Rues et places de Paris
Cette rubrique vous livre les secrets de l'histoire des rues et places, quartiers de Paris : comment ils ont évolué, comment ils sont devenus le siège d'activités particulières. Pour mieux connaître le passé des rues et places, quartiers de Paris dont un grand nombre existe encore.
magazine d'histoire, chroniques anciennes, le Paris d'antan, périodiques du passé
de la rubrique
Rues/Places
CLIQUEZ ICI

RUE BRANTÔME
IIIème arrondissement de Paris
(D'après Histoire de Paris rue par rue, maison par maison, par Charles Lefeuve, paru en 1875)

Notice écrite en 1861 : Naguère rue des Petits-Champs-Saint-Martin, et rue du Maure. La rue des Petits-Champs-Saint-Martin n'avait pas encore reçu le nom d'un chroniqueur illustre du XVIe siècle.

Les Dames de Montmartre. – Péril en Demeure pour l'honneur du Couvent. – Le For-aux-Dames. – Le Fief Saint-Merri. – La Reine Blanche. – Les Petits-Champs. – Marie de Beauvilliers. – Gabrielle d'Estrées. – Le Rachat des Droits seigneuriaux. – La Confrérie des Ménétriers. – Les Maîtres à danser. – Les Doctrinaires. – Le Chapelain. – La Messe des Agents de Change. – Saint-Julien-des-Ménétriers.

Le domaine accordé aux religieuses de Montmartre par Louis-le-Gros et par sa femme, Adélaïde de Savoie, comportait le fief du For-aux-Dames. Les droits seigneuriaux de ces dames furent authentiquement confirmés par les cinq derniers rois de la branche des Valois ; mais elles n'étaient plus alors propriétaires de la maison, sise rue de la Heaumerie, près Saint-Jacques-la-Boucherie, qui servait de siège audit fief dès la fin du XIIIe siècle. Un incendie, sous. Henri II, et puis la guerre civile avaient fort compromis leur temporel, sans profit pour le spirituel.

L'abbesse en était quitte pour transférer, pendant les plus mauvais jours, sa résidence personnelle dans un hôtel garni, comme cela avait eu lieu sous la domination, anglaise, et bailli, greffier, procureur, agent-voyer étaient encore ce qui soutirait le moins de la rigueur des temps, à l'abbaye ; le relâchement absolu de la règle n'était pas plus de nature que le désœuvrement de la misère à sauver l'honneur du couvent. « Peu de religieuses, dit-on, chantaient l'office ; les moins déréglées travaillaient pour vivre et mouraient presque de faim ; les jeunes faisaient les coquettes ; les vieilles allaient garder les vaches et, servaient de confidentes aux jeunes. »

Catherine de Clermont, abbesse depuis longtemps, fut obligée de plaider pour obtenir, en 1587, l'accès d'une pièce au rez-de-chaussée, que ses officiers appelaient encore local des plaids du For-aux-Dames. Ces dames n'y avaient aliéné leur droit de propriété, dès l'an 1319, qu'à la réserve des prisons et du plaidoyé, encore que le bailliage du For-aux-Dames fût réuni à celui de Montmartre. Or la moitié de la rue des Petits-Champs était dans la justice et censive dudit fief, comme s'y trouvaient des maisons de la rue Saint-Martin et de la rue Neuve-Saint-Merri : Aussi Mme de Clermont avait-elle pour tributaires, dans la première de ces trois rues.


Or le côté droit de cette rue et le côté gauche de la cour du More, maintenant qualifiée rue du Maure, avaient la même bordure de constructions.

Le reste relevait féodalement des vénérables chefcier, chanoines et chapitre de Saint-Merri, aux deux extrémités de la rue, du côté gauche, et à l'entrée, du côte droit, y compris le n° 8, qui appartenait alors aux héritiers de Guillot Diguet, et qu'on regarde aussi comme l'un des anciens logis de la reine Blanche, qui en avait autant que de promenades favorites ! Les Petits-Champs, à la vérité, ont tenu assez de place pour que plusieurs hôtels aient commencé par y être des villas, et, comme pour nous faire mesurer l'étendue de cette ancienne campagne, trois rues de Paris en retiennent le nom. Celle dont nous parlons, et qu'on est encore dans l'usage de dire la rue des Petits-Champs-Saint-Martin, pour la mieux distinguer des rues Neuve-des-Petits-Champs et Croix-des-Petits-Champs, est ainsi désignée dès 1273 dans un accord passé entre Philippe-le-Hardi et le chapitre de Saint-Merri.

Beaucoup de monde sait qu'en braquuant des canons sur sa bonne ville de Paris, Henri IV remporta, à l'abbaye de Montmartre, une Victoire amoureuse, qui lui parut de bon augure. Les frais en étaient faits par la nonnain Marie de Beauvilliers, pendant qu'une abbesse nouvelle s'enfuyait devant les gens de guerre, avant d'avoir reçu ses bulles. On sauva bien les apparences, en racontant que le droit de la guerre n'avait fait entrer le Béarnais chez ces religieuses qu'après le départ des jeunes, réfugiées à Senlis sous la protection, tant de Mme de Sourdis, parente de Marie de Beauvilliers, que de la maréchale d'Aumont, grand'mère de Mme de Montmartre.

Cependant le prince remuait ciel et terre pour rendre agréable le séjour de cette ville à la jolie transfuge, qu'une surprise du cœur gagnait à son parti. Néanmoins Gabrielle d'Estrées fit bientôt oublier Marie de Beauvilliers, sa cousine, et Paris, mieux gardé que Montmartre, continuait à se défendre.

Or, dans le cœur même de la belle Gabrielle, Henri IV ne succédait à Henri III qu'après un intérim principalement rempli par Zamet, le cardinal de Guise, le duc de Longueville et le duc de Bellegarde. Elle se montra pourtant encore plus constante en matière d'amour qu'en fait de résidence, la maîtresse en titre de Henri IV. Ne voyons-nous pas l'une des nombreuses demeures de cette favorite légendaire dans le n° 16, où le susnommé Henry Gérard fut mitoyen avec les religieuses de Montmartre ?

Marie de Beauvilliers, ayant pleuré sincèrement sa faute, encore plus que son royal amant, en l'abbaye de Beaumont-les-Tours, fut appelée à Montmartre, où elle prit le titre d'abbesse, vers la fin du règne de Henri IV, avec un grand cérémonial, qui lui donnait la marquise de Sourdis et la comtesse de Sagonne pour assistantes ; et ce jour-là un capucin célèbre, Anne de Joyeuse, prononçait le sermon. Pendant plus d'un demi-siècle, qui ne fut pas entièrement employé à lutter contre l'indiscipline et les désordres de ses subordonnées, cette abbesse eut le temps d'écrire posément ses Conférences d'une Supérieure avec ses Religieuses.

Elle racheta de Jean Bourgeois et consorts, en 1604, l'hôtel du For-aux-Dames, pour le Compte de l'abbaye, et Nicolas Hardy, greffier de la justice du fief, prit cet hôtel à bail en 1655. A cette date, 56 ans déjà s'étaient passés depuis que Mme de Sourdis avait fermé les yeux de Gabrielle, et Marie de Beauvilliers ne cessa que l'année suivante, en rendant à son tour le dernier soupir, d'exercer des droits respectés sur une des maisons où il régnait toujours un souvenir de son ancienne rivale.

Il y avait en 1655 à l'abbaye : Noble dame Marie de Beauvilliers, abbesse, dame de Montmartre, de Clignancourt, des Percherons et du For-aux-Dames ; illustre princesse Françoise-Renée de Lorraine, coadjutrice ; sœur Jacqueline de la Nouë, prieure à Montmartre ; sœur Marguerite Langlois, prieure aux Martyrs ; sœur Elisabeth Poullet, sous-prieure à Montmartre ; sœur Catherine de Meaux, sous-prieure aux Martyrs ; sœur Louise Jollivet, célerière aux Martyrs ; sœur Louise de Morges, portière ; sœur Catherine de Chanènes, dépositaire ; sœur Marie Benoit, boursière ; sœur Magdeleine Picart, secrétaire du chapitre, et Claude de Sèves, célerière à Montmartre.

Quant aux propriétaires de l'ancienne maison de Gabrielle, ils n'étaient autres que Isaac Chéret maître des comptes, et Marguerite de Flesselles, sa femme, tenant aux hoirs Colombel et toujours auxdites religieuses. Mlle Marguerite Chéret ayant ensuite épousé Nicolas Leclerc, la propriété fut vendue, en 1741, par Mlle Henriette Leclerc de Grandmaison, fille majeure, à Lartigue, ancien chapelier ; mais l'adjudication en avait lieu au Châtelet, 25 ans plus tard, sur décret poursuivi à la requête de Mlles Marie-Henriette et Elisabeth Leclerc de Grandmaison, (filles mineures émancipées d'âge sous la curatelle de leur mère, née Ledoux de Milleville) contre ledit Lartigue, qui n'avait pas rempli les engagements pris dans l'acte de vente.

Les Lenoir, parmi lesquels il se trouvait un, ancien greffier de la chambre des domaines, se rendirent adjudicataires, et ils ne vendirent qu'en 1792, après avoir fait aux administrateurs des domaines nationaux, par huissier, des « offres réelles de 500 fr. pour les remboursement, rachat et extinction des droits ci-devant seigneuriaux, tant fixes que casuels, échus, courants et venir, dont ladite maison pouvait être tenue envers la Nation, représentant la ci-devant abbaye, sauf à parfaire, s'il y avait lieu, après la vérification de la valeur de ladite maison et la liquidation desdits droits, lesquelles offres lesdits sieurs administrateurs avaient refusé de recevoir. »

D'autre part, la maison de ces dames, ayant pour locataire le procureur Bignon du temps de Maître Chéret, touchait à celle de Martin Boudon, secrétaire du roi, où pendait une Annonciation. Nivet ou Nevet, procureur au Châtelet, séparait Boudon de Germain Gallyot. Vous faut-il d'autres noms de propriétaires contemporains de Gallyot dans la même rue et dans la même cour ? Jean Briot, le sieur de Vaucorbeil, Benjamin Bédé, écuyer, sieur de Longcourt, les héritiers Le Normand, Philippe de Flesselle, François-Etienne, sieur d'Amanville, Jean Richard, secrétaire du roi, Cournier, contrôleur des rentes provinciales d'Orléans, la confrérie des Ménétriers et les pères de la Doctrine-chrétienne y ont en même temps droit de bourgeoisie. Binet, perruquier de Louis XIV, habite également la rue : les grandes perruques sont de son invention à telle enseigne qu'on les appelle des binettes.

Dans les commencements du règne suivant, Jacques Lefeuve aura l'un des coins de la rue Beaubourg et de la cour du Maure ; au lieu de Jean Richard. L'angle d'en face, faisant également encoignure sur la rue des Petits-Champs, appartiendra à Vallier, comte du Saussey, président à mortier au parlement de Metz. Pierre Babel, avocat, ne sera séparé de la même rue Beaubourg que par une seule maison de la rue des Petits-Champs, où Masson, un autre avocat, viendra avant Gallyot, greffier-criminel au Châtelet, tenant toujours à Nevet ou Nivet.

Les dames de Montmartre avaient abandonné gratuitement un terrain, entre les rues des Petits-Champs, du Maure et Saint-Martin, sur lequel Jacques Grare de Pistoye et Huet la Guette, deux ménétriers, avaient fondé un hospice, avec une chapelle dédiée à saint Genest, patron des comédiens, et à saint Julien. Une confrérie de 37 ménétriers, dont faisait partie Pariset ménestrel du roi, avait contribué à l'œuvre de toutes ses forces, et la constitution de cette confrérie datait de l'an 1321. La petite église s'est appelée avant peu Saint-Julien-des-Ménétriers : sur son portail étaient représentés des joueurs d'instruments.

Aussi bien les musiciens et les jongleurs se réunissent d'abord dans une rue voisine, celle des Ménétriers ; mais plus souvent et plus longtemps on va jusqu'à la rire du Maure, sur une place attenante à l'église, pour y louer jusqu'à des poètes, moins souvent que des bateleurs, mais principalement des musiciens, et accessoirement des danseurs. Si bien que la communauté des maîtres à danser se fixe elle-même à Saint-Julien, avec une tribune spéciale dans la chapelle.

Dame ! Saint-Julien est d'une grande ressource pour les fêtes particulières et pour toutes les entreprises se proposant l'amusement public : noces, baptêmes, distributions de prix, entrées solennelles, bals, concerts, spectacles, mascarades, curiosités en foire, sérénades à l'espagnole, vaudevilles et charivaris à la française. Rien que de charmant jusque-là ; par malheur on accuse un jour la confrérie de couvrir de ses privilèges non pas seulement un reste de ménestrels, des troubadours en survivance, des comédiens comme l'a été saint Genest, des joueurs de violon, des racleurs de guitare, des jongleurs et des baladins, mais encore des vagabonds, des filles perdues et des voleurs.

Oh ! alors, la reine Anne d'Autriche favorise les prétentions des pères de la Doctrine-chrétienne, nouvellement établis au quartier Saint-Victor, et ils y gagnent d'abord une succursale ardemment convoitée, mais qui leur est tout de suite disputée. Ces pères imposent aux confrères une transaction ; deux arrêts du conseil prononcent en sens contraire sur les difficultés qui en résultent. Procédure nouvelle et nouvel arrangement entre les parties, la veille de l'audience: Conflit, imbroglio, malentendus, en somme, à n'en pas finir de si tôt ! Sans compter que les réunions autorisées au cabaret de l'Epée-de-Bois, rue Quincampoix et rue de Venise, d'une société semi-académique, dite du Roi des Violons, se trouvent venger Mazarin de maintes mazarinades trop popularisées par les confrères de la rue du Maure et de la rue des Petits-Champs.

A la mort de Davier, chapelain de Saint-Julien, qui a été choisi comme ses prédécesseurs, par deux ménétriers, investis des pouvoirs de la jurante, on nomme Pezé, frère de deux doctrinaires. De plus, le roi ayant créé des charges de jurés à titre d'offices dans chaque corps, celles des joueurs de violon et des maîtres à danser sont achetées par de nouveaux jurés, créatures des doctrinaires. L'acte d'abandonnement est consenti par lesdits chapelain et jurés ; l'archevêque approuve l'union, et des lettres-patentes semblent mettre le sceau à la substitution. Voici pourtant que la vénalité des charges est supprimée dans toutes les communautés. Aussitôt les danseurs et les musiciens d'élire de nouveaux jurés, et de signer une protestation au nombre de 280 maîtres, contre tout ce qu'ont fait les jurés précédents.

Pendant l'instance, qui reprend de plus belle, Pezé passe de vie à trépas ; musiciens et danseurs nomment en remplacement Charles-Hugues Galand, ancien curé de Magny. Le procès enfin est jugé, en 1718, sur le rapport de l'abbé Pucelle, conseiller-clerc au parlement et neveu de Catinat : Galand reste chapelain. Les pères de la Doctrine n'en conservent pas moins sept maisons, qu'ils ont achetées dans la rue des Petits-Champs depuis longtemps, en vue d'un établissement définitif. La première est l'ancien logis de la reine Blanche, où les ont précédés Philippe de Flesselles et son neveu, Séraphin Baudouin, seigneur de Soupire. Ils tiennent les suivantes de Leroux, de Laborde et des héritiers Doussin.

Les trois dernières étaient primitivement l'hospice de Saint-Julien et la demeure du chapelain ; les ménétriers les ont aliénées en 1588, et elles ont appartenu, un siècle plus tard, deux à Etienne d'Osbolles, seigneur d'Osmouville ; et l'autre au prévôt des marchands, M. de Bernage ; Amurat et Lambert, gendres d'Osbolles, en ont hérité chacun une ; mais celle de Lambert, à défaut de payement d'une rente foncière dont elle était grevée, a fait retour, en 1696, aux joueurs d'instruments. Celle-ci est l'ancienne maison du chapelain, et les doctrinaires n'en jouissent qu'à charge de payer une rente de 300 livres. A cette époque, les maistres gouverneurs de la confrairie des Joueurs de violons et autres instrumens payent le cens à Mme de Montmartre, pour la place et l'église de Saint-Julien-des-Ménétriers et un petit logement à côté.

En cette église, à partir de 1720, les agents de change font célébrer leur messe annuelle du Saint-Esprit et un requiem pour chacun des leurs qui vient à mourir. La communauté des Ménétriers n'a cessé de vivre qu'avec toutes les communautés supprimées en 1776. Le temporel de l'église qu'elle avait créée et patronnée, n'a plus été administré que par le lieutenant de police. Mais un chapelain titulaire n'a cessé de dire la messe que pendant la Révolution, et l'on démolissait presque au même temps Saint-Julien-des-Ménétriers.



:: HAUT DE PAGE    :: ACCUEIL

magazine d'histoire, chroniques anciennes, le Paris d'antan, périodiques du passé
de la rubrique
Rues/Places
CLIQUEZ ICI