Rues et places de Paris
Cette rubrique vous livre les secrets de l'histoire des rues et places, quartiers de Paris : comment ils ont évolué, comment ils sont devenus le siège d'activités particulières. Pour mieux connaître le passé des rues et places, quartiers de Paris dont un grand nombre existe encore.
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RUE CADET
IXème arrondissement de Paris
(D'après Histoire de Paris rue par rue, maison par maison, par Charles Lefeuve, paru en 1875)

Notice écrite en 1858. La rue Lafayette commençait encore à la rue du Faubourg-Poisonnière ; depuis lors elle a traversé de part en part la rue Cadet, qui a perdu du coup une quinzaine de maisons, dont quelques-unes seulement sont remplacées par des constructions neuves. Cette voie existait au XVIIe siècle sous le nom de rue de la Voirie. Doit son nom à M. Cadet de Chambine, propriétaire des terrains sur lesquels se trouvait l'ancien chemin qu'elle remplace (fin du XVIIIe siècle).

N°s 5, 7, 9, 13, 15, 16, 19, 21, 23, 24, 26, 28, 30.

A Paris, la noblesse qui n'a pas fait ses preuves avant la Révolution, descend ordinairement des Halles. Là se réalisent, depuis longtemps les premiers des profits qui permettent à un maraîcher économe, laborieux et marié à l'avenant, d'avoir des descendants qui le renient pour aïeul. Le chevalier Cadet de Chambine, qui était maire d'Enghien-Montmorency sous la Restauration, aurait-il reconnu de gaieté de cœur pour ancêtres les anciens jardiniers du clos Cadet ? Il y avait toutefois des Cadet déjà en vue au temps de la Pléiade poétique de la Renaissance, dont pas une étoile n'a jeté un éclat aussi populaire et aussi clair.

Jacques et Jean Cadet étaient maîtres jardiniers dès le règne de Charles IX au terroir des Porcherons, où pour passer à la postérité ils n'ont jamais eu d'autre titre que leurs titres de propriété, et la famille Saulnier s'est levée aussi matin pour ramer ses pois près des leurs. Que de maisons il a poussé dans les marais arrosés de la sueur des jardiniers Baudin, Saulnier et Cadet, depuis que la campagne s'y est convertie en faubourg, puis en quartier de la grand'ville ! La fleur même de la bourgeoisie n'a-t-elle pas quelquefois commencé par en être la gousse, la plante potagère ? L'esprit d'ordre gagnerait à ce que bien des familles se souvinssent, par tradition, d'avoir arrosé, récolté, épluché quantité de légumes.

En 1670 le jardinier Etienne Pévrier et sa femme, Elisabeth Cadet, achetaient de Jean Saulnier et de Michelle Baudin plusieurs pièces de terre cultivée, dans la censive des chevecier, chanoine et chapitre de l'esglise collégiale Madame Saincte-Opportune à Paris, sieurs des Porcherons, du fief de Coquatuse, Huran et austres fiefs assis à la place aux Veaux. Mme de Lorraine, abbesse de Montmartre, était aussi dame des Porcherons, mais en partie ; son ressort seigneurial ne s'y confondait pas avec celui de Sainte-Opportune, dans lequel se trouvait le clos Cadet. Lorsqu'Anne et Elisabeth Pévrier furent en possession de l'héritage de leurs père et mère susnommés, elles avaient des terres mitoyennes avec celles de Jeanne Cadet, femme de Dufresnoy, tailleur d'habits.

Mais le clos Cadet proprement dit appartenait en 1694 à Marie Ranier, épouse de Mathieu de Montholon, conseiller au Châtelet. C'était une petite maison avec trois arpens de marais, clos de murs ; la face principale en regardait la place du même nom, par-dessus le mur ou à travers une une grille, et la croix Cadet surgissait au même angle ; mais la porte donnait sur, la rue qui prit le nom dudit Montholon.

Ce magistrat y avait pour tenants Jean Saulnier d'une part, Simon Brochet d'autre part, et par-derrière étaient 70 perches que lui avaient vendues Anne et Elisabeth Pévrier. A M. de Montholon appartenait également, du chef de sa femme, un terrain de 5 arpens contigu à la propriété locale de l'abbesse de Montmartre et à celle de Cagnet ; ledit terrain longeait la rue du Faubourg-Poissonnière, alors Faubourg-Sainte-Anne, entre les rues de Montholon et Bleue.

Du clos Cadet avaient dû se détacher l'hôtel et la maison des frères Lecocq dont nous avons parlé rue Bleue. Mais le chemin conduisant de la porte Montmartre à Clignancourt ne s'appelait encore comme le clos que par variante. A ce chemin aboutissait en 1690 un terrain d'un arpent et demi qui touchait à l'égoût de la ville (rue Bicher) et que la comtesse de la Mark tenait de sa mère, marquise de Bougainville.

Dès le commencement du règne de Louis XV on connaissait la rue Cadet ; mais on disait encore plus volontiers : rue de la Voirie, à cause d'un dépôt, d'ailleurs favorable à la culture des marais et des jardins du voisinage, qui occupait l'encoignure de gauche à l'entrée de la rue Rochechouart. Une berge de voirie longeait ce côté de la rue qui servait à la fois d'avenue et de déversoir au réceptacle d'immondices. Le pont des Porcherons était jeté, comme un voile pudique, sur les embrassements fangeux qui mariaient la voirie avec l'égout, au bas de l'avenue. Elle était, avant tout, celle des plaisirs populaires, malgré les impuretés matérielles dont l'air de la campagne s'y imprégnait. Des guinguettes n'avaient pas eu peur de s'y ouvrir sur un marché aux Porcs. L'eau qui suivait sa pente, au pied des cabarets, était trouble et puante avant même d'en emporter le trop-plein ; elle n'en donnait que moins envie au vin de sa mésallier dans les, verres. Sans le fumier, pas un Cadet pour mettre en plein rapport le jardin le mieux exposé !

Les jardiniers des Porcherons fournissaient même des bouquets pour tant de fêtes, des melons et des fraises à tant de bonnes tables, des fèves et des salades à tant de couverts sans nappe que la reconnaissance leur faisait un devoir de verser rasade aux fifi, dans les cabarets d'alentour. Mais savez-vous encore, ô Parisiens contemporains du Casino-Cadet, qui l'on appelait des fifi ? Leur surnom venait, disait-on, de ce que les jolies filles refusaient, aux Porcherons, de danser avec ces gens-là et répondaient à leurs invitations par des fi tellement dédaigneux que le nez en faisait la moue avec la bouche sur la figure de ces Parisiennes, encore plus bégueules que celles du Casino. Delamarre parlait d'eux en son Traité de Police ; il nous suffit d'en citer le renvoi qui figure dans la table du IVme volume : « Maîtres Fifi, ou maîtres des basses-œuvres ne cureront les fosses et retraits sans permission de justice.»

L'odeur prédominante en cette rue a rarement été, nous en convenons, celle de la poudre à la maréchale. Néanmoins le duc de Richelieu y a eu ses Porcherons, et c'était dans la maison même dont le Casino-Cadet dépend. Le terrain de Mme de la Mark avait été incorporé ou confinait à cette vaste propriété, qui fut d'abord un hôtel de campagne pour le prince de Monaco, avec ses écuries de l'autre côté de la rue.

La maison et le jardin passèrent, sous la Régence, à un sieur Charpentier, qui pendant plus de dix années, y eut pour locataire le roué par excellence. Au-dessous venait une bicoque à Ambroise, gagne-denier, puis le clos affermé par Montholon à un jardinier. Au dessous : Lemoine, salpêtrier ; Renault, jardinier ; Lecocq ; Desmoulins, sergent de gardes-françaises, non seulement propriétaire, mais encore occupant, comme s'il n'était que bourgeois ; un carrossier enfin, au pont. Les propriétaires du côté opposé étaient en ce temps-là Baudin, bourgeois, la veuve Millet et Lemoyne, oisellier.

Le sergent de ladite rue y était-il en état de service ? Il y avait un peu plus tard, nous en avons la preuve, un corps-de-garde à l'endroit où elle s'élargissait en manière de place, et il se percevait sur ce carrefour des droits d'entrée en ville à la même époque. Le carrossier était le locataire ou le successeur des Harel, héritiers de Raoul : ledit Raoul, potier d'étain, avait bâti sur un terrain acquis de Fontaine, secrétaire du roi, mais aliéné dès l'année 1601 par le chapitre de Sainte-Opportune au profit de Gellée, entre la Grange-Batelière et des terres au petit Hôtel-Dieu (sur la rue du Faubourg-Montmartre). Si bien que le pont des Porcherons était dit aussi pont-Raoul.

Pour la rue Rochechouart, elle fut chemin de la Croix-Cadet-à-Clignancourt et des Porcherons-à-Clignancourt ; la dernière de ces désignations s'étendit même au chemin de la Voirie. Mais, en dépit de l'autorité topographique du plan de Turgot, la dénomination de Cadet a commencé à être préférée dès que le chemin s'est érigé en rue ; ainsi le fond du n° 30, tel que vous pouvez le voir, se bâtissait pour Magne, voiturier, en l'an de grâce 1717, sur une place cultivée en marais, avec permission d'alignement sur le chemin du Clos-Cadet, dit aussi des Porcherons-à-Clignancourt.

L'amiral Duperré n'était encore que capitaine de vaisseau lorsque, sous Louis XVIII, il avait ce domicile. Les n°s 28 et 26 sont des constructions basses du même temps. Le 24 n'est venu faire sa partie qu'un peu plus tard dans le concert galant des Porcherons, mais avec la sourdine de la petite-maison, pendant que les guinguettes jouaient plus bruyamment les mêmes airs.

Disons adieu, en traversant la rue, à l'ancien manège royal. Tranféré rue Cadet en 1823, il y succédait à un quartier de cavalerie, qui lui­même occupait l'ancien hôtel d'un grand seigneur ; le comte d'Aure a dirigé, avant Tassinari, cette école d'équitation, dont la Ville payait le loyer et que subventionnait l'État. Sa porte monumentale, et décorée de chevaux, qui rappelent ceux de Marly, va disparaître ; la pioche aura raison de ce qu'à épargné la flamme il y a treize ans, dans cette propriété, et l'incendie y paraissait si bien l'avant-coureur d'une démolition sans réserve que des tronçons de poutres montrent encore leurs moignons carbonisés, comme si le feu étaitéteint d'hier. Tassinari a transporté l'école près de là, passage des Deux-Sœurs, où M. Leblanc donne à son tour des leçons d'équitation et des chevaux en location. Adieu pareillement à des masures qui, rue Cadet, touchent l'ancien manège et ont été logis de maraîchers ! Le fond des n°ss 19, 15, 13, dont les constructions remontent seulement à 1828, repose sur un terrain qui appartenait aux Hospices.

Le 16, qu'a occupé M. André Cottier père, négociant, et puis le maréchal Clausel, n'est autre que l'ancien pied-à-terre de Richelieu. Bien que le plan de 1739 ait déjà mis en vue cette propriété, elle garde encore, en les cachant, de grands arbres plantés par les ordres de M. de Savary, grand-maître des eaux et forêts de Normandie, donataire en l'année 1773 de Le Cordier de Bégars, marquis de la Londe, président à mortier au parlement de Rouen. Le prince Murat, propriétaire actuel, ne s'y plaint pas des empiétements de la pierre de taille et du mœllon ; il les favorise, au contraire, n'ignorant pas que les arbres rapportent beaucoup moins. Le Grand-Orient et le Casino n'occupent pas tout l'immeuble du prince.

En face, voici, n° 9, l'ancien hôtel du marquis de Cromont. Ce nom seigneurial n'était-il pas une contraction de Coqueromont ? Un Coqueromont, qui n'avait pour ergot que ses talons rouges, ne fut-il pas beau-frère du comte de Bermonville ? Si le propriétaire de cet hôtel, en 1766, n'était pas de la même famille, il ne s'en fallait que d'une lettre ; dans un titre censitaire son nom se présente ainsi : Jules-David Cromot du Bourg. A sa place, en 1710, avait été Philippe Lemoine. La salle Pleyel mettait l'immeuble en vue, et la bonne compagnie en connaissait bien le chemin quand les concerts qu'on y donnait avaient pour virtuoses Tulou, Martin, Mme Malibran, Nourrit, Ponchard. Des négociants y ont à cette heure leur comptoir, et la Caisse hypothécaire ses précieuses archives, registre censuel de Monseigneur l'argent, auquel tant de propriétaires sont tenus de rendre plus que foi et hommage. Le 7 a été édifié, en 1813, sur l'ancien jardin du marquis.

Claude Michelet, écuyer, capitaine des chasses et garde de la vénerie de Louis XIV, a épousé Mme Ambroise Hérisson, propriétaire de 2 arpens /2 sur le terroir des Porcherons, en la censive de Sainte-Opportune et grevés d'une petite rente envers l'hôpital Sainte-Catherine. Jean Baudin, jardinier, a acheté de cette dame, en 1693, et revendu ensuite par lots ledit terrain, et ce n'est pas la seule opération du même genre qu'il ait faite sur la même ligne, où notre rue bordait le triage des Pointes, d'après le cadastre seigneurial du chapitre de Sainte-Opportune. Baudin le susnommé était mitoyen avec Philippe Lemoine pour une propriété comportant deux maisons et un jardin. Un autre Baudin, jardinier-botaniste aux Porcherons, était cité en 1783 pour son cabinet d'histoire naturelle.

De respectables, bicoques se retranchent dans la cour du n° 5, et nous y remarquons une vacherie, dont le laitage se débitait déjà avant l'avénement de Louis XVI. Faut-il que cette étable ait la vie dure pour avoir résisté, sur un point de Paris devenu si vivant, à la nécessité, de plus en plus pressante, de réduire les habitations aux proportions des alvéoles d'une ruche ! Le grand-père de Guilliet, le nourrisseur actuel, achetait la propriété dès l'année 1773, et fournissait lui-même un petit lait réparateur aux roués et aux filles d'Opéra dont les petits-soupers avaient délabré l'estomac.


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