RUE DE LA ROQUETTE
XIe arrondissement
(D'après Histoire
de Paris rue par rue, maison par maison, paru en 1875)
Notice écrite en 1864.
Les Chevaliers de l'Arc :
La compagnie royale des chevaliers de l'Arbalète
et de l'Arquebuse, ou de l'Arc, qui en formait primitivement plus d'une,
eut Louis-le-Gros pour fondateur. Le nombre des chevaliers fut fixé à 180
par saint Louis, à 200 par Charles V, n'étant encore que
dauphin, en l'absence du roi Jean, son père. Charles VI, Louis XI
et Charles VIII modifièrent les statuts de la compagnie, en augmentant
ses privilèges. Marchand, capitaine des arquebusiers fit construire
le pont Marchand sous Henri IV, qui confirma l'institution, comme les quatre
rois qu'il eut pour successeurs. Une confrérie de Saint-Sébastien,
dont saint Louis avait fait partie, s'était fondue dans cette compagnie.
Ses exercices avaient lieu tous les dimanches,
pendant les six plus beaux mois de l'année, et, dans les cas urgents,
elle était requise comme troupe réglée. Les prix ordinairement
décernés aux plus adroits, dans les réunions hebdomadaires,
se composaient de jetons d'argent. Mais, le dimanche d'après le Saint-Laurent,
le corps de Ville distribuait trois prix, gagnés en sa présence.
De plus, pour saluer chaque événement heureux, tel qu'avènement,
mariage, fête, naissance de prince, victoire ou traité de paix,
douze chevaliers allaient complimenter le roi, qui octroyait trois prix pareils à ceux
de la Ville, savoir : une médaille d'argent, pesant un marc, et deux
médailles équivalant ensemble à la première. A
notre avis, le premier jardin des arbalétriers royaux a donné son
nom à la rue de l'Arbalète, un des affluents de la rue Mouffetard.
Néanmoins, le lieu affecté aux exercices de cette compagnie attenait à l'enceinte
de Philippe-Auguste, du côté de la rue des Francs-Bourgeois, en
1379 ; c'était onze années plus tard rue Mauconseil, puis rue Pavée-au-Marais,
près les hôtels de Lamoignon et de la Force, et puis en 1604 à l'endroit
où se trouve le boulevard Beaumarchais, vis-à-vis l'extrémité actuelle
de la rue des Tournelles, mais du côté où donne la rue
Saint-Sébastien. Lorsqu'on voulut planter le boulevard, en réservant
sur ce point un espace pour élargir la promenade, les chevaliers de
l'Arquebuse, en échange de leur terrain, prirent près de là possession
d'un chantier de bois flotté, hors et près la porte Saint-Antoine,
au coin de la rue de la Roquette : la concession en était faite, le
22 février 1673, par les prévôt et échevins à la
compagnie. Elle transforma ce chantier en hôtel royal de l'Arquebuse,
et le jardin qui en faisait partie longeait jusqu'à la rue du Chemin-Vert
celle de Saint-Sabin.
Les archers de la Ville, dernière transformation
des arbalétriers royaux, s'y donnaient rendez-vous encore du temps
du parlement. Maupeou, leur major étant Pierre-François Bussat,
marchand mercier qui demeurait rue de Bièvre. Au lieu d'un capitaine,
ils avaient à leur tête M. le gouverneur de Paris, colonel-né, qui signait les brevets, et ils étaient soumis à la juridiction
de la connétablie et maréchaussée de France. Mais bientôt
le jardin officiel fut pris à loyer de l'autre côté de
l'eau, sur le boulevard, près du Marchéaux-Chevaux. Quant à l'hôtel
de l'Arquebuse, livré à la spéculation, il ouvrait son
tir à tout le monde, en regard même de la Bastille, comme pour
apprendre publiquement à y viser les sentinelles.
Les Manufacturiers :
Avant l'écroulement de cette forteresse,
il y avait dans la rue de la Roquette, du même côté que le
tir, mais plus haut,, une manufacture de faïence, une de cierges à ressort
et une de papiers peints. Du côté opposé : une manufacture
de porcelaine, l'hôtel Montalembert, l'hôtel de Bon-Secours et une
manufacture de faïence, dont Pavie, en réputation sous la Régence,
avait été le chef. Les ouvriers de cet établissement n'avaient
qu'un pas à faire pour prendre chez la fille Barbet, à l'image
de la Vierge, des repas à 4 sols, et même à 9. Au fond de
la rue : le couvent et l'hospice des religieuses de la Roquette.
Les grandes fabriques n'étaient guère plus nombreuses dans cette
rue manufacturière l'année 1807. La faïence en occupait
alors quatre, celle d'Olivier, (41- 44 actuels), et celles de Denis, de Diéque,
de Husson ; les ouvriers de Tropper faisaient des poêles et des cheminées à la
prussienne ; ceux de Richard, du bleu de Prusse.
Sedaine :
Une mansarde pittoresque au-dessus d'un petit rez-de-chaussée, sur la
rue, dépend, n° 49, de l'ancienne maison de Sedaine, qui est encore
entre cour et jardin. Mais le pavillon de travail du créateur de l'opéra-comique
a disparu tout au fond du jardin, devant une rue de son nom. Né dans une
famille d'architectes connus, que les biographies disent peu fortunés,
et qui pourtant .eurent des maisons en ville, Sedaine était lui-même
dans la partie et secrétaire de l'Académie d'architecture, tout
en faisant de jolies pièces de théâtre. Mais, comme à Scribe,
le style lui a fait faute, et l'Institut s'est excusé de lui avoir fermé ses
portes en disant : Il parle français, comme un ancien tailleur
de pierre... Mais la faute, en réalité, qu'expiait alors l'auteur
fort distingué du Philosophe sans le savoir, c'était l'invocation
royaliste qu'on avait tirée, par une touchante allusion, du poème
de Richard Coeur-de-Lion, qui avait commencé par lui ouvrir d'emblée
l'Académie Française en 1786 : Ô Richard, ô mon roi, L'univers t'abandonne !
Le marquis de Montalembert :
Le général Montalembert, auteur de
travaux sur les fortifications, contraires à ceux de Vauban, se présenta
aussi à l'Institut ; mais il retira sa candidature, pour la section
de mécanique, dès qu'il se trouva en présence d'un concurrent
qui n'était autre que le général Bonaparte. L'Académie
des sciences avait reçu dans son sein, dès 1747, ce marquis de
Montalembert, lieutenant général en Saintonge et en Angoumois,
puis maréchal de camp, qui avait épousé plus tard Mlle
Marie de Comarieu, spirituelle maîtresse de maison. Leur hôtel,
contigu à la propriété des religieuses de Bon-Secours
de la rue de Charonne, avait appartenu au comte de Clermont : on y jouait la
comédie sous l'ancien régime.
Réaumur :
M. Girault de Saint-Fargeau nous rappelle que Réaumur
habita, rue de la Roquette, un hôtel dessiné par Dulin, et nous
apprenons, d'autre source, que le même architecte y construisit en 1708,
pour le financier Desnoyers, un hôtel sur la droite, près du couvent
de la Roquette. Réaumur, si ingénieux naturaliste et physicien,
dont le thermomètre a fait le tour du monde, étudiait la fabrication
de la porcelaine : raison de plus pour qu'il se rapprochât de la manufacture
de Pavie. Toutefois, en 1720, l'hôtel Desnoyers servait de petite maison
au duc de Biron.
La Pension. La Maison royale de Plaisance :
A ladite date, Bévière, maître
de pension, occupait trois maisons en face, et les religieuses anglaises du
quartier Saint-Victor avaient affermé à un marchand de vin et à un
jardinier deux propriétés sur la même ligne que l'hôtel,
mais plus près de la Bastille. Le 71, maison de plaisance bâtie
postérieurement, ne fut pas à Bévière ; mais cet
instituteur avait assurément le 93 et le 95, si ces immeubles n'appartenaient
pas aux religieuses de la Roquette. Une tradition orale, qui en fait un ancien
logis de la reine Blanche, n'est guère justifiée que par un escalier à vis,
bien conservé, qui peut dater du siècle de saint Louis. Mais
Henri II et Henri IV ont eu, c'est à n'en pas douter, une maison de
plaisance au lieu dit la Roquette, et en voilà le reste.
Le Couvent hospitalier de la Roquette :
D'autres bâtiments et un terrain, se rattachant
au royal pied-à-terre dont nous parlons, furent acquis, sous les auspices
de la duchesse de Mercoeur, par les religieuses de Notre-Dalle-dela-Charité ;
elles y fondèrent une succursale de leur établissement hospitalier,
formé en 1624 près de la place Royale et de la rue des Tournelles.
Les hospitalières de la Roquette étaient au nombre de 80 en 1690,
et alors, avec autorisation, elle se séparèrent, des hospitalières
de la place Royale, en devenant les filles de Saint-Joseph. Outre des lits
fondés par des paroisse, elles en desservaient vingt, consacrés à des
femmes, malades ou valétudinaires, qui payaient, les unes 30 livres
par mois, les autres 400 livres par an à vie. Que de fois une convalescente
vint demander une chambre à ces religieuses, rien que pour respirer
l'air pur de leur jardins ! L'administration des Hospices prit possession,
en l'an III, de leur maison, pour en faire une filature. L'aliénation
en 8 lots n'eut lieu qu'en 1823. Le principal corps de bâtiment du monastère
hospitalier se retrouve au n° 125, et sa boulangerie au 152, qui attenait à son
cimetière. Aussi bien voyez l'éclaircie qu'ont formée
le boulevard et la place Saint-Eugène, entre 95-128 et 105-138.
La Folie-Regnault :
La rue de la Roquette finissait à la rue
des Murs-de-la-Roquette ; elle ne s'est prolongée qu'en 1818 jusqu'à la
rue de la Folie-Regnault, sur l'ancien territoire conventuel. Au-delà,
elle englobe une ci-devant rue Saint-André. Un pavillon de la Folie-Regnault
et son orangerie sont encore au 188 et au 192.
Les Prisons. Les Tombes. La Fleur des Tombes
oubliées :
Maintenant, cette longue avenue du Père-Lachaise,
des corbillards la sillonnent tous les jours et ne se lassent pas de s'y suivre.
Elle est flanquée de deux prisons dont ont ne rit jamais, que nous sachions,
et pourtant, comme on riait parfois de la Bastille, quand elle se dressait à l'autre
bout ! Entre les deux prisons substituées au couvent, on exécute
les condamnations capitales depuis 1851. Plus haut, la rue de la Roquette a
pour industrie exclusive d'orner les tombes du grand cimetière. Lorsqu'un
mort oublié dort sous un petit jardin qu'aucune main ne cultive plus,
il y pousse une plante à fleurs jaunes, qu'arracherait un jardinier.
Cette plante des terrains incultes est la roquette, humble marraine de la rue.
Il doit suffire à la gloire de M. de Roquette, grand-vicaire de Cluny,
puis évêque d'Autun, qu'il ait posé à son insu devant
Molière, pour servir de type à Tartufe.
Le modèle vous
paraîtrait même plus que tendre à la tentation, comme dirait
Dorine du portrait, si vous ne preniez de la notice consacrée au personnage
par M. Lamoureux, dans la Biographie Michaud, que ce passage isolé : « Peu
de temps. avant la mort de la princesse douairière de Condé,
il avait favorisé, par un déguisement, l'introduction de sa maîtresse
dans Paris. » Une maîtresse déguisée, passe encore
; mais avouée, quel Tartufe pousserait les choses si loin ! Heureusement
pour l'abbé Roquette, deux circonstances font tomber le malentendu :
il était alors attaché à la maison de la princesse dont
on parle, et elle n'atteignit jamais l'âge de Mme Pernelle, mais elle
n'était déjà plus jeune quand le grand Condé, son
fils, prit parti contre Mazarin. Une épigramme, attribuée à Boileau,
parlait des sermons prononcés par M. de Roquette comme elle aurait pu
le faire de ses écrits :
On dit que l'abbé Roquette
Prêche les sermons d'autrui ;
Moi, qui sait qu'il les achète,
Je soutiens qu'il sont à lui.
|
|
|
|