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LE CHARMEUR D'OISEAUX
(D'après Les célébrités de la rue, paru en 1868)
Un jour, errant dans les Tuileries, entouré de jolis enfants qui sautaient à la corde et de jeunes mères aristocratiquement belles qui surveillaient leurs ébats, j'ai été frappé par le singulier spectacle qui fait le sujet de ce chapitre. Un jeune homme d'une mise élégante, d'une figure placide, la tête nue, un peu renversée, appelait les oiseaux qui venaient voltiger autour de lui et prendre, jusque sur ses lèvres, les miettes de pain qu'il leur offrait. Dans l'air, voletaient avec des battements d'aile, tout un peuple de pierrots, mésanges, palombes et pigeons. Ce n'était certes pas un flâneur vulgaire, le temps est passé où les Graziella et les Teverino viennent faire de l'art pour l'art sur la place publique, et nous voulions avoir le mot de cette étrange industrie ; mais nous éprouvâmes une grande déception, car le lendemain, revenu vers la même heure, au même endroit, au lieu d'un homme jeune et sympathique, nous vîmes un charmeur vieux et cassé, à l'œil éteint, au regard atone ; il commençait par jeter dans les petits jardins entourés de grilles quelques miettes vite dévorées par les moineaux francs ; puis, les attirant graduellement, il gardait dans la paume de la main le pain qui lui restait, et des massifs de verdure, des arbres environnants, de tous les coins enfin de ce jardin, se dirigeaient les oiseaux de toute espèce qui peuplent les Tuileries. Arrivant à un crescendo de sympathie entre lui et ses hôtes ailés, il finissait par les attirer au point de les laisser se percher sur son épaule et prendre la becquée dans sa bouche. Est-ce un don particulier, une tension des facultés d'un individu pour arriver à ce singulier résultat ? Nous croyons plutôt à un magnétisme bizarre qui s'exerce sur ces animaux fascinés par une puissance que l'on peut assimiler à celle du faucon, du tiercelet et de tous les oiseaux de proie. M. de Lamartine a raconté qu'il avait connu à Ischia une jeune fille qui ne pouvait sortir dans la campagne sans être entourée d'oiseaux qui voltigeaient autour d'elle, se posant familièrement sur son épaule et suivant pour ainsi dire son sillon, comme attirés par un magnétisme étrange. Madame Sand, dans Teverino, a développé ce type. Il y a aux Tuileries aujourd'hui plus de dix charmeurs. Les plus célèbres
sont au nombre de trois ; un petit vieil-lard à la Odry, ancien prote
dans une imprimerie, puis M. Édouard X..., ancien sous-préfet
d'abord, puis employé aux pompes funèbres, maître d'études,
enfin copiste de musique. Le dernier charmeur est une charmeuse, mademoiselle
Henriette, qui a surpassé tous ses devanciers ; elle exerce surtout
son influence sur les ramiers. Lorsque sa provision de pain est épuisée,
la dame quitte le jardin, ses amis ailés lui font cortège et
l'accompagnent jusque sur la place. |
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