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L'HOMME SANS CHAPEAU
(D'après Les célébrités de la rue, paru en 1868)
Sa manie est innocente ; en toutes choses d'ici-bas il pense comme vous et moi. Ce n'est même pas un fantaisiste, il serait plutôt bourgeois et prud'homme ; mais il a horreur du chapeau et n'en a jamais porté, si bien qu'on le voit errer tête nue dans toutes les rues de Paris. Vous croyez, en le voyant passer sur les boulevards, qu'il est sorti en voisin pour faire une emplette ; – erreur, il est là fort loin de chez lui, et quand il voyage, il ne couvre pas davantage son crâne poli comme une bille d'ivoire et habitué aux intempéries. Soutenez après cela que notre lourd chapeau noir est une des causes de la calvitie précoce de notre génération ; voici un original qui, dès son âge le plus tendre, jetait sa calotte par-dessus le premier moulin venu, et dont jamais, au grand jamais, le crâne n'a été souillé par notre ignoble gibus. Amère dérision ! flagrante inconséquence ! il est chauve comme jules Sandeau ou le docteur Laborie, et pour désigner Siraudin placé à côté de lui, le premier venu dirait, sans intention épigrammatique : « le plus chevelu de ces deux messieurs. » Mais une calvitie aussi radicale ne constitue pas seule un titre à l'admiration de ses contemporains ; l'Homme sans chapeau est un dilettante passionné, et les Parisiens l'appellent encore l'Ami des musiciens. Il est de tous les orphéons, il assiste à tous les concerts populaires, il organise, administre et pousse l'enthousiasme jusqu'au point d'accompagner les masses chorales lorsqu'elles vont, de département en département, concourir ou donner des festivals. L'Homme sans chapeau porte toujours en bandoulière une de ces petites bourses chères aux Anglais en voyage. Pendant l'été, quand les régiments de la garnison de Paris donnent des concerts dans les différents quartiers de la capitale, il passe des Tuileries à la place Vendôme, et regrette amèrement de ne pouvoir, à la même heure, assister à celui de la place Royale. L'Homme sans chapeau a quarante ans ; il est blond comme Arsène Houssaye et paraît de mœurs douces ; il adore la foule et ne paraît nullement gêné quand l'attention de ses contemporains se concentre sur lui. Quelques gens systématiques, et que ce parti pris agace, lui vantent parfois les avantages de la coiffure ; il écoute leurs observations avec bienveillance, mais il ne saurait se convertir. On l'a vu dans quelques occasions, et notamment lors des ascensions solennelles du Géant, prêter son concours à Nadar, organiser, administrer et diriger. Il semble que la foule l'attire et qu'il ne se plaise qu'au milieu des Parisiens en effervescence.
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