|
|
|
||||||||||||
RUE DE BRETAGNE
III ème arrondissement de Paris
(D'après Histoire de Paris rue par rue, maison
par maison, par Charles Lefeuve, paru en 1875)
Notice écrite en 1858. Précédemment, rue de Bretagne, dans la partie comprise entre les rues de Turenne et de Beauce, et rue de la Corderie, dans la partie comprise entre les rues de Beauce et du Temple (B). La partie B a aussi porté le nom de rue de la Corderie du Temple ou Cordière et, entre les rues de Beauce et Charlot, le nom de rue de Bourgogne. La partie A devait être à l'origine bordée de maisons uniformes, servitude qui ne fut pas suivie d'effet. La partie B, qui longeait les murs du Temple, est indiquée sur un plan de 1530. Origine du nom : Province de France ; voisinage de la place de France, projetée par Henri IV. Promenade rétrospective entre les
Rues du Temple. René Moreau, savant médecin, cessa de vivre quelques années avant le cardinal de Mazarin ; il laissait une bibliothèque considérable et différents écrits en latin, de sa composition, sur la médecine et la chirurgie, qu'il avait pratiquées et enseignées, outre qu'il avait traduit de l'espagnol en français un Traité sur le Chocolat, d'Antonio Calmonero (Paris, 1643, in-4°). Moreau, premier médecin,de la dauphine, tenait de René Moreau un terrain sûr lequel a été bâtie en 1698 l'avant-dernière maison de la rue de Bretagne, côté des numéros impairs. Porte cochère bien aristocratique pour le tonnelier Denis, habitant et, propriétaire au commencement du règne de Louis XVI ! Sans compter qu'il y avait une cour entre çette porte et le bâtiment, qui maintenant est celui du fond. Aux n°s 63 et 61, dont les petites portes et les façades ont été refaites, se rattache le nom de Claude Fagot, qui acquit cette propriété des religieux dits les Enfants-Rouges, en 1764 ; toutefois, si nous remontons cent-huit années plus haut, nous y trouvons maître Jean de la Barre, procureur au grenier-à-sel. Puis vient un rez-de-chaussée, surélevé d'un étage, où sont les ateliers d'une manufacture d'aiguilles, et qui appartint aussi aux Enfants-Rouges ; il ne figure pas, comme les propriétés voisines, dans le Papier terrier de la Commanderie du Temple, dressé de 1779 à 1789, par le bailly de Crussol, pour le duc d'Angoulême, grand-prieur de France, et cette omission doit signifier qu'il n'était pas dans la censive du Temple. Un fronton continue à décorer l'entrée du 57, maison d'origine nobiliaire, qui en fit deux au XVIIe siècle et qui devint une brasserie en l'an XIII, du côté le plus proche du Temple. Elle avait eu pour maîtres des d'Entragues, et ceux-là étaient à demeure ; des Sourdis, alliés aux d'Entragues ; un comte de Verdon et un marquis de Varenne, fils du seigneur de Verdon-le-Bailly, qui l'avait achetée, en 1755, d'un curé du diocèse de Châlons-sur-Marne. Le Terrier précité en faisait tenir le propriétaire « vers Orient, à M. le comte de Gaucourt et d'autre part, à M. Louis-Paul de Zéneaulme. » Ce comte de Gaucourt, brigadier du roi et enseigne des gendarmes de sa garde, n'était que propriétaire du n° 55 : il demeurait quai Mataquais. Fieubet, marquis de Sivry avait laissé à sa fille, Mme de Gaucourt, cette maison, que Fieubet, chancelier de la reine, avait payée en 1680 aux d'Entragues, et Chevalier, un conseiller d'Etat, avait été le vendeur des d'Entragues, cinquante deux ans auparavant. L'ancien hôtel dont nous parlons fut transformé en poste militaire à l'époque où le Temple servait de prison à Louis XVI ; puis Auhinot, fournisseur des armées, en fit un magasin de farine. La roture, par exemple, peut tout revendiquer du 49 et du 47 : celui-ci appartenait à un maître menuisier, quand celui-là fut bâti pour un sellier, sur terrain aliéné par le même couvent, peu de temps avant la convocation des Etats-Généraux. Le quartier n'était pas encore aussi ouvrier qu'à présent ; mais des artisans y devenaient propriétaires avant que de prendre leur grade en bourgeoisie pour se retirer des affaires : La population laborieuse n'avait même pas à passer dans l'enclos du Temple, lieu de franchise, par la filière de l'apprentissage et de la maîtrise : la main-d'œuvre y coûtait moins cher par concurrence. C'était non seulement l'un des refuges consacrés aux réfractaires des arts et métiers, mais encore un asile de liberté, non moins inviolable, pour des débiteurs poursuivis le droit de prise de corps pour dettes ne pouvait s'y exercer en aucun temps. Toutes les maisons déjà citées dans la monographie que nous donnons ici, dépendaient de la rue de la Corderie, ajoutée de nos jours à celle de Bretagne. Cette rue longeait un mur du Temple, citadelle chevaleresque rappelant déjà un ordre qu'avaient aboli des supplices ; elle devait sa dénomination aux artisans qui, de longue date, y faisaient du tortis du chanvre. Quand le droit de justice, rendue au nom des rois, mais souvent à leur préjudice, passa pour un moment au peuple, l'heure sonna d'un nouveau martyre juridique, et l'auguste prisonnier du Temple paya une dette qui, protestée trop tard, n'en érigea pas moins la monarchie en autorité responsable ; son droit divin changeait de caractère ; les arrhes du sang répandu rachetaient des droits aliénés par la Couronne, et elles l'affranchissaient d'exigeantes associations qu'elle avait beaucoup moins acceptées par intérêt que par accès de gratitude chevaleresque : Quant au donjon, geôle royale, c'était le reste d'une forteresse à laquelle Philippe-le-Hardi et saint Louis avaient confié la garde de leurs trésors, et Philippe-le-Bel sa personne. Démolie en 1814, la tour suprême ne projette plus, son ombre sur cet enclos du Temple, qui mesurait 25 arpens avant Henri IV. Réduit encore une fois, l'enclos, dont il reste quelques arbres, vient de ressusciter en square, et l'image du vieil édifice reste le blason d'un quartier qui n'en porte plus que le nom. Le square longe l'ancienne rue de la Corderie ; c'est une parure plus riante à coup sûr que les quatre bastions, le mur, les créneaux et le fossé qui fortifiaient ce côté du Temple. La rue de Beauce, à son tour, est emprisonnée sous des grilles, qui la réduisent en impasse (cette ruelle a été rendue depuis lors à la liberté) ; elle a séparé autrefois la rue de la Corderie de la rue de Bretagne, laquelle s'est appelée de Bourgogne, pendant un temps, dans ce qu'elle a de compris entre les rues de Saintonge et de Beauce. Aussi bien en 1806 on a classé comme rue Neuve-de-Bretagne un autre prolongement, appendice ajouté sans autorisation officielle. Que si nous poussons plus avant, la rue qui sous l'ancien régime avait déjà la province bretonne pour marraine, nous eu paraît plutôt les antipodes, sous le rapport de la noblesse. La plupart des maisons y sont plus roturières que le long de l'ancienne corderie ; ce qui n'empèche pas leur faite de s'être couronné sous Louis XIII du rameau traditionnellement inaugurateur des maçons, fleur offerte, fruit à recevoir. Percée sur la culture du Temple, en l'année 1696, cette rue de Bretagne proprement dite ne s'est presque pas départie de son aspect des premiers jours. Le plan de 1754 y montrait bien le marché et la boucherie des Enfants-Rouges, abrités comme de nos jours par leurs trois corps de bâtiment, en face de la rue de Beaujolais (cette rue de Beaujolois est devenue celle de Picardie) ; seulement l'hospice desdits Enfants, fondé en 1334 par Marguerite de Navarre pour les pauvres orphelins, n'encadre plus ce tableau animé et d'autant plus parlant que les femmes y dominent. Si ledit plan ne jetait pas un voile sur tout le reste de la rue, il pourrait nous y montrer au coin de celle Vieille-du-Temple une maison à Mlle de Sensse, fille mineure d'un procureur-tiers référendaire au parlement, enveloppée pour ainsi dire dans les plis d'un hôtel qui appartenait à De la Brosse, marquis de Ponceau, et que tenaient embrassé trois rues, Vieille-du-Temple, Bretagne et Saint-Louis (cette dernière porte le nom de Turenne). Poulleport, fruitier-oranger, occupait dans le même temps, à l'angle de la rue Périgueux (la rue Debelleyme actuelle se décomposait naguère en rues de Périgueux, de Limoges, de l'Echaudé et Neuve-Saint-François), une maison dont les propriétaires avaient été avant lui : Déleri, bourgeois de Paris, Legallois, marchand et bourgeois, Leclercq et d'abord Mathieu, marchand de vin. Ce débitant l'avait fait élever sur une place, qui mesurait 3 toises, 1 pied 1/2 de façade rue de Bretagne, et que lui avait cédée Charlon, vinaigrier, acquéreur de Michel Sigon. Or Sigon spéculait par-là sur un espace bien plus vaste ; il en vendit un autre lot, en l'année 1610, au fameux éditeur Sébastien Cramoisy, dont nous revoyons la façade, modèle encore de régularité et d'ornementation bourgeoise, n° 6. Le n°1 fut hôtel de Tallard ; mais il a seuil en autre rue. Un boucher qui dispose du rez-de-chaussée de cet immeuble a mis sur sa devanture : English spoken. Le Marais serait-il donc las de faire quarantaine avec ses petits rentiers ? Il commence effectivement a attirer des étrangers, transfuges de l'élégant faubourg Saint-Honoré : l'Anglais ne craint les extrémités qu'en fait de viande de boucherie. Entre le boulevard Beaumarchais, la place Royale et Saint-Jacques-la-Boucherie, bat le cœur d'un ancien Paris, qui peut revenir à la mode, bien que ses pulsations, accélérées outre mesure les jours de révolution par le contact trop fiévreux des faubourgs, puis ralenties pour de long intervalles, en aient fait un cœur de province.
|
|
|||||||||||||
:: HAUT DE PAGE :: ACCUEIL |
|