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RUE D'ANJOU-SAINT-HONORÉ
VIIIe arrondissement
(D'après Histoire
de Paris rue par rue, maison par maison, paru en 1875)
Notice écrite en 1856.
Les Morfondus : Les hôtels séculaires de la rue d'Anjou, bâtie en 1649, sont encore plus nombreux que ceux dont fit mention le Tableau de Paris de Saint-Victor, au commencement du présent siècle. Ce livre ne parle, en effet, et encore sans aucun détail, que des hôtels Bauffremont, La Belinaye, Créqui, Contades, Nicolaï, La Rivière et Rouault. Or, au lieu de sept, il en est trente debout, sans compter les maisons de construction moderne. Où trouver, dans les grandes maisons qui se suivent de près, rue d'Anjou, un escalier qui ne soit pas de pierre, une rampe dépourvue de ses arabesques de vieux fer, une fenêtre sans ornement dans le goût de la Renaissance ? Les plus minces portiers, les plus chauves se laissent encore appeler suisses, comme sous la Restauration ; ils reçoivent le facteur à travers leur propre œil de bœuf, dont les chroniques au jour le jour ne sont pas plus discrètes que celles de Versailles autrefois. Que dis-je ! un simple vétérinaire saigne ses malades, d'une main sûre, dans un bâtiment armorié. Mme de Polignac :
Monsieur de Vaudreuil Les jaloux ajoutaient à ce refrain sans chanson : – Mais il a
de la poussière sur ses lunettes. Le général Lafayette :
Le marquis de Louvois : La Connétablie : L'hôtel Contades avait commencé par être dit de Lorraine, comme si Stanislas Leiczinski, ou son ambassadeur y eut résidé ; mais les initiés d'alors savaient bien n'y rendre visite qu'a Mgr François-Armand de Lorraine, évêque de Bayeux, qui rendit l'âme, âgé de 64 ans, le 9 juin 1728. La duchessse d'Esclignac : Tout semblait assurer alors une vie heureuse à la grande dame épouse du nouveau pair : elle avait la beauté, la considération, une bonne santé tout à fait plébéienne, avec des parents rois et princes, et 500,000 livres de rente. Mais voyez quel revers avait cette médaille d'une richesse sans pareille ! La duchesse d'Esclignac, depuis que les journaux avaient un peu agrandi leur format, ne pouvait plus en lire un seul sans y tomber sur le compte-rendu d'accidents devenus si nombreux qu'elle en avait peur pour elle-même. Cela corsait si bien les faits divers qu'on ne se contentait pas toujours d'y tirer le même sinistre à plusieurs exemplaires, sur la foi de correspondants imaginaires. La duchesse, puisqu'il faut tout dire, croyait aux serpents de mer, n'osait plus manger de champignons et rêvait, de chiens enragés. Elle n'avait pas tardé, dans sa frayeur, quotidienne comme les. grands journaux, à se défaire de la meute du duc, réduit à emprunter, les jours de chasse, les chiens de Monsieur, comte d'Artois. Ce fut le tour des chats quand elle apprit que l'espèce féline, également, avait à redouter les atteintes de l'hydrophobie : défense aux femmes de chambre de conserver près d'elles le plus soyeux, le plus petit angora ! Les puces aussi, ajoutèrent des savants, et Mme d'Esclignac eut enfin une raison plausible pour ne plus recevoir dans ses salons un seul député libéral ! Aussi bien l'hôtel d'Esclignac avait et a encore pour vis-à-vis l'hôtel de Rivière ou de la Rivière, qui a perdu son nom, mais dont on vante la distribution nouvelle, comportant une salle à manger en stuc blanc, qu'on dit un chef-d'œuvre. Il y a encore plusieurs membres de la famille Rivière, mais plus haut, dans cette rue d'Anjou, qu'a lui-même habitée I'économiste Mercier de la Rivière. Ce conseiller au parlement, échappé par bonheur aux proscriptions, mourut en 94, dans un âge avancé. Comme il avait dû faire un code pour les Russes, Grimm et l'abbé Galiani, dans son intimité, l'appelaient Solon. Passez la rue de la Ville-l'Évêque, vous trouvez, n° 33, une maison de qualité, s'il m'est permis d'emprunter son langage au siècle qui l'a vu bâtir. La maréchale Maison, née Allemande, et dont la villa pour l'été se trouvait à Aix-la-Chapelle, a occupé ledit hôtel, ainsi que la duchesse de Rozan et en dernier lieu le général Ventura. Le 35 a été construit pour Mme de Malesherbes et habité plus tard par la comtesse de Straffort. Si vous laissiez une carte de visite à la porte d'après, elle serait à l'adresse de Mme de Kisséleff, baronne, si ce n'est princesse, qui rend diplomatiques les salons qu'elle fréquente. Mme la princesse de Belgioioso, contrefaçon de Mme de Staël, y .demeurait auparavant. Le 36, le 38 sont également du siècle précédent ; ils appartiennent à la reine douairière de Suède, pour la réception de laquelle tout est prêt constamment, mais qui, depuis trente ans, remet toujours son voyage à l'année prochaine. M. le comte de Clary, sénateur et cousin de l'empereur, est mort dernièrement dans cette ancienne demeure de Bernadotte. La doyenne des femmes de qualité : On n'en vendit que mieux, pendant l'émigration, l'hôtel et tous les biens de la vieille marquise de Créqui, excepté cependant des bois, rapportant 25,000 livres, que l'État conserva. Joséphine parla un jour de ces bois au premier consul, en lui apprenant que la noble centenaire venait de rentrer à Paris avec 1 200 pauvres livres de rente. Napoléon autorisa alors Joséphine à lui présenter Mme de Créqui. Celle-ci ne craignit pas de leur dire tout net, aux Tuileries : – J'ai été présentée céans à plusieurs reines, avant de l'être à Marie-Antoinette, mais je ne me doutais pas que sa cour dut être la dernière cour. – Madame, répondit le premier consul, naturellement piqué de cet excès de franchise, si vous avez connu Louis XIV, le régent, Louis XV et Louis XVI, c'est flatteur, c'est fort honorable. Et Cartouche ? il est impossible que vous ne l'ayez pas connu... Le rouge monta alors et de lui-même, par extraordinaire, au visage de la centenaire, qui à son tour était piquée au vif. Après cette escarmouche, qui les laissait quittes l'un envers l'autre, Napoléon fit rendre à la marquise ses forêts. Dans une autre circonstance, avant de passer à l'étranger, Mme de Créqui avait montré une superbe, qui eût pu lui coûter la vie. Ses cuisines avaient eu pour chef le frère de sa femme de chambre, laquelle avait eu une fille. Cette fille, qui, dès l'enfance, promettait d'avoir de l'esprit, et tint parole, plut à Roland, jeune avocat, qui l'épousa. Mme de Créqui de s'écrier aussitôt : Voilà un avocat qui laisse tomber son bonnet dans la lèchefrite ! A la Révolution, l'avocat se fit journaliste libéral, sans attaquer le roi, qui le nomma garde des sceaux. C'est ainsi qu'une femme de mérite, fille d'une camériste, alla demeurer place Vendôme, en ajoutant au nom de son mari celui de la Platière. Une fois chancelière de France, Pauline imagina de rendre visite à la marquise, qui avait l'habitude de recevoir son monde étendue sur un canapé. Mme Roland s'assit au pied de la dormeuse de l'enragée femme de qualité, qui lui dit tout à-coup : Pauline, sonnez votre mère, j'ai besoin d'elle... Mme de Créqui donna ainsi à la noblesse française une ennemie, qui pourtant hésita à se déclarer, et qui plus tard mourut, en hostie expiatoire, pour un parti déchu, qui la regardait presque comme une servante infidèle. Monville et Philippe-Egalité : Benjamin Constant : On n'ignore pas que ce riche particulier ne dépensait que le revenu de son revenu et capitalisait tout le reste : il avait bien des terres, en sus de ses hôtels, notamment la moitié de la Beauce. Quelle désolation pour lui que sa fortune considérable dût un jour être divisée ! Sa fille était déjà pourvue elle-même de quatre filles alors que s'annonça pour elle, et de seconde main pour son père, une héritière ou un héritier de plus. Dans l'espoir que ce serait un garçon, d'Aligre alla tout de suite implorer de Louis XVIII l'autorisation de fonder en sa faveur un majorat, à la charge pour le titulaire de s'appeler d'Aligre-Pommereux, au lieu de Pommmereux. Le roi, qui comprenait fort bien qu'il y allait pour le marquis de perpétuer le nom que ses ancêtres avaient illustré dans la robe, essaya toutefois d'échapper à une réponse catégorique, en changeant de conversation : N'êtes-vous pas grand propriétaire dans le pays chartrain, demanda-t-il ? – J'ai par-là, répondit le marquis, beaucoup de bien qui ne doit rien à personne. Plaît-il à Votre Majesté : de le rendre inaliénable et transmissible par droit de primogéniture mâle – Mais alors, reprit Louis XVIII, vous ne devez pas ignorer que Chartres aurait besoin d'un hôpital ?... Le marquis, faisant à son tour la sourde, oreille, n'osa plus remettre ce jour-là son affaire sur le tapis. Force lui fut, pour revenir à la charge, de demander une autre audience. Mais il eut à peine dit : – Et mon majorat, sire ? que le roi répliqua : – Et l'hôpital de Chartres ?... M. d'Aligre, de guerre lasse, transigea : il n'obtint pas tout ce qu'il avait demandé, mais il en fut quitte à l'hospice pour la fondation de douze lits. Dieu lui avait donné par-dessus le marché le sexe qu'il voulait à l'enfant. Le marquis se montra, du reste, si souvent ladre que nous ne suffirions pas à raconter ses petites daligreries. Il songeait toujours à la mort, car il modifia quatre-vingts fois ses volontés testamentaires, et il ne quittait pas les médecins, ces avant-coureurs de l'ouverture des testaments. Il n'allait au spectacle qu'accompagné de deux jeunes disciples d'Esculape, l'un tenant pour Galien et l'autre pour Hippocrate, ce qui faisait du dernier d'Aligre deux personnages de Molière en un seul : le malade imaginaire et Harpagon. Il mourut enfin rue d'Anjou, et le testament ouvert par M. Debelleyme, renvoyé chez Me Delaloge. commençait par ces mots, singuliers types de tendresse paternelle : Je retire, à mes héritiers naturels tout ce que la loi me permet de leur ôter, et je lègue... Il léguait trois millions à des hôpitaux, à des pauvres et à ses maîtresses, et bien des procès aux avoués. Sa vie n'avait été qu'un testament, divisé en quinze lustres. On a vendu une partie de ses biens, mais, la liquidation de sa succession ayant toute l'importance d'une liste civile, il y a il y a encore un homme d'affaires pour représenter le défunt dans le bel hôtel qui, ne lui servit de rien. La marquise de Nicolaï, femme elle-même de beaucoup. d'esprit, pouvait voir de ses fenêtres Mme de Créqui. Bien avant la révolution littéraire de 1830, elle aimait la vieille poésie de Ronsard et de Dubartas, autant que celle de Malherbe. L'ambassade de Hollande succéda à Mme de Nicolaï dans sa maison et y ouvrit une chapelle protestante. Le fameux général Moreau acheta la propriété, un peu avant d'être exilé. Mme de Staël, dit-on, donna le conseil à l'empereur Alexandre de consulter Moreau, qui déclara la France vulnérable seulement par la, Suisse, et le général mourut en 1813, après avoir ainsi facilité la rentrée des Bourbons à la suite des armées alliées. La veuve de Moreau fut en effet traitée comme une maréchale par Louis XVIII. La fille de Mme Pater : Pater est dans notre cité. Mme Pater, du reste, eut trois maris, et, cette trinité ne lui suffisant pas, elle eut un nombre égal de filles. Toutes les trois étaient charmantes ; mais s'il avait fallu donner la pomme, on eût dit Mme de Peyre qu'elle ressemblait le plus à sa mère.
Le dernier d'Aligre. Le général Moreau
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Helvétius : Et à présent c'est le tour de l'hôtel de Meun, qui va nous parler d'Helvétius. Fils du médecin de la cour et fermier général à vingt-trois ans, il se démit de sa place, qui rapportait 100 000 écus, pour épouser la nièce de Mme de Graffigny et puis pour faire de l'esprit sur l'Esprit. Helvétius ne demeura pas toujours rue Sainte-Anne, et il lui eût été bien difficile de passer inaperçu dans la rue d'Anjou, enfilade aristocratique où l'on se mettait souvent à la fenêtre pour rire du carrosse et de la livrée d'un financier. Sa terre de Voré, dans le Perche, permettait mieux de jouer au grand seigneur. Il était pourvu à la cour de la charge de maître d'hôtel lorsqu'il écrivit l'Esprit, et ce livre méritait bien que la Révolution décernât des apothéoses à son auteur ; on y lisait mille choses comme celle-ci : « Tout devient légitime et même vertueux philosophe opulent était mort d'une goutte rentrée en 1771, laissant dans la douleur sa veuve, qui se retira à Auteuil, où Turgot et Franklin voulurent l'épouser, mais où le général Bonaparte se contenta près d'elle d'une victoire sans conquête. Mlle Laguerre. Groupe de Marquis : Falconet : Mme de Lavoisier : M. de Loewenhielm : |
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