Rues et places de Paris
Cette rubrique vous livre les secrets de l'histoire des rues et places, quartiers de Paris : comment ils ont évolué, comment ils sont devenus le siège d'activités particulières. Pour mieux connaître le passé des rues et places, quartiers de Paris dont un grand nombre existe encore.
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RUE DE LA CALANDRE
IIème arrondissement de Paris
(D'après Histoire de Paris rue par rue, maison par maison, par Charles Lefeuve, paru en 1875)

Notice écrite en 1858. La rue de la Calandre a disparu depuis ; la place en est prise par la caserne de la Cité.

L'Impôt des Calendes. - Le Prieuré de Saint-Éloi. - Pépin-le-Bref. - Flicoteaux. - Les Images. - Hôtel de Bourgueil. - Le Coupe-Gorge. - Dagobert. - Juin 1848. - L'Evéque. - L'Auberge. - L'Industrie.

Tristes misero venere calendce, disait Horace. Les calendes, ces premiers du mois, étaient chez les Romains jours d'échéance et de contribution. Du temps de jules-César, on appelait à Paris via Kalendaria la rue où se payait l'impôt : tout autre interprétation étymologique fait fausse route, bien qu'au XIIIe siècle la rue de la Calandre ait porté, outre son vrai nom, celui de Rue qui va du Petit-pont à la place Saint-Michel.

Saint Marcel, évêque de Paris, y était né ; c'est pourquoi, le jour de l'Ascension, le clergé de Notre-Dame faisait une station au seuil d'une maison qu'on trouvait la cinquième à droite en partant d'une place Saint-Michel, ensuite rue de la Barillerie (maintenant boulevard du Palais). Cette propriété que céda à titre d'échange, en l'an 1230, le prieur du Temple au chapitre de Saint-Marcel, est du petit nombre de celles qui, dans la rue, ont fait place à des constructions postérieures au règne de Louis XV.

Parmi les pièces relatives aux biens et héritages qui s'échelonnaient en face sous Charles VI, nous remarquons : 1° un bail fait par les religieux de Saint-Eloi au profit de Belloyn, pelletier, et il s'y agissait d'une maison qui tenait du côté de Notre-Dame à des dépendances de leur prieuré et qui avait pour vis-à-vis les jardins du Palais, en aboutissant par-derrière aux galeries et jardins conventuels ; 2° un acte pareil, rendant Lamouroux, autre pelletier, locataire d'une maison contiguë à la susdite ; 3° l'acte d'une donation, faite par le curé de Saint-Merri aux religieux, d'une propriété assise entre le mur du cloître et celle de Simon, qui formait angle devant le Palais. Ces constructions du moyen-âge ont été jetées bas lors de l'élargissement de la rue de la Barillerie, et remplacées sur un plus petit espace.

Le n° 32 actuel, que M. Bose a fait bien réparer, était l'une des maisons priorales indiquées plus haut comme adjacentes à la location de Belloyn ; elle a servi de résidenceà quelques-uns des successeurs d'Étienne de Senlis, évêque de Paris, prieur de Saint-Éloi, et c'est plus tard, en 1629, qu'ont été mis les barnabites au lieu et place des religieux de Saint-Éloi. Aucun jour ne pouvait encore y être pris sur le jardin de la communauté, en 1344 ; mais la prohibition, provisoirement levée lors du séjour épiscopal, a permis de faire payer chèrement la même tolérance aux propriétaires postérieurs, en sus des 30 livres tournois et 44 deniers de cens dûs à l'archevêque de Paris, qui restait leur seigneur.

En 1766, la maison était adjugée par sentence de licitationà l'un des héritiers de Dehansy, huissier du roi. L'ancienne salle de l'évêque s'y divise aujourd'hui en quatre pièces. Des vestiges de peintures, des médaillons curieux, des espagnolettes décorées, des plaques de contre-cœur de cheminées aux chiffres de François Ier, de Henri IV, de Louis XIV, et une vaste cuisine, qui descend insensiblement du rez-de-chaussée au sous-sol : telles sont les curiosités de l'immeuble dans lequel nous voyons l'ancien chef-lieu féodal de Saint-Eloi.

La belle porte cochère du 30, une Sirène sculptée en pierre et un balcon semi-circulaire à jolie rampe de fer, que se passent, comme une bague, comme un gage d'alliance, deux bâtiments, du côté de la cour : ne sont-ce pas également des reliques a conserver ? Cette propriété, dans laquelle un sieur Rousseau forma une belle bibliothèque vers 1683, avait fait partie d'un séjour de Pépin-le-Bref, que nous retrouverons rue Saint-Éloi. Célébrité plus moderne, un prince de la cuisine regrattière, dont le pays Latin a constitué lentement l'apanage, faisait emplette de l'immeuble en l'an XII, le 22 nivôse ; c'était Jean-Nicolas Flicoteaux, traiteur à prix réduits, dont la réputation dans le quartier des écoles rejaillit, après lui, sur plus d'un successeur, non moins habile à substituer aux mets connus des plats n'en ayant que le nom. Joseph Barrière, bijoutier de la cour, a possédé de même le n° 28, avant la grande révolution.

Frappons maintenant à une petite porte dont les deux battants sont sculptés, n° 31. L'année 1373, une sentence était rendue par le bailli de la justice temporelle de Saint-Eloi, qui condainnait Claude de Héry, graveur, propriétaire de ce logis à l'enseigne du Cheval-blanc, et ci-devant au Mouton, tenant d'un côté à la Couronne, d'autre part à la Cloche et par-derrière en vue de la rivière, à payer 4 deniers parisis de cens à l'évêque, avec quinze années d'arrérages.

En ce temps-là chaque façade montrait une image différente. Il y avait ainsi rue de la Calandre : le Singe, dont le propriétaire plaidait en 1503 avec les religieux ; le Cygne, pris à cens en 1443 par Fradin, sergent à cheval, ayant pour voisins le couvent et un hôtel ci-devant à Pierre de la Roche ; les Trois-Rois, requis pour le cens par sentence de la prévôté en 1587 ; la Treille, contiguë aux Trois-Pas-de-Gré ; Saint-Martin, qui touchait à une allée de cinq pieds, débouché réservé en 1480 au jardin conventuel par Jacques de Cauleir, archevêque d'Ambrun, prieur commendataire ; l'Écu-de-France, sur lequel étaient contestés les droits seigneuriaux de Saint-Éloi, sous Henri II, par la veuve de Hotman, propriétaire, et par le procureur du roi, maître au Trésor.

Plus tard les enseignes se rangeaient, là comme dans toutes les autres rues ; il ne leur était plus permis de pendre sur la tête des passants ; mais on continuait à en compter autant que de portes, dans la rue de la Calandre, au moment de la Révolution, entre autres le Croissant, le Lasse-Quenet, la Prison-de-Saint-Crépin, le Coeur-Royal, la Couronne-d'Or, le Heaume, le Bœuf-Couronné.

Les degrés à rampe de fer jusqu'au second, puis à balustres de bois, qui desservent le 25, paraissent presque jeunes dans une rue d'origine romaine : le pendant ne s'en trouve ni aux arènes d'Arles ni dans l'exhumation d'Herculanum. Mais la Cité, cœur de Paris, n'a rien gardé qui ne soit fort empreint du caractère national. Le moyen-âge en a fait disparaître toutes les traces d'une domination dont l'invasion des Francs n'était venue à bout que par une assimilation religieuse qui les avait rendus libérateurs. D'ailleurs la rue de la Calandre avait vu payer aux Césars trop d'impôts pour vouer un culte au percepteur, dont le bureau, s'il avait survécu, ne réjouirait que nos archéologues.

Le 23, qui depuis un siècle appartient à la même famille par-devant, et dont l'arrière-corps de logis forme un immeuble différent, est pourvu d'un escalier à vis, dont les marches déprimées rayonnent dans une cage d'épaisseur gothique : on lit encore sur la porte le titre d'Hôtel Bourgueil. Donc les abbés de Bourgueil, près Saumur, y ont eu leur maison de ville. Leur prédécesseur Étienne de Bourgueil, professeur de droit à Angers, puis archevêque de Tours et fondateur d'un collège à Paris, avait autrefois pris part à des discussions réglées sur les juridictions ecclésiastiques, où Philippe de Valois était représenté, par Pierre de Cugnières. L'hôtel de Bourgueil est longé par la ruelle des Cargaisons, barrée depuis 1825, dont la largeur varie en deçà d'un mètre ; ce coupe-gorge, qui s'appela aussi rue de la Femme-Ecartelée, était muni en 1714, de deux lanternes à la clarté desquelles on parvenait à s'engager dans un cul-de-sac encore moins spacieux.

Là se découvre la seconde porte du n° 19, qui en a une troisième, quai du Marché-Neuf, 16, où se perpétue la vieille enseigne du Pélican. La face regardant notre rue est sénile à rendre jalouses d'une longévité domestique encore valide, bien des ruines plus monumentales de l'antiquité. Néanmoins la tradition va un peu loin qui fait de ce manoir l'un des anciens séjours de Dagobert, vis-à-vis de la rue de saint Eloi, son compère. Marie-Elisabeth de Nicolaï, veuve du marquis de la Châtre, et Geneviève Vallier, femme de messire Le Mayrat, en étaient détentrices, l'année 1631 ; ensuite Mlle Le Mayrat, épouse d'un Pajot d'Onzembrai, en a disposé, comme le faisait encore en 1785 la présidente.

Gaultier de Bessigny, fille du marquis Joachim Le Mayrat, président à la cour des comptes. Puis le grand-père de M. Pannier s'est rendu en l'an XIII adjudicataire de la maison, dont la toiture, en juin 1848, a servi à couler des balles : cette place de guerre offrait d'avantageux la triple issue et les triples caves aux quelles plus d'un vaincu dut son salut, pendant qu'un jeune mobile célébrait sa victoire, dans la mansarde d'une jeune fille, où il fit un seul prisonnier, qu'elle cacha pendant neuf mois.

Quant au 17, qu'un mur, crénelé d'une grille, sépare sévérement d'un bâtiment avec lequel il faisait d'abord qu'un, il n'a pas eu de rois, mais un évêque pour premier occupant, dit-on ses sculptures et ses ferrures, en effet, ne dérogeraient pas à cette origine distinguée. La maison appartenait à la fabrique de Saint-Germain-le-Vieux depuis un temps immémorial.

De l'autre côté de la ruelle, Gaspard Moreau de Verneuil, maître des comptes, était propriétaire au temps où florissait la présidente ; il y succédait à son père, Gaston Moreau de Bréville, sieur de Verneuil, et à sa mère, Jacqueline Lepoupet, qui eux-mêmes avaient pris possession des lieux après la famille Arnouillet. Il y avait place pour Leroy-Duvivier entre Moreau de Verneuil et l'aubergiste Coutiér, dont l'Arche-de-Noé communiquait par une allée avec les Trois-Rois. L'Arche-de-Noé avait appartenu auparavant à Mme de la Rogue, née Toutain, à Mme Toutain, née Levaseur, à Levasseur et à Claude de Ferrière, ayant un tapissier pour locataire. Coutier avait, d'autre part, le nommé George pour plus proche voisin, et celui-ci M. de la Morillière, après lequel venaient dans le même sens : la veuve d'Aubigny, Hersandault, le président Portail et le comte d'Arias.

Pierre de Ravel eut, vers la même époque, deux maisons, près celle de Mme Gaultier de Bessigny. Toutefois cette dame fut, à un autre moment, en mitoyenneté simultanée avec la fabrique de Saint-Germain et avec MM. Sauvage, contigus au marquis de Vaugny. Notre-Dame pendait à l'un des deux coins de la rue aux Fèves, lorsque Germain de Monterent disposait de l'autre, où il pendait un Saint-Michel, et qui attenait à une maison au curé de Saint-Pierre-des-Arcis. La famille Ancel-Desgranges succéda a ce détenteur et précéda Lemierre, épicier, qui perdit à la Révolution le droit que lui donnait cet immeuble de se qualifier déjà bourgeois de Paris.

Le lapidaire Jacques Tellier avait les deux corps de logis de Notre-Dame, en 1779. La directe de l'archevéché ne s'étendait qu'à la moitié de cette propriété ; l'autre moitié en était reconnue à la commanderie de Saint-Jean-de-Latran par un arrêt du grand-conseil, prononcé le 25 mai 1754. Une autre maison appartenait à Jean-Marie Tiron de Nanteuil, orfèvre-bijoutier du roi, sous Louis XV et sous Louis XVI. Le bureau du corps des Teinturiers se trouvait alors même rue ; mais ce n'était pas une raison pour qu'elle tirât son nom de la machine qui sert à lustrer les étoffes.

La plupart des maisons s'y trouvaient occupées aux XVIe et XVIIe siècles par des maîtres de tous corps d'état, qui ne souffraient sous le même toit que leur famille et leurs apprentis. Cet isolement n'est plus, rue de la Calandre, que le propre d'un ou deux cabarets à deux fins, où l'ivresse du gros vin et de l'eau-de-vie de pomme de terre coûte moins bon marché que celle de la chair.



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