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RUE, PLACE, PASSAGE DU CAIRE
IIème arrondissement de Paris
(D'après Histoire de Paris rue par rue, maison
par maison, par Charles Lefeuve, paru en 1875)
Notice écrite en 1858. Une partie de la rue figure sur un plan de l'an VIII, et y est dénommée rue des Rentiers. Origine du nom : Ouverte en 1799, peu après l'entrée des troupes françaises au Caire. Du 23 juillet 1798 date l'entrée victorieuse des troupes françaises au Caire. A la fin de l'autre siècle remonte aussi la foire du Caire, nom collectif donné pour commencer aux passages et à la rue du même nom, ouverts à la place du ci-devant couvent des Filles-Dieu, et principalement sur le jardin de ces religieuses. La spéculation en était faite par une compagnie constituée tout exprès, et le terrain qu'elle exploitait était resté, en dehors de la ville jusqu'au règne de Charles V. Un hôpital suburbain y avait été fondé en l'an 1316, et les Filles-Dieu n'en avaient pris possession qu'après s'être établies dans le faubourg Saint-Denis, qui resta plus longtemps forain. Ce monastère devait à sa seconde installation la contiguité de la cour des Miracles, ou plutôt du principal des repaires connus à Paris sous ladite dénomination. Cette cour, qui fut supprimée à l'époque de la majorité de Louis XIV, ne consistait plus alors qu'en un très grand cul-de sac puant et boueux ; il y fourmillait encore des mendiants et des voleurs, parlant argot et jaloux de conserver le droit d'asile, dont vint pourtant à bout la force armée. C'en était fait d'une bohème qui, depuis Louis XI, avait dégénéré, si tant est que la ne puisse encore descendre ! Les truands de la cour des Miracles avaient eu leurs lois et leur chef, d'après le tableau si chaud de ton que nous en a donné Victor Hugo, dans son roman épique : Notre-Dame-de-Paris. Notre bohême à nous va moins en guenilles ; mais elle promet toujours plus qu'elle ne tient : nouvelle façon de vivre aux dépens du prochain ! Contentons-nous d'une place du Caire moins pittoresque assurément que le fut le royaume des truands et truandes. Les cardeuses de matelas s'y réunissent chaque jour, en se racontant tout ce qu'elles savent, et le champ est vaste. On ne leur confie pas une seule toile à matelas sans qu'il se lève au moins une chemise devant ces sages-femmes de la couchette ; elles distinguent la place du mari, de celle de sa femme, rien qu'au flair, et quand il arrive à la laine de garder deux empreintes qui n'en font qu'une, il n'y a pas de danger qu'elles disent : C'est un ménage ! Leurs illusions et leurs cheveux tombaient déjà lorsque s'est édenté le démêloir de leur jeunesse ; des griffes d'acier y ont poussé à temps, et la carde, substituée au peigne, décrasse, démêle, crêpe enfin une chevelure qui ne craint plus la calvitie. En rajeunissant la literie d'un étudiant ou d'une grisette, d'une actrice ou d'un vieux garçon, comme elles soupirent ! comme tout leur rappelle un temps où elles chômaient aussi les fêtes sans carillon, et si mobiles, de la rencontre, du rendez-vous, du cadeau, des adieux, du retour ! Plus une cardeuse a l'air d'une sorcière, mieux elle s'entend à rafraîchir la couche de la veuve, au sommier semi-mortuaire, dont elle fait celle d'un autre hymen. Mais, pour se rajeunir elle-même, il faut qu'elle aille jusqu'à se comparer aux mascarons, aux sphinx et aux petits bonshommes égyptiens, ces derniers courant sur une frise, qui décorent la maison d'en face et où commence le passage. Ce musée d'un style exotique s'est inspiré des Pyramides, et des générations de matelassières, depuis la formation de la place, vénèrent dans ces hiéroglyphes un symbole de leur profession, honorée sans doute à Memphis de la même façon qu'à Paris ; il suffit que le sphinx ait la tête et les mains d'une femme, avec des griffes, pour qu'elles voient une cardeuse de Thèbes dans cette image fabuleuse, qui ne leur parait plus un monstre. Le passage du Caire, dont la principale industrie est l'impression lithographique, aurait bien dû illuminer quand Napoléon III a supprimé l'obligation du timbre pour les circulaires de commerce ; cette émancipation a enrichi le passage, qui s'en est montré reconnaissant par des frais d'embellissement. Jusque-là il fallait tenir, en cas de pluie, les parapluies ouverts dans ses galeries, qui en plusieurs endroits manquaient de couverture vitrée. On y compte plus de numéros que de maisons, chaque maison de commerce voulant le sien. C'est au n° 127, qu'un élégant viveur naufragé, ayant nom Froment, a fondé un canard, soi-disant journal de spectacles, pour en faire sa planche de salut, sous le règne de Louis-Philippe. Notoirement illettré, il eut pour rédacteur et pour second un comédien sans engagement, dont la plume s'exerça dès lors à la flatterie : régisseurs, contrôleurs et directeurs étaient portés aux nues en style quelconque par l'acteur qui passait auteur. Celui-ci n'a pas eu, depuis, d'autre talent ; mais c'en était assez pour prospérer ; il continue ses platitudes sur une échelle plus en vue. Celui-là, au contraire, a misérablement fini, après avoir passé trois ans à courir après des annonces au rabais et chez les divers marchands de vin où il avait rendez-vous, tous les soirs, avec les crieurs de programmes qui avaient stationné à là porte des théâtres. Froment a succombé à une tâche qui, plus tard, a mieux réussi à quelques-uns de ceux qui le pied leste, sans bagage qui les embarrasse, entrent furtivement dans la presse ou dans le théâtre, par quelle porte ? par celle des claqueurs, des marchands de contre-marques et des coureurs d'annonces. Les mendiants de la cour des Miracles se couvraient jadis de fausses plaies ; les intrigants de notre époque n'ont de postiche que les qualités dont ils se parent, et si vous en voyez qui réussissent à se faire prendre pour ce qu'il ne sont pas, tenez pour assuré que dans leurs veines il coule encore du sang de ces mêmes gueux qui montraient autrefois de fausses ankyloses. La spécialité commerciale des chapeaux de paille domine, au contraire, dans la rue du Caire, dont toutes les maisons ressemblaient d'abord à celles qui n'ont encore que deux petits étages. Parmi les maisons exhaussées il y a environ vingt années, figure le 21, ou mourut, le 28 avril 1810, un modeste vieillard, Gilles Thomassin, qui n'avait échappé à la mort révolutionnaire qu'à cause de la chute subite de Robespierre. L'ancien régime avait peu de partisans plus enthousiastes que ce bonhomme, portant jusqu'à la fin un bonnet de coton sur une coiffure à queue. Le jour ou la corporation des cuisiniers-queux-traiteurs, dont il était le buraliste, avait été tout-à-fait supprimée, Thomassin avait pour tout de bon désespéré de son pays. Les statuts de la communauté, objet de ses regrets amers, dataient du mois de mars 1599 ; à différentes reprises Louis XIII et Louis XIV les avaient confirmés, et notre homme les savait par cœur, aussi bien que le nom de tous les bâtonniers de cette confrérie, dont il n'était pourtant pas membre ; son ex-bureau était quai Pelletier. A plus d'une reprise il avait adressé à l'empereur, par l'entremise d'un aide-de-cuisine attaché à Cambacérès, une pétition suppliante pour relever sa chère institution et pour mettre un frein aux désordres nés de l'anarchie culinaire. Cette rare persévérance eût fait croire que le feu sacré, le génie de cet art l'éclairait ; mais c'était pour sa propre gloire un culte désintéressé. Étant jeune il avait échoué, comme aspirant à la maîtrise, en subissant son examen devant des bacheliers, maîtres et administrateurs de la confrérie ; il avait manqué le chef-d'œuvre que l'apprenti devait exécuter sous les yeux mêmes des jurés, et cette déconvenue, subie à la lueur des fourneaux, avait relégué le praticien dans les tenèbres de la bureaucratie. Pour obtenir la maîtrise sans épreuve, il eût fallu que Thomassin fût fils de maître et élève de son père, ou qu'on l'eût agréé comme aide dans une maison princière.
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