Rues et places de Paris
Cette rubrique vous livre les secrets de l'histoire des rues et places, quartiers de Paris : comment ils ont évolué, comment ils sont devenus le siège d'activités particulières. Pour mieux connaître le passé des rues et places, quartiers de Paris dont un grand nombre existe encore.
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RUE SUGER
Vème arrondissement de Paris
(D'après Histoire de Paris rue par rue, maison par maison, Charles Lefeuve, 1875)

Notice écrite en 1861. Précédemment rue du Cimetière Saint-André des Arts. Cette voie existait au XIIe siècle. Elle a d'abord porté le nom de rue des Sachettes (1255), plus tard, celui de rue des Deux Portes, en 1306, c'était la rue du Cimetière Saint-André. Origine du nom : Suger (1082-1152), abbé de Saint-Denis, ministre de Louis VI et de Louis VII.

Le Cimetière. – Le Collège de Boissi. – Chasse-bras de Cramailles. – L'Epouse fouettée. – La Maison du Chapitre.

Le célèbre ministre des rois Louis VI et Louis VII, dont la maison, de ville touchait à Saint-Merri, en eut une de campagne sur la terre de Laas, vignoble qui s'étendait entre la porte de Nesle, celle de Saint-Germain, Ies murs de l'université et la rue de la Huchette. Néanmoins la rue qui s'ouvrit près de cette villa, ou sur son emplacement, fut dite des Sachettes ou des Sachetiers, à cause d'un couvent, qui se ferma au milieu du XIV siècle. D'autres effets de couleur locale la firent appeler ensuite des Deux-Porte et du Cimetière-Saint-André pendant environ cinq cents ans.

Vers le n° 13, que vous y voyez, et indiquée sur le plan de Gomboust l'entrée du cimetière de l'église Saint-André-des-Arts. L'inscription municipale en consacra le souvenir, après la suppression de l'église et de son champ semé de tombes ; mais sur, la demande des habitants, en l'année 1844, l'estampille se modifia.

Elle évoqua le nom du ministre Suger, abbé de Saint-Denis, qui par hasard avait été chez lui au milieu de l'ancienne terre de Laas. Mais, sans cette circonstance, nous aurions préféré un autre nom, rappelant une fondation trop peu connue, qui se rattache plus directement à l'origine de plusieurs immeubles de la rue.

Sous le règne de Jean-le-Bon, le testament nuncupatif de Godefroy de Boissi, chanoine de Chartres, ordonnait d'employer en bonnes œuvres le prix de son hôtel, à présent le n° 8 ou 12 de la rue, et de quelques autres maisons, plus un assez grand nombre de petites rentes, au profit de pauvres de Paris et de Boissi-le-Sec, près Etampes, pays natal du donateur.

Ses exécuteurs testamentaires étaient Etienne Visé de Boissi, Clerc du roi, chanoine de Laon, puis de Saint-Germain l'Auxerrois, neveu du défunt ; Guy Lesueur, Jean Quatre-Deniers et Jacques Vic de Foresta.

A leur diligence est fondé le collège de Boissi pour sept écoliers, dont un chapelain, avec un domestique pour les servir, dans la dernière habitation de feu Godefroy. Mais, le jour même où l'acte y relatif se passe, Etienne Vidé donne de son chef aux mêmes écoliers, sous la même forme authentique, son domaine de Nantouillet, ses livres de droit canonique et civil, un lit garni pour chacun des boursiers et de nouvelles rentes, ainsi que trois autres maisons : l'une, rue Saint-Andrédes-Arts, qu'il habite et qu'habitait précédemment son oncle, de qui il la tient ; une autre, dite le Château-Gaillard et dont l'origine est la même, sise dans la rue qui nous occupe ; puis une troisième, attenante à la seconde, quoiqu'elle ait son entrée principale rue des Poitevins.

Seulement ce donateur se réserve la jouissance viagère de tout ou partie desdits biens mobiliers et immobiliers ; c'est pourquoi le nombre des écoliers ne se trouve que pour l'avenir porté à douze, outre le principal et le chapelain, aux termes des statuts approuvés le 7 mars 1358-59 par les recteur, doyens, procureurs et députés de l'université de Paris.

La collation aux bourses est déférée au chancelier de cette université et au prieur des chartreux conjointement ; ils y devront nommer par préférence, des membres de la famille des fondateurs, des sujets de Boissi-le-Sec ou des villages environnants, ou nés sur la paroisse de Saint-André des-Arts, mais à la condition expresse que les élus soient pauvres et de basse extraction, comme les fondateurs : « non nobiles, sed de humili plebe et pauperes, sicut nos et predecessores nostri fuimus. »

Trois de ces écoliers étudieront en grammaire, trois en philosophie, trois en droit canon et trois en théologie ; les grammairiens devront être en état d'expliquer Donat et Caton ; tout boursier qui ne travaillera pas sera exclu ; le Château-Gaillard est le siège définitif affecté à l'établissement, dont le local provisoire sera donné à bail une fois libre.

Au bout de peu d'années Etienne Vidé cesse de vivre, après avoir confirmé et complété sa donation en nommant le collège son légataire universel et en chargeant non seulement le chapelain de l'établissement, mais encore le curé de Saint-André-des-Arts, moyennant une somme de 20 sols parisis, de dire des messes pour l'oncle et le neveu.

D'autres bienfaiteurs suivent, en divers temps, l'exemple de Godefroy et d'Etienne. Guillaume de Melun, archevêque de Sens, abandonne aux boursiers en 1364 la terre des Lombards, acquise de Colinet de Metz deux ans avant, au village de Rubel, et 45 arpens sis à Vingneuf. Jean Boileau, chanoine de Thérouanne, lègue une maison rue des Poitevins, grevée d'une usufruit au profit de la famille Bréban. Jean Guillard, prêtre et ancien principal du collège, est resté débiteur de l'établissement ; il acquitte sa dette par l'abandonnement d'une maison rue des Poitevins, puis il en donne trois autres sises dans, la même rue, en 1417, à charge de messes à dire dans la chapelle.

Benoît de Maillac exerce la principalité sous le règne de François Ier, et Charles Dulis, fils d'un avocat-général à la cour des aides, au commencement du règne de Louis XIII, avec Nicolas de Martineau, conseiller et aumônier du roi, protonotaire du Saint-Siège, pour chapelain. Un de leurs successeurs, Gervais Lenoir, sieur de Maulone, fonde le 17 mars 1655 un lit aux Incurables, à la nomination du principal de Boissi et du curé de Saint-André-des-Arts, pour un pauvre du village de Boissi-le-Sec, ou des environs, ou bien de la paroisse Saint-André-des-Arts.

Malgré des apports successifs, la fortune de la communauté pédagogique suit une marche quelque peu décroissante : des rentes se sont perdues, d'autres ont été réduites, et à plusieurs reprises il a fallu sacrifier une propriété pour subvenir à l'entretien des autres ; c'est pourquoi le nombre des boursiers n'a que rarement atteint le chiffre déterminé par les actes constitutifs.

La généalogie des fondateurs est dressée en présence des collateurs, le 19 juillet 1673 ; et bien qu'on y voie figurer seigneurs, gens de robe et militaires, à côté de marchands, d'artisans et de laboureurs, tous les membres vivants de cette famille à branches divergentes sont dans une condition modeste : « l'un a dételé le matin, l'autre l'après-dîner » constate le généalogiste.

Conformément aux vœux d'Étienne Vidé, chaque fois qu'il y a une vacance à remplir, à mérite égal on préfère au pauvre un plus pauvre. L'œuvre est fortifiée de nouveaux statuts, fidèles à ce principe, le 16 août 1680 : les bourses sont réduites provisoirement à sept, y compris celle du principal, qui se nomme aux voix, ainsi que celle du chapelain, et ces deux bourses comptent double ; la durée des études est fixée à sept ans, avec faculté de prolongation pour prendre le degré de licence et puis le bonnet de docteur.

La suppression d'une bourse a encore lieu pendant le règne de Louis XIV, par mesure d'économie heureusement elle se trouve rétablie, le 9 février 1717, par le legs d'une rente de 400 livres sur les aides et gabelles, due au prêtre Guillaume Hodey, qui a été 36 ans principal. Il est vrai que le testateur impose de chanter vêpres désormais tous les jours fériés, et l'abord cette condition porte la communauté à refuser d'abord l'allocation ; mais une sentence du Châtelet rend la charge moins onéreuse et facilite l'acceptation du legs conditionnel.

Par exemple, le collège refuse absolument, trois ans plus tard, 600 livres de rente attachées par la baronne de Milleville à une nouvelle fondation de messes, avec nomination de chapelain réservée à la famille de la donatrice : ladite fondation est transportée à la chapelle Saint-Côme, située près des Cordeliers.

Le principal est Chevillard au milieu du XVIIIe siècle. Les biens de ville, fermes et rentes du collège rapportent encore 5,000 livres en 1762 et ses charges, tant en bourses et messes qu'en droits de cens et frais ordinaires d'entretien, ne s'élèvent pas tout à fait à cette somme. Néanmoins les boursiers de Boissi sont déversés, comme ceux de plus de vingt autres petits collèges de Paris, à Louis-le-Grand.

L'ancien Château-Gaillard, qu'ils occupent depuis cinq siècles, est vendu dès l'année 1764 à M. Le Juge de Bouzonville par MM. Cochin, conseiller au parlement, Miette, ancien recteur de l'université, et l'abbé Fourneau, ancien recteur également, tous les trois administrateurs des biens des petits collèges supprimés. Un horloger nommé Voisin reçoit le prix du même immeuble, en l'an IX de la République, des mains de M. Vivant, père du propriétaire actuel, est le n° 3 de la rue Suger. L'ancienne chapelle du collège y sert de magasin à un brocheur.

Outre la bibliothèque du collège de Boissi, on citait dans la même rue, avant la fin du XVIIe siècle, la bibliothèque de Chassebras de Crainailles. L'hôtel de ce particulier, riche également d'une collection de curiosités d'Italie et du Levant, d'estampes, de monnaies, etc., faut-il le voir dans le n° 16, où depuis 1818 on fait de l'encre, ou bien dans le n° 7, qui a porté, dit-on, la dénomination d'hôtel Serpente ?

Si le petit musée avait été au n°5 qui a conservé des sculptures et une jolie rampe de fer, ne l'aurait-on pas désigné comme contigu au collège ?

L'une à coup sûr des trois maisons avait été habitée avant Chassebras de Cramailles par Nicolas Cotignon, sieur de Chauvry, conseiller au parlement, puis président de la cour des monnaies. Ce magistrat tenait de son père, secrétaire des commandements de la régente Marie de Médicis, la terre de Chauvry, près de Montmorency. Il avait épousé une jolie brune, petite femme d'un esprit vif, née Rambouillet, à laquelle il osa une fois administrer une correction paternelle pour une simple désobéissance.

Les préliminaires de cette exécution inusitée annonçant plutôt des caresses, quelle surprise pour la jeune femme ! Comment désarmer son bourreau ? Inutile de verser des larmes, qu'il n'aurait pas même vu couler ! Ce qu'elle montrait de bonne grâce parlait encore mieux en sa faveur, mais hélas ! en pure perte. Heureusement elle aimait son mari à ne lui en vouloir que d'infractions à la foi conjugale ; telle était même sa jalousie qu'elle lui défendait de mettre les pieds chez sa sœur !

Tallemant des Réaux, notre grand conteur d'historiettes, avait épousé cette autre Mlle Rambouillet. La présidente Cotignon, une fois veuve, resta dame du village de Chauvry jusqu'à la majorité de son jeune fils.

Un immeuble de l'ancienne rue du Cimetière porte actuellement le chiffré 11 sur la place Saint-André-des-Arts, et ce fut la maison capitulaire de l'église à laquelle succède ladite place. On y remarque les sculptures admirablement conservées de deux mansardes qui donnent sur la cour.



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