Rues et places de Paris
Cette rubrique vous livre les secrets de l'histoire des rues et places, quartiers de Paris : comment ils ont évolué, comment ils sont devenus le siège d'activités particulières. Pour mieux connaître le passé des rues et places, quartiers de Paris dont un grand nombre existe encore.
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RUE DE LA CERISAIE
IVème arrondissement de Paris
(D'après Histoire de Paris rue par rue, maison par maison, par Charles Lefeuve, paru en 1875)

Notice écrite en 1858. Ouverte sur les jardins de l'Hôtel Saint-Paul ; on l'a appelée rue Neuve de la Cerisaie et rue Serisay. Origine du nom : Allée de cerisiers des jardins de l'Hôtel Saint-Paul.

Zamet. – La Chatte de l'Hôtel Lesdiguières. – Pierre-le-Grand. – Mme de Vaudeuil. – Le Gouverneur de la Bastille. – Titon du Tillet. – Philibert Delorme. – Les Souterrains. – Cardillac. – Les Visitandines.

Nous avons déjà indiqué, en parlant de la rue Beautreillis, où se trouvait l'hôtel de Zamet ; c'est l'aïeul d'un plus petit hôtel, qui le représente encore et dont la porte uniquement donne rue de la Cerisaie. Trop peu de temps après la fin tragique de Gabrielle d'Estrées, Marie de Médicis passe quinze jours dans cette maison, où Henri IV plus d'une fois assemble son conseil.

La Mort de ce roi est hâtée par le couteau de Ravaillac, et la reine, une fois régente, vient encore dîner chez Zamet, où a été servie la collation fatale à Gabrielle ; elle y donne ses audiences les plus courues. Jusqu'à ses derniers jours le confident de Marie de Médicis se livre corps et âme aux intrigues de la cour, en menant à bien une négociation avec MM. d'Epernon et de Guise, qui la menacent. L'un de ses fils, valeureux officier, hérite de quelques-unes de ses charges, avant de passer maréchal-de-camp ; il vend l'hôtel à Créqui, plus tard connétable.

Or la duché-pairie de Lesdiguières a été érigée, en même temps que pour le maréchal, propriétaire de la terre du même nom ; pour son gendre, le sire de Créqui ; par suite l'hôtel Zamet passe Lesdiguières.

Cette duché-pairie s'éteint le 5 août 1712 par la mort d'Alphonse de Blanchefort de Créqui, duc de Lesdiguières, et c'est alors que le duc de Villeroi, gendre de Louvois, entre par droit de succession en possession de la propriété. Mais jusqu'à la restauration de ce séjour, quasi-royal, qui n'aura lieu que trente ans après, un petit monument y consacre les plus chères affections de Paule-Françoise-Marguerite de Gondi, duchesse de Retz, marquise de Gamache, comtesse de Joigny, baronne de Mortagne, etc., qu'a épousée en 1676 François-Emmanuel de Bonne de Créqui, duc de Lesdiguières.

Cette dame, qui à fait imprimer, dix ans avant de mourir, une Histoire de Gondi, écrite sous ses auspices, à distrait de cette noble préoccupation une extrême sollicitude pour sa chatte, qu'elle a fait enterrer avec les mêmes égards dans un endroit apparent de son jardin, et son mari n'a pas eu à s'en plaindre, car elle était quitte envers lui des honneurs tumulaires depuis l'année 1684 :

Pour continuer les traditions, locales de royale hospitalité, M. de Villeroi, qui de mauvais maréchal de France est devenu le gouverneur du tout jeune roi Louis XV, meuble magnifiquement cette résidence, et il y reçoit Pierre-le-Grand en 1717. Les honneurs de Versailles sont faits par le régent au czar, que Louis XIV s'est refusé à attirer en France, et Louis XV enfant lui rend visite dans l'ancien hôtel Lesdiguières : pour éviter, dans cette circonstance, les embarras du pas, qu'il ne veut ni prendre ni céder, Pierre-le-Grand trouve un excellent moyen, c'est de porter dans ses bras le roi de France.

Le jardin de l'hôtel se réduit considérablement de 1737 à 1742, et un prolongement y est gagné par la rue de la Cerisaie, qu'on a percée au commencement du règne de François Ier sur une plantation de cerisiers, qui fleurissaient au milieu des jardins du palais de Saint-Paul. Quant à l'hôtel, qui n'est que rebâti en petit ; il ne perd pas son ancien titre. Le conseiller d'État Drouyn de Vandeuil fait en 1776 l'acquisition du grand et du petit hôtel dits de Lesdiguières, aujourd'hui n° 12 et 14, rue de la Cerisaie.

Mme de Vandeuil n'occupe que le fond du 12, où elle finit de vivre à 84 ans, la Terreur s'étant contentée de l'enfermer comme suspecte. M. Landry, maître de pension, s'est établi, sur le devant, à la tête d'élèves qui suivent les cours du lycée Charlemagne ; ses fils transfèrent ensuite dans le rayon du lycée Bonaparte l'institution, que remplace pour un temps, rue de la Cerisaie, une pension de demoiselles.

La rue de Lesdiguières n'était encore en 1800 qu'un passage avec ses deux grilles ; elle sillonne, comme la rue Castex, l'ancien domaine du duc de Lesdiguières. De l'incendie suprême de la Bastille il est resté au milieu des débris, jusqu'à des flammes sculptées en pierre, qu'a épargnées fraternellement le feu, qui venait en aide à la pioche ; on peut les revoir n° 8, sur une terrasse touchant à l'ancien mur de M. Delaunay. Ce gouverneur de la Bastille occupait le n° 6, que vers 1830 on a reconstruit ; le fond du 8 ne s'est rien ajouté, rien retranché depuis qu'il n'atteint plus au jardin particulier du gouverneur.

En face de l'hôtel Lesdiguières, quand les proportions s'en restreignirent si fort, celui d'Évrard,Titon du Tillet, ancien maître-d'hôtel de la dauphine, mère du roi, parut moins petit qu'auparavant. M. d'Argenville, dit bien dans son Voyage Pittoresque de Paris, paru en 1752, que ce riche particulier demeurait rue de Montreuil, et nous parlons nous-même d'une folie-Titon à-propos de la rue des Boulets. Titon, le Mécène de son temps, se faisait déjà vieux au milieu du XVIIIe siècle, et l'heure de la retraite ayant sonné, couvre-feu des amours, sa petite maison était devenue sa gravide : elle donnait à la fois rue de Montreuil et rue des Boulets. Son hôtel à la ville n'était plus que son cabinet, une des curiosités de Paris ; mais à un âge, moins avancé il n'avait eu que là son domicile avoué. En 1731 l'abbé Antonini avait écrit dans son Mémorial de Paris : « M. Piton demeure dans une des cours de l'Arsenal. »

Or, près des anciennes cours de l'Arsenal, aujourd'hui place de l'Arsenal, nous trouvons aux numéros 13, 15 et 17 de la rue de la Cerisaie, une apparence d'âge en concordance avec l'époque à laquelle Thon, protecteur des lettres, a dû former son cabinet. Il se composait de quatre pièces au premier, magistralement ornées de tableaux et de sculptures ; on y remarquait, outre le buste de Despréaux, par Girardon, ce même groupe du Parnasse Français, inventé par Titon, exécuté par Nicolas Poilly, où Louis XIV préside en Apollon, et qui se montre'de nos jours à la Bibliothèque Impériale.

Un lopin de jardin, un arrière-corps de bâtiment, superbe, un escalier à vis en pierre massive, des greniers établis pour servir d'atelier, une glace qui remonte à l'époque où la fabrication des glaces commençait seulement en France, une serrure de quinze pouces carrés, dont la clef pèse 1 livre 3/4, voilà ce qui reste, n° 22, de la maison que Philibert Delorme s'est bâtie, au moment même où il tournait une page au grand livre de l'architecture. Ne substituait-il pas la Renaissance au gothique dans la construction du château des Tuileries, dont il fut le gouverneur ? En cette dernière qualité, il fit refuser un jour l'accès du jardin à Ronsard, qui se proposait d'y suivre Catherine de Médicis ; le poète, pour s'en venger, reprocha dans une satire à l'architecte les abbayes dont il était pourvu et demanda à quoi l'on pensait de crosser ainsi la truelle.

Sous la chapelle de son hôtel, Delorme communiquait, au moyen de conduits souterrains, avec plusieurs de ses voisins. Il y avait, en pareil cas, réciprocité de servitude, mais une sorte d'assurance mutuelle, qu'on contractait en vue de conjurer des périls de toutes les sortes. Les intrigues de l'amour et de l'ambition pouvaient bien abuser du passe-partout ; mais c'était beaucoup moins la clef des noirceurs criminelles que des précautions domestiques : l'ennemi, ne fut-il que le feu, pouvait se présenter en force, par la porte de derrière on appelait à l'aide ou l'on échappait au danger.

Correspondance mystérieuse, dont les courriers gagnaient aussi du temps à éviter les embarras, les détours de la voie publique ! Maints souterrains particuliers de cette poste expéditive se croisaient sous les carrefours.

Mais peu de caves étaient plus compliquées que celles qui s'entrelaçaient sous le n° 31, lequel servit de bureau à l'administration du temporel des célestins, et puis passa aux Mortemart. Une trappe y faisait surgir, à un signal donné, un dîner tout servi. Qui sait même si la gourmandise était le seul des péchés capitaux appelés à jouer son rôle sur ce théâtre particulier, si ingénieusement machiné ?

Le 32, qui plus est, a trempé dans des crimes, par la complicité du recel, sous Louis XIII. L'orfèvre Cardillac y vendait des bijoux de prix aux seigneurs de la place Royale, dont les abords étaient encore déserts, et le soir il mettait un masque pour s'embusquer, avec des détrousseurs de profession, sur le chemin de ses meilleures pratiques, auxquelles il faisait rendre de force la marchandise qui venait d'être achetée de gré. Ce héros d'une cause célèbre, qui a fourni le sujet et le titre d'un drame joué au théâtre de l'Ambigu, a fini par être tiré à quatre chevaux. La maison en a été quitte pour un semblant de pénitence au couvent des Visitandines, dont elle a fait partie, mais à titre de pavillon réservé aux dames pensionnaires, puis livré à de simples locataires.

Ces religieuses, qui portaient régulièrement le titre de filles dé la Visitation-de-Sainte-Marie, s'étaient trouvées à l'étroit dans l'ancien- hôtel de Cossé et s'étaient agrandies par voie d'acquisition aux dépens de l'hôtel Lesdiguières et du couvent des Célestins. Leur ancienne chapelle n'est rien moins que le temple protestant de la rue Saint-Antoine.



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