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LA BELLE MADELEINE (D'après Les célébrités de la rue, paru en 1868)
Le vrai pays inexploré, celui où la curiosité du voyageur trouve toujours un aliment, où le flâneur a devant lui des perspectives infinies, est encore ce Paris que nous habitons tous sans le connaître. Les types y abondent, nous les coudoyons à chaque pas, les remarquant à peine ; ils naissent, ils meurent, et nous ne nous rappelons plus qu'un chant bizarre ou un vêtement bariolé qui venait parfois frapper nos oreilles ou nos yeux. En écoutant les récits des vieillards, je me prends à regretter la Belle Madeleine. Je la vois à l'entrée des Tuileries, adossée à la grille, son éventaire devant elle ; sa jupe relevée, sa croix d'or sur sa poitrine coquettement décolletée, coiffée de son bonnet de paysanne. C'était l'heure où on revenait des remparts, il était de bon ton d'entrer aux Tuileries, et Madeleine, offrant à la foule ses gâteaux de Nanterre, qui jouissaient alors d'une vogue qu'ils ont perdue depuis, chantait de sa voix aigre : La Belle Madeleine, Ma conscience d'historien me force à déclarer que la Belle Madeleine était laide, fort laide même, elle spéculait sur le costume qui, sans être bien prononcé comme forme ni comme couleur (il rappelait celui des paysannes d'opéra-comique ), attirait les yeux de la foule. La jupe était courte, et les vieillards qui ont connu Madeleine, assurent que la jambe était maigre. Le siècle était encore bon enfant, et la garde qui veille aux barrières du Louvre n'arrêtait pas comme vagabonds les types parisiens ; on permettait donc à la marchande d'offrir ses gâteaux à tout carrosse venant. Tous les deux jours, Madeleine retournait à Nanterre, à pied, elle faisait sa provision de gâteaux et revenait à la grille ; plus tard, elle installa son four ambulant dans une arrière-boutique de la rue d'Argenteuil, cela ne l'empêchait pas de crier : Gâteaux de Nanterre ! Il se trouva un spéculateur qui voulut exploiter la célébrité de Madeleine et lui proposa d'ouvrir un bastringue aux Champs-Élysées. Une affiche du temps annonce que : « Les jolies demoiselles trouveront une compagnie brillante et choisie, des gâteaux toujours frais, du vin toujours vieux, et, en outre, des cabinets particuliers pour les amis de la décence. » Il est probable que Madeleine craignit de lâcher la proie pour l'ombre, car je ne trouve pas trace de son établissement. Elle a dû mourir vers 1825. En consultant les vaudevilles du temps et les petits journaux, on retrouve souvent des allusions à la Belle Madeleine. Son portrait est assez commun ; le Cabinet des estampes en possède plusieurs, et, vers 181o, époque de sa plus grande vogue, presque tous les peintres en miniature du palais du Tribunat l'avaient représentée dans ces cadres d'échantillons qui leur servaient d'enseigne. L'histoire se fait vite légende, et j'ai souvent entendu citer Madeleine comme un type gracieux. La Belle Madeleine n'était, je le répète, rien moins que jolie ; le portrait que j'ai eu sous les yeux, malgré les efforts d'un miniaturiste voué par état aux roses et aux lis, était celui d'une paysanne déjà vieille, à la peau hâlée et tannée. Ce portrait se voyait encore sous la Restauration dans les cadres des peintres qui habitaient les galeries du Palais-Royal. La Belle Madeleine n'a conservé son joli nom qu'à cause de sa chanson, qui lui a survécu ; elle figure dans quelques-unes de ces pièces de théâtre où on passait en revue les personnages à la mode. Madeleine n'est pas un type bien caractérisé, quoique nos pères en aient conservé fidèlement le souvenir ; mais sous la Restauration, les types de la rue sont rares, et comme tel elle méritait la place que je lui donne ici. Gouriet enregistre le nom de la Belle Madeleine, mais il ne lui consacre que
quelques lignes, qui ne nous apprennent sur elle rien de bien caractéristique
; les nouveaux détails que je donne ici sont empruntés à Dumersan
et aux vaudevillistes du temps ; le portrait est tiré du volume du Cabinet
des estampes, Maniaques et Visionnaires, qui m'a été d'un grand
secours pour la partie historique de ces études frivoles. |
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