas, du moins vivant, entre leurs mains. Puis tirant deux pistolets de ma poche je dis : – Que tous les citoyens m'imitent ! Je descendis étouffé d'embrassements ; les uns me serraient coutre leur rieur d'autres me baignaient de leurs larmes ; un citoyen de Toulouse, craignant, pour mes jours, ne voulut jamais m'abandonner. Cependant ou m'avait apporte un ruban vert ; j'en mis le premier à mon chapeau, et j'en distribuai à ceux qui m'environnaient. Mais un préjugé populaire s'étant élevé centre la couleur verte, un lui substitua les trois couleurs, qui furent alors proclamées, comme les couleurs nationales. » Cet homme, c'était Camille-Desmoulins. Le jour, c'était la première journée de la révolution. Le lendemain de cette scène, la Bastille s'écroulait sous les coups du Peuple. Quatre ans plus tard, une charrette s'arrêtait devant la façade du Palais-Royal ; elle conduisait au supplice le duc d'Orléans, qui avait renoncé à son titre pour prendre le nom d'Égalité ! Cependant la salle du Théâtre-Français avait été entièrement achevé mais les autres constructions n'avaient pu être terminées. A la place des colonnades projetées, on avait permis d'élever des hangars de planches qui formaient trois rangées de boutiques et deux galeries couvertes. On appela ces baraques le camp des Tartares, et ensuite les galeries de Bois. Ces constructions improvisées ont duré quarante-trois ans. Le 11 juillet 1790, l'Assemblée Nationale législative déclara que la patrie était en danger. Cette déclaration proclamée sur toutes les places publiques de Paris, le fut sur celle du Palais-Royal avec un appareil et une solennité extraordinaires. Elle fut, dès le matin, annoncée et précédée par le bruit du canon, le 12 juillet ; les officiers municipaux à cheval, et divisés en deux corps, sortirent, à dix heures, de l'Hôtel-de-Ville, faisant porter au milieu d'eux, par un garde national, une bannière tricolore sur laquelle était écrit : Citoyens ! la patrie est en danger ! Devant et derrière eux marchaient plusieurs conscrits, accompagnés de nombreux détachements de gardes nationaux. La bannière, signal du danger de la patrie, était ornée de quatre guidons, sur chacun desquels on lisait un de ces mots : « Liberté, égalité, publicité, responsabilité. » Une musique convenable à la circonstance se faisait entendre devant le corps municipal.Voici la formule que le président avait prononcée au nom du Corps législatif : « Des troupes nombreuses s'avancent sur nos frontières : tous ceux qui ont en horreur la liberté s'arment contre notre constitution. Citoyens ! la patrie est en danger ! Que tous ceux qui ont déjà eu le bonheur de prendre les armes pour la liberté se souviennent qu'ils sont Français et libres : que leurs concitoyens maintiennent dans leurs foyers la sûreté des personnes et des propriétés ; que
Le Palais-Royal, déjà diminué par les ventes nationales, fut réuni au domaine de l'État. Il expia fatalement le scandale de sa splendeur passée ; envahi par les races de Bohémiens qui exploitaient les vices et les désordres d'une population en délire, il fut livré à toutes les exploitations. On y installa une maison de jeu ; des fourneaux et des salles de restaurateur occupèrent les appartements ; les deux théâtres subirent, l'un, celui de la République, une ruine totale, l'autre les plus affligeantes dégradations. Sous le consulat, le Tribunat chassa les vendeurs ; cette assemblée tenait ses séances dans une salle dont le plan fut conçu par M. Bléro, et qui l'ut terminée par M. de Beaumont ; elle fut construite avec beaucoup d'habileté ; on accorde des éloges à son ordonnance et à l'harmonie de toutes ses parties. Bâtie en 1801, la salle du Tribunat a été démolie en 1827, pour la continuation des grands appartements, après avoir servi pendant treize ans de chapelle au palais. En 1807, le sénatus-consulte du 19 août et le décret impérial du 29 du même mois transférèrent au Corps législatif les attributions constitutionnelles du Tribunat. Le Palais-Royal fut réuni au domaine ordinaire et extraordinaire de la couronne dont il fit partie jusqu'en 1814. Napoléon ne le visita qu'une seule fois, et n'alla pas au-delà du second salon ; rien n'a pu détruire les préventions défavorables qu'il avait contre cette résidence. La Bourse et le Tribunal de commerce y furent abrités comme dans un asile provisoire. M. Vatout, qui a écrit sur les résidences royales un ouvrage auquel nous avons souvent emprunté des documents recueillis et ordonnés avec une intelligence parfaite, peint ainsi le retour du duc d'Orléans, actuellement le roi Louis-Philippe, au Palais-Royal : « En 1814, un auguste exilé revient dans sa patrie ; il se présente seul et sans se faire connaître au Palais-Royal. Le suisse, qui portait encore la livrée impériale, ne voulut pas le laisser entrer ; il insiste, il passe, il s'incline, il baise avec respect les marches du grand escalier. C'était l'héritier des ducs d'Orléans qui rentrait dans le palais de ses pères. Pendant les Cent-Jours le Palais-Royal fut habité par le frère aîné de Napoléon, Lucien, prince de Canino. » Après cette époque, le duc d'Orléans, rentré dans la possession des biens non vendus que le prince son père avait possédés à quelque titre que ce fût, s'occupa sans relâche de restaurer le Palais-Royal. Depuis l'anéantissement du Tribunat jusqu'en 1814, le Palais-Royal, comme demeure, resta désert ; au rez-de-chaussée et dans la cour, étaient, ainsi que nous l'avons dit, la Bourse et le Tribunal de commerce. Quelle vie et quel mouvement animaient alors les galeries ! Le Palais-Royal était comme une capitale au milieu d'une capitale ; la magnificence de ses boutiques avait une renommée universelle ; les Deux-Mondes en parlaient comme d'une pierre d'Orient. Les étrangers, les Français des départements, tous ceux qui affluaient à Paris, accouraient d'abord au Palais-Royal ; merveille du monde, il était regardé comme le temple du goût et de la mode ; pour lui tout était oublié et dédaigné ; toute emplette faite ailleurs qu'au Palais-Royal, dans les rues, comme on disait ordinairement, n'avait aucun prix ; l'Opéra-Comique l'avait ainsi voulu. Il est vrai que rien alors n'égalait les splendeurs de ce lieu ; mais il avait d'autres attraits ; c'était le centre des plaisirs, dont il avait le monopole exclusif, tant il les avait entourés d'irrésistibles séductions.
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