Rues et places de Paris
Cette rubrique vous livre les secrets de l'histoire des rues et places, quartiers de Paris : comment ils ont évolué, comment ils sont devenus le siège d'activités particulières. Pour mieux connaître le passé des rues et places, quartiers de Paris dont un grand nombre existe encore.
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RUE DE BUCI
VI ème arrondissement de Paris
(D'après Histoire de Paris rue par rue, maison par maison, par Charles Lefeuve, paru en 1875)

Notice écrite en 1858. Historique. Ouverte au XIIIe siècle. C'était la rue de Buci dès 1352. Elle a été également appelée : rue qui tend du Pilori à la Porte de Buci et rue de la Porte de Buci. Origine du nom : Simon de Buci, qui avait acheté la porte Saint-Germain en 1350.

Le Pilori. – Les Annales de la Porte de Buci. – Le Médecin-Prêtre. – Evocation de Bourgeois des XVIe, XVIIe et XVIIIe Siècles. – Le Théâtre-Illustre. – Le Cabaretier Landelle. – L'Hôtellerie de Stockholm. – L'Estrade patriotique. – Les Septembriseurs. – Le 24 Février.

Jusqu'au XVe siècle, il fallait être clerc avant que de passer médecin ; mais on représenta aux rois qu'il était plus convenable à un laïque de paraître jour et nuit au chevet de ses clientes, et la robe doctorale cessa d'avoir la robe ecclésiastique pour doublure. Maître Philippe Lecurieux, clerc du collège d'Arras et médecin, qui pouvait célébrer lui-même des messes pour le repos des âmes que son art avait aidé à passer d'un monde dans l'autre, avait et habitait l'une des dix maisons de cette rue en l'année 1388.

On disait alors : Rue qui tend du pilori à la porte de Buci et elle n'était ouverte que depuis trente-sept ans. Le pilori de Saint-Germain-des-Près fonctionnait en vertu d'une charte accordée par Philippe-le-Hardi à cette abbaye. Si de pareils instruments de diffamation ne se relèvent plus, on en rend grâce à de nouveaux sentiments d'humanité ; mais le pilori est remplacé, avec aggravation de peine pour beaucoup de patients, par les comptes-rendus judiciaires. Quant à la porte, Philippe-Auguste n'avait pas attendu qu'elle fût achevée pour la donner aux mêmes religieux, et elle était encore dite de Saint-Germain, précédée d'une place, surmontée d'un logis et flanquée de deux tours le 16 août 1362, jour où Simon de Buci, conseiller du roi, premier président au parlement, l'avait prise à bail, moyennant 20 livres de rente, plus 6 deniers de cens féodal.

Qui de nous a oublié qu'en 1418 la porte de Buci fut livrée par Périnet-le-Clere aux Bourguignons ? Le patriotisme dévoyé des Parisiens érigea d'abord une statue sur le pont Saint-Michel au traître, en haine des Armagnacs dont la faction de Bourgogne avait fait deux fois boucherie ; mais, à la reritrée de Charles VII, on jeta bas la statue, la porte fut murée. Aussi bien ne prenons pas le change sur la situation de ce monument de flétrissure ; il ne s'érigeait pas précisément dans la rue qui partagea au XVIe siècle sa seconde dénomination ; il était passé le carrefour, entre la rue Contrescarpe (cette rue Contrescarpe-Dauphine s'appelle à l'heure qu'il est Mazet) et la cour du Commerce d'à présent.

François Ier réhabilita en l'année 1369 la Porte de Buci, qui se rouvrit, avec un pont-dormant du côté de la porte de Nesles. Dans les années suivantes, le bureau de la Ville consentit par brevet des baux de 60 à 80 ans, ayant pour objet des terres vagues sur la rue de Buci, à la charge d'y élever des maisons manables. Les premiers titulaires de ces emphytéoses avaient noms Jean de Bernay, Philibert. Pourfillot, puis Jean Arnout, Leconte, Houldec, Garret, Cormillotte, Chapelle, et j'en passe.

Une donation entre vifs mettait au même temps les chanoines de Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie en possession d'une maison rue de Buci, au coin de celle des Mauvais-Garçons (Grégoire-de-Tours), à la place de Michel Bernard, prêtre. Le révérend père Pierre Dagneaux, prêtre, chanoine régulier, receveur et procureur desdits religieux, passait reconnaissance de cette maison à l'abbaye de Saint-Germain-des-Près en 1687. Le même angle, ou bien son pendant, était, sous la Régence ; vendu 25,000 livres par Philippe et Pas-savant aux Dlles Jassaud.

La porte monumentale, comme pour laver elle-même une tâche faite par la trahison, rendit service au parti des victimes dans la trop mémorable nuit du 24 août 1672 ; elle eut le bon esprit de rester close devant le duc de Guise, qui s'acharnait à la poursuite des protestants, et les haches, pour avoir raison de cet obstacle, firent assez de bruit et prirent assez de temps pour conseiller la fuite et la faciliter à ceux-là dont la vie était menacée de si près. Puis, Paris continuant à rompre ses enceintes, comme la tête d'un enfant qui grandit, ses bourrelets, l'ancienne porte de Buci fut démolie en 1672.

Le bureau de l'Hôtel-de-Ville en profita pour prendre un plus grand nombre de fermiers par emphytéose, dits engagistes ; les toits se multiplièrent. Mais à l'expiration des baux, ou même avant, moyennant une indemnité payée aux engagistes par de nouveaux propriétaires, l'abandon du terrain n'eut plus lieu par contrat de louage, mais, moyennant un prix d'achat déterminé, plus une redevance annuelle et perpétuelle, non rachetable. Puis on vendit sans aucune restriction, à la requête de Bertier de Sauvigny, intendant de la généralité de Paris en exécution d'un arrêt du conseil d'État en date du 9 novembre 1749, l'emplacement de la porte susnommée et les maisons qui avaient fait retour par épuisement de concession temporaire.

Peu de temps après la disparition de son monument patronymique, la rue compte au nombre de ses propriétaires : Mlle du Mesnil, à l'enseigne des Quatre-Fils-Aymond ; Jean Garde, à l'image du Gros-Raisin, ci-devant au Pied-de-Biche, deux ou trois portes après la rue de Bourbon-Guise, alias Bourbon-le-Château, et Amyot, qui a deux maisons près le Petit-Marché, en face de la bar­rière des. Huissiers. Mlle Anne d'Esperon du Mesnil est fille majeure. Jean Garde sert en qualité de concierge et de garde-meuble chez S. A. R. Mademoiselle, souveraine de Dombes, qui, réside au palais d'Orléans (le Luxembourg) ; sa propriété, qui donne : par-derrière sur le jeu de longue-paume de l'abbaye, plus tard cul-de-sac de Metz, puis du Guichet, puis rue de l'Echaudé appartiendra en 1728 à Laisné, écuyer ; sieur de Beaumarchais, gentilhomme-servant ordinaire du roi, puis à David Le Bercher, sculpteur des bâtiments du roi, et ensuite à sa veuve ; Amyot est principal commis au gros criminel du parlement, pour les audiences, de la chambre du conseil et du petit-criminel ; il habite l'une de ses maisons.

Le carrefour du Petit-Marché et le carrefour Buci, font la paire aux deux bouts de la rue, sur le plan de 1714, qui donne à celle-ci un total de 51, maisons, et de 11 lanternes ; avec une boite, aux lettres, à l'encoignure de la rue Bourbon et des étaux de boucherie à celle de la rue Mazarine. Mais la place du Théâtre-Illustre n'est indiquée sur aucune carte de Paris. Cherchons-la donc nous-même au n° 17 de ce temps-ci, qui appartient à M. Crapelet et parait n'avoir pas toujours été séparé du n° d'après. Ils tiennent à eux deux la place du jeu de paume de la Croix-Blanche, où de jeunes amateurs jouèrent la comédie avec Molière.

La troupe de ce théâtre, se donnant à lui-même le brevet de la célébrité, s'était pourtant improvisée et recrutée de fils de famille ; son succès ne s'élevant pas du premier coup à la hauteur de ses prétentions, elle gagna la province en 1663, sous la direction du plus illustre des siens, pour y donner des représentations. D'autres acteurs, ceux de l'Opéra-Comique, refirent plus tard du même jeu de paume une salle de spectacle à titre provisoire, leur loge de la foire Saint-Germain ayant été abattue pour faire place à un marché ils y donnaient le 13 février 1725 la première repré­sentation d'un opéra-comique intitulé l'Ambigu-Comique, et ce n'est pas la seule pièce nouvelle qu'ils aient montée dans ce théâtre de hasard.

Nous trouvons aux archives un acte du 31 mars 1742, par lequel « Louis de Bourbon, comte de Clermont, prince du sang, abbé commendataire de l'abbaye royale de Saint Germain-des-Prés, demeurant en son palais abbatial, cède aux prieur et religieux, assemblés en leur chapitre au son de la cloche en la manière accoutumée, une maison faisant partie de la mense abbatiale, sise rue de Buci, occupée ci-devant par un potier, d'étain, joignant d'un côté une maison nouvellement bâtie par le sieur de Jettopville, contenant 7 toises et 17 pieds de terrain, boutique, etc. ; le tout en très-mauvais état. » Lesdites propriétés correspondent maintenant aux chiffres 30, 32 et 34, et lesdits moines ont au moins reconstruit la première, qui porte des sculptures près du faîte et qui fait retour sur la rue de l'Echaudé, autre-fois cul-de-sac du Guichet, en ouvrant sur autre une voie, celle de Bourbon-le-Château.

De documents puisés à la même source il appert que Hubert, bourgeois de Paris, disposait de l'un des deux angles de la rue de Seine en 1747 ; que le président Hénault, notre grand chronologue, s'était rendu adjudicataire de l'autre, ainsi que de la maison y attenante, cinq ans plus tôt, et que l'écuyer Robineau, avocat, docteur ès-lois, secrétaire du roi, a vendu en 1767 le coin de la rue des Boucheries, maintenant rue de l'Ecole-de-Médecine, à Duhamel, orfèvre établi dans une autre maison à lui appartenante rue de Buci le contrat de venté y relatif était entériné par Marchai de Sainsey, économe séquestre des revenus de l'abbaye, dans la mouvance de laquelle se trouvait, comme tant d'autres, la maison vendue !

Et Landelle ? demandent les meilleurs de nos lecteurs, sachant que c'est l'instant et le lieu d'en parler. Où prenez-vous le cabaret de ce traiteur, qui servait des dîners de 3 à 24 livres par tête, et chez lequel se rencontraient des grands seigneurs avec des beaux-esprits, tels que Gresset, Crébillon fils et Collé ? Landelle ne se bornait pas à garnir la paisse, il paraît l'embonpoint, et il savait aussi dissimuler l'opiniâtre maigreur des gourmands qu'il n'avait pas eu le talent d'engraisser : il était maître-tailleur en même temps que cabaretier, à l'époque du moins où sa réputation allait croissant. Mais il prenait, plus largement la mesure de l'appétit que de veste et culotte.

Il recevait sa double clientelle, vis-à-vis la rue des Mauvais-Garçons, à l'hôtel de Buci, maison à porte cochère, comportant par-derrière une autre maison, et qui avait porté l'image de l'Aigle-d'Or. Deniset, intendant de S. A. S. le comte de Clermont, a reçu en 1650 les droits et aveux dus par Lan­delle à la seigneurie abbatiale en raison de cette propriété, acquise de « haute et puissante dame Rose, veuve de haut et puissant seigneur Antoine Portail, seigneur-de Vaudreuil, premier président au parlement et l'un des quarante de l'Académie-Française. »

Sous Louis XIV on avait dîné plus modestement, dans la même rue, à la Ville-de-Stockholm, où pour 15 sols on en voyait la farce, d'après un ancien almanach. Cette hôtellerie était devenue sous le règne suivant une maison de la Raquette, appartenant au président Langlois de la Fortette, de la cour des comptes, entre une maison à Béguin et une autre à Giraud, notaire.

Le limonadier Emery tenait déjà en 1783 le café qui se maintient encore à l'encoignure de la rue Bourbon. Le cabinet d'histoire naturelle de M. Berson, près la rue de Seine, avait alors de la réputation.

Le carrefour Buci a reçu en 1792 le premier des échafaudages dressés sur la voie publique pour enrôler, au nom de la Patrie en danger, des volontaires. Malheureusement il n'est pas moins constant que le 2 septembre, entre deux et quatre heures, l'échafaudage patriotique, interceptant à demi la circulation, ralentit la course de cinq fiacres portant des prêtres à la prison de l'Abbaye, et qu'un des hommes de l'escorte ayant d'un coup de sabre frappé un prêtre de la première voiture, il fut préludé de la sorte à l'égorgement général des prisonniers.

D'une barricade, au même carrefour, est parti un autre signal, avec le premier cri de Vive la République ! jeté par la révolution de 1848. Quels souvenirs que-ceux-là pour une rue du faubourg Saint-Germain, dans laquelle se retrouvent des maisons exhaussées du XVIe siècle et même du XVe ! Elle faisait déjà l'S, elle était passante et marchande quand la Ligue y faisait des siennes.

 


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