Rues et places de Paris
Cette rubrique vous livre les secrets de l'histoire des rues et places, quartiers de Paris : comment ils ont évolué, comment ils sont devenus le siège d'activités particulières. Pour mieux connaître le passé des rues et places, quartiers de Paris dont un grand nombre existe encore.
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RUE DE BUFFON
Vème arrondissement de Paris
(D'après Histoire de Paris rue par rue, maison par maison, par Charles Lefeuve, paru en 1875)

Notice écrite en 1858. Percée vers 1790. Précédemment, rue de la Desserte du Jardin des Plantes. Origine du nom : Georges Louis Leclerc, comte de Buffon (1707-1788), naturaliste et écrivain français, directeur du jardin du Roi ; voisinage du Jardin des Plantes.

Ce qu'il y avait avant la Rue. – MM. de Buffon Père et Fils. – Le Serrurier. – Esquirol. – M. Métivié. – MM. Loiwolles Père et Fils. –
M. Dubief. – Dom Théodore.

Pierre Jubert de Basseville, ingénieur du roi, a dressé en 1739 un atlas de la censive ou seigneurie directe de l'abbaye royale de Sainte-Geneviève dans la ville et faubourgs de Paris. Une chaussée y est seulement tracée entre le Jardin-du-Roi et des chantiers, marais ou autres jardins, dont celui-là depuis s'est agrandi, et elle s'élève au rang de voie pavée sur un plan rectificatif annexé au terrier vingt-six années plus tard par Rivière, géomètre et arpenteur du roi en la maîtrise des eaux et forêts au département de Paris.

Vers l'extrémité de cette avenue, amorce de la rue qui nous occupe, une maison est ouverte au public par Dubois, pâtissier­traiteur, et il en dépend, outre des marais, un fourré de bois, aujourd'hui enclavé dans le Jardin des Plantes en face du n° 31 de la rue de Buffon. Ce bois touche, d'après le plan, aux petites fermes du sieur Plée ; des jardins règnent alentour, dont le baron de Goulas dispose, et qui seront englobés eux-mêmes par le Jardin-du-Roi. La petite rivière des Gobelins, aux deux rives bordées de saules, suit à travers le clos Patouillet une direction parallèle à la chaussée, qui coupe en deux un groupe de marais et de chantiers clairsemé de maisonnettes.

Le premier des chantiers, celui qui se dessine le plus près de la Seine à gauche, est mis par la Ville au service des marchands de bois forains. Or la maison Dubois fêtait rien moins que l'ancien hôtel Patouillet, et le pâtissier ne jouissait pas de tout le clos de ce nom, qui était encore à des particuliers en 1663 : Marie-Angélique Dufour de Nogent, femme du marquis de Bannes d'Avéjan, maréchal-de-camp, en avait vendu la meilleure partie à Sardier, plus de vingt ans auparavant, et le Jardin des Plantes en engloba postérieurement la presque totalité. Ainsi se perdit un nom de lieu porté de temps immémorial.

Quant au Jardin-des-Plantes, Jacques Canaye avait reconnu la seigneurie génovéfaine en l'an 1603, et les ancêtres de ce propriétaire de l'hôtel des Patriarches, maintenant un marché, avaient été au XVe siècle des teinturiers, rivalisant avec les Gobelin. Vingt-deux ans plus tard, Philémon Voisin, secrétaire du roi, avait renouvelé cet acte de vasselage, bien qu'il parlât de la maison-jardin royalle des plantes médicinales, contenant environ vingt-un arpens, y compris la butte des Coypeaux, servant de voirie aux sujets de l'abbaye Saincte-Geneviefve, contenant lesdictes buttes six arpens, occupé le tout par Antoine Vallot, premier médecin de Sa Majesté.

Ce tout appartenait encore à messire Philémon Voisin ; mais Louis XIII s'en rendit acquéreur l'année 1633 et ne tarda pas à nommer Guy-Labrosse intendant du Jardin-du-Roi. Du fief Copeau il restait en dehors, la maison-mère et 2 arpens 1/2. Malgré les Tournefort et les Jussieu, la royale école d'histoire naturelle ne fit florès dans le monde savant que sous l'intendance de Dufay, qui se montra géomètre, astronome, mécanicien, anatomiste, chimiste et botaniste à l'Académie des sciences, et obtint pour Buffon la survivance de sa place au Jardin-des-Plantes.

Le prince des naturalistes y renouvela l'école de botanique, acheta l'hôtel de Magny ; sur la rue de Seine, à présent rue Cuvier, pour y construire le grand amphithéâtre, doubla le jardin au, moyen d'autres acquisitions, y planta de longues allées et fit de la chaussée une rue, qui ne se prolongea toutefois jusqu'au bout qu'en 1790, aux dépens d'anciens chemins herbeux du clos Patouillet. Ce dernier avait été acheté en 1777 par Buffon, en son propre nom, avant de s'incorporer autrement que de fait au Jardin­du-Roi. Même transition pour la maison Copeau, qui appartenait encore à Tassin en 1755, mais au sujet de la quelle une déclaration censuelle fut passée à seize années de là par Georges-Louis Leclerc, écuyer, seigneur de Buffon, et confirmée en 1778 par Georges-Louis Leclerc, comte de Buffon.

C'était le même intendant, le même écrivain qu'avant, mais avec un titre de plus, et il se mettait pour écrire en grande toilette, soit à l'hôtel de l'Intendance, que nous revoyons dans cette rue et dans celle, Geoffroy-Saint-Hilaire, soit au château de Montbard en Bourgogne. Il n'avait pas conçu d'un jet tout son plan de régénération et d'extension applicable au Jardin-du-Roi : quel génie d'ailleurs, est exempt des nouveaux problèmes à résoudre que lui pose la mise en œuvre et qui donnent lieu à des reprises ! Il arrive, par exemple, à l'intendant Buffon de céder en 1781 aux religieux de Saint-Victor, ses voisins, 12,404 toises de ce clos Patouillet dont il s'est rendu possesseur quatre ans plus tôt, et de recevoir, en échange, un terrain qu'il vend au roi l'année suivante ; mais il se ravise en 1787 et rachète presque tout le lot dont les victorins s'étaient arrangés pour sa commodité.

Le fils de Buffon, à son tour, peu de temps avant que la Terreur envoie à l'échafaud cet héritier d'un nom qui devrait lui servir d'égide, vend 693 toises de toises de terrain, entre nôtre rue et le cours d'eau des Gobelins, le 5 juin 1792, à Mille serrurier, qui a déjà acquis de Buffon père un autre lot, sur lequel il a édifié le n° 23 actuel de la rue de Buffon. Petit homme et bossu, ce Mille qui n'en élevait pas moins son métier à la hauteur d'un art. De lui sont toutes les grilles qui ferment le Jardin-des-Plantes, ainsi que le pavillon du Belvédère, tout en fer et en cuivre, considéré comme un chef-d'œuvre. Il occupait le n° 37.

Quant à son autre propriété, elle fut réunie dès 1789 à la maison qui répond au chiffre 25 et dont le comte de Buffon avait transmis l'emplacement à Piat, pharmacien distingué. C'est là qu'au commencement de la Révolution Esquirol employa, le premier, les passions humaines comme agent curatif des maladies mentales : jusque-là on s'était borné à enchaîner les fous, lorsqu'on les jugeait dangereux. De tous les points du monde on vint consulter ce chef d'une maison d'un nouveau genre, à la mémoire duquel s'élève à Charenton un monument, consécration de son initiative et des applications heureuses de son système. Aussi bien un autre médecin, M. Métivié, attaché à la Salpétrière comme Esquirol, se montre depuis 1808 fidèlement attaché au même immeuble ; il y a eu pour prédécesseurs Mme de Loizerolles et son fils, dont le nom nous rappelle un épisode révolutionnaire.

On avait arrêté M. de Loizerolles père, en même temps que son fils, sous la Terreur, et tous les deux attendaient l'heure fatale, à Saint-Lazare, l'avant-veille du 9 thermidor. Un huissier vient à la prison avec une liste, et fait l'appel des victimes destinées à l'holocauste du lendemain ; le nom est prononcé de Loizerolles fils, jeune homme de 22 ans, qui dort dans un coin de la salle, et le père se dépêche de répondre à sa place : – Présent !... Le greffier en est quitte pour changer sur la liste l'âge du prisonnier dont la mort va lever l'écrou. L'un des deux Loizerolles est, le lendemain matin, au nombre des malheureux qu'emporte une charette de la Conciergerie à la guillotine ; l'autre, en gagnant un jour, doit son salut à la chute de Robespierre.

Les n°s 53, 55, comportent des pavillons de l'autre siècle, servant de magasin et de logement à des employés du Jardin. Au reste, les numéros de la rue ne répondent pas tous à l'appel ; il en est qui s'appliquent, par une ambitieuse prévoyance de l'administration urbaine, à de simples places à bâtir. Il s'y rencontre encore un ou deux jardiniers-pépiniéristes, autrefois plus nombreux dans ce quartier avant tout botanique. Le n° 61 a passé, par exemple, de l'un de ces horticulteurs à un notable charpentier, M. Dubief, qui depuis 1826 a assemblé des pièces de bois pour toutes les maisons neuves de sa rue et de bien d'autres rues. Deux fils de M. Dubief étaient nos condisciples modèles à Sainte-Barbe.

Au n° 73, vis-à-vis de l'ancienne résidence de Buffon, loge un savant modeste, dom Théodore. Le comte de Saint-Geniès a fait pour ce bénédictin, fort érudit dans les sciences naturelles, les vers qui suivent :

Lorsque la gloire de Buffon
Obtient de nos respects le tribut légitime,
Nous gardons une part d'estime
Pour son modeste ami, le sage Daubenton.
Leur exemple se renouvelle,
Nous voyons encor des savants
De cette union fraternelle
Offrir des modèles vivants.
Le nom de d'Orbigny décore un vaste ouvrage,
Précieux monument d'un travail infini ;
Mais, comme le travail, la gloire se partage,
Et nous rendons un juste hommage
Au Daubenton de d'Orbigny.


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