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LA CHANTEUSE VOILÉE
(D'après Les célébrités de la rue, paru en 1868)
Celle qu'on désigna sous ce nom fut célèbre, même à côté de la Belle Madeleine, dont elle était la contemporaine ; on l'a vue, depuis 1805 jusqu'à 1815, venir s'adosser chaque soir contre le portail de Saint-Germain-l'Auxerrois. Elle avait vingt-cinq ans à cette époque : élégante de taille et d'une mise soignée, sa voix était douce et sympathique ; elle chantait avec succès les romances de Blangini et plaisait aux âmes tendres. Couverte d'un long voile qui, descendant jusqu'à la ceinture, cachait entièrement ses traits, elle excita vivement la curiosité publique, qu'exaspère l'incognito et qui brûle de pénétrer tout mystère. Les lions du temps tentèrent de soulever le voile, mais ces siéges n'effrayaient pas l'anonyme qui connaissait les instincts de la foule et persistait à garder ses allures mystérieuses. Si elle s'humanisa en faveur de quelques élégants indiscrets qui détruisirent un peu le charme, en proclamant la laideur de la Chanteuse voilée, elle n'en conservait pas moins son prestige sur la foule, qui contribuait à son succès en inventant des légendes dont elle était l'héroïne. Les versions étaient nombreuses, elles se transformaient parfois ; et quand elle eut adopté une romance qui eut un certain succès, un de ces romans invraisemblables qui commencent en ballon et finissent chez les Karakalpaks, on ne douta plus qu'enlevée par des pêcheurs de corail de l'Adriatique (!) on ne l'eût vendue au sultan qui, un beau soir, lui avait jeté la fine batiste. La romance de la Chanteuse voilée a trop la couleur du temps pour que je me refuse le plaisir de la citer tout entière aux lecteurs. La voici dans sa naïveté vieillotte : Conseiller est chose facile ; Oh ! venez... ouvrez-lui vos cœurs, À peine au sortir de l'enfance, Oh ! venez... ouvrez-lui vos cœurs, j'arrive en un lointain rivage ; Oh ! venez... ouvrez-lui vos cœurs, J'avais su braver la colère Oh ! venez... ouvrez-lui vos cœurs, Le dirai-je, hélas ! j'étais mère
! Oh ! venez... ouvre-lui vos cœurs, Cette romance peint mieux que je ne saurais le faire, le geste et le costume de la Chanteuse voilée. C'est une époque qui revit par son côté burlesque. On doit constater qu'à la même époque on organisa un succès
en faveur d'une autre chanteuse non voilée, qu'on nommait ainsi par
opposition à notre héroïne. La chanson favorite de cette
dernière était : Gusman ne connaît plus d'obstacle. Elle
se tenait dans le quartier du Louvre et portait un enfant suspendu à son
sein. |
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