Rues et places de Paris
Cette rubrique vous livre les secrets de l'histoire des rues et places, quartiers de Paris : comment ils ont évolué, comment ils sont devenus le siège d'activités particulières. Pour mieux connaître le passé des rues et places, quartiers de Paris dont un grand nombre existe encore.
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PLACE DAUPHINE
Ier arrondissement de Paris
(D'après Histoire de Paris rue par rue, maison par maison, Charles Lefeuve, 1875)

Notice écrite en 1859. Le côté de la place Dauphine qui donne aussi rue de Harlay est étagé de grosses poutres sur ses deux faces, et la préfecture de Police n'a pas encore cessé d'occuper ce tiers de la place à titre provisoire. L'empiétement administratif qui se prolonge aurait du être pour les bâtiments un motif de réparations de fond en comble ; mais leur mauvais état ne persiste que trop à confirmer officiellement les menaces dont la place entière a été l'objet. Quand on rendra Paris aux Parisiens, ce qui d'oit bien arriver tôt ou tard, comment s'y prendront-ils pour se reconnaître ? Monuments classés : Au n° 28 façades et toitures ; au n° 31 : façades extérieures et toitures. Historique : Place construite, ainsi que les quais voisins, de 1580 à 1611. Dénommée dès l'origine place Dauphine ; en 1792, place de Thionville. En 1814, elle reprit sa première dénomination. Le nom de rue Henri Robert a été attribué en 1948 à la partie de la place Dauphine d'une longueur de 19 m qui débouchait place du Pont Neuf.

1607. - 1625. - 1667. - 1700. - 1785. - 1788. - 1792. - 1859.

Devant l'effigie d'Henri IV, aux pieds duquel étaient faites les publications de paix, se trouvait l’île du Palais, dénomination collective donnée sous Louis XIV à la place Dauphine et à son encadrement sur les deux quais ainsi que sur la rue de Harlay. Toutes les maisons qu'on y voit avaient été élevées sur un terrain de 3120 toises 1/2, concédé en 1607 par Henri IV à son ami et féal conseiller et premier président en parlement, Achille de Harlay, qui avait usé de son crédit sur les Parisiens pour les détacher de la Ligue.

Cet abandon avait été fait au président à la charge de bâtir ou faire bâtir, en se conformant au plan déjà dressé, qui donnait à la place sa forme triangulaire et aux maisons une construction symétrique en brique, avec des chaînes de pierre et des ardoises pour toiture. Le nom de place Dauphine venait de Louis XIII, lorsqu'il n'était que dauphin, et la communication entre l'Ile-du-Palais et le Palais avait été pratiquée aux dépens du jardin, de Guillaume de Lamoignon, à son tour premier président.

Lesdites 3120 toises 1/2 avaient été prises tant sur l'ancien jardin du bailliage du Palais, d'abord jardin des, rois, que sur une place inoccupée, formée à la fin du XVIe siècle par l'agrégation bien constante à l'île de la Cité de deux îlots, lesquels ont donné lieu, comme désignation, à une confusion qui n'est pas encore dissipée. La construction du pont Neuf, commencée sous Henri III, avait été l'occasion de ce rapprochement artificiel. Ainsi la petite île aux Bureaux avait disparu, avec celle aux Juifs, où avaient été brûlés vifs des condamnés, notamment le dernier grand-maître des templiers.

Comme il est peu de maisons de la place auxquelles nous ne puissions restituer leurs enseignes respectives du temps de Louis XIV, plaise au lecteur que, pour faire le tour, nous entrions par le pont Neuf à droite !

Qui donc n'y connaît pas l'établissement de l'ingénieur Chevallier, dont le thermomètre fait autorité, et dont les instruments d'optique ont maintenant à se braquer sur plus d'étoiles qu'en 1740, époque de sa fondation ? Toutefois la maison Chevallier, qui de beau-père en gendre est demeurée héréditaire, n'a quitté la tour de l'Horloge qu'à l'époque de la formation du Directoire. L'immeuble qu'elle occupe depuis, se repliant sur le quai des Orfèvres, a conservé un étage supérieur, dentelé de mansardes antérieures à Mansart.

L'enseigne y était la Coupe-d'Or ; quand Pierre de Creil, maître des comptes, et Georges de la Porte-Père, conseiller du roi, se succédèrent comme propriétaires (1667-1700). La maison contiguë suivait le même sort, à l'image de Saint-Jérôme. Le maître des comptes possédait encore celle d'après, au Soleil-d'Or, aujourd'hui n° 27 ; mais il y était remplacé, avant la fin du XVIIe siècle, par Gabriel de Lattaignant, seigneur de Grange-Menant, oncle tout au moins d'un autre Lattaignant, homme de plaisir, poète et chanoine de Reims.

Sur la façade venant ensuite nous lisons : Hôtel Henri IV : il y pendait une figure de Saint-Pierre, alors que Jacques Le Challeux y tenait à Pierre de Creil. Le 23 répondait au signe de la Croix-Verte, et la veuve de Nicolas Josse en disposait ; avant le chevalier de Tinville. Comme il y avait alors beaucoup d'orfèvres dans l'Ile-du-Palais, il est évident que Molière, qu'on y rencontrait fréquemment, utilisa une réminiscence en ajoutant un sens piquant à ce que bien d'autres avaient pu dire : « Vous êtes orfèvre, monsieur Josse. » En 1700, Mlle Olympe Hardy avait la Montre, dans le n° 2l, et Dumoulin le Saphir-Bleu, dans le 19, dont la façade, depuis Henri IV, n'a guère subi de modification.

Catherine Letellier, veuve Langlois, jouissait du n° 17, où pendait une Pomme-d'Orange ; or son nom de femme nous rappelle que l'échevin Langlois, qui avait favorisé l'avènement du Béarnais, fut ensuite comblé de ses bonnes grâces, maître des requêtes, puis prévôt-des-marchands. Bien des Langlois étaient groupés, sous le règne du roi Soleil, en face de la statue de son aïeul, comme pour prolonger la gratitude du leur, qui pouvait leur avoir transmis une de leurs quatre ou cinq propriétés. Néanmoins ces colons de l'Ile-du-Palais pouvaient être de plusieurs familles : l'un d'eux se fit connaître comme graveur. Quant à la Pomme-d'Orange, elle avait passé des mains de Françoise Chevallier, femme de Georges de la Porte-Père, dans celles de Françoise Letellier, veuve de Jacques Diel, écuyer, qui l'avait donnée entre vives à sa cousine, Mme Langlois. N'est-ce pas la même enseigne qu'on nommait aussi la Pomme-d'Or ? La forme et la couleur n'avaient rien à y perdre, et l'abréviation était facile pour la légende. Thiault pratiquait l'état de graveur à la Pomme-d'Or.

Passons au 15, qui a gardé ses briques originaires, bien que surchargé d'un étage, et dont une porte donne quai des Orfèvres, avantage partagé sans,doute par les maisons voisines. Celles qui n'avaient pas de boutiques se grillaient au rez-de-chaussée, pour y former des ateliers, car toute la place Dauphine retentissait du cliquetis incessant des petits marteaux de joailliers. Le 15 et le 13 avaient eu le même propriétaire, au début du XVIIe siècle, dans Mme de Béthune, née Georges de la Porte-Père. L'un de ces deux immeubles, qui à cette date en formaient trois, arborait l'Ecu-de-France ; les enfants mineurs de feu Gabriel Langlois et d'Étienne Philips, Sa veuve, en avaient hérité avant 1667 ; un de ces héritiers en avait arrangé treize années plus tard Isaac Thuret, horloger. Puis l'orfèvre Delaunay et le capitaine Cersillier se faisaient presque vis-à-vis en se touchant, à l'angle de la place auquel nous voici arrivé.

Les maisons y cessent de longer le quai des Orfèvres pour suivre la rue de Harlay, sur laquelle elles prennent ouverture ; enfilade de constructions qu'ont envahies provisoirement les bureaux de la préfecture de Police. Le capitaine susnommé y avait pour voisin de droite l'huissier Masson, à l'enseigne de la Souche ; puis venait le Cadran, au président Sévin, y succédant au président Bizet de la Barroire.

Avant la petite rue qui relie celle de Harlay à la place, on appelait Croissant-d'Or une grande habitation à trois façades, qui fit l'objet d'une déclaration de cens passée devant Plastrier, notaire, le 21 février 1671, par Jean-Baptiste Poquelin, comme tuteur du sieur de Faverolles, qui ne pouvait manquer d'être mineur qu'à la condition d'être interdit. C'est bien réellement Molière, né Poquelin, qui, sur les dernières années de sa vie, ajoutait à toutes ses occupations et préoccupations de mari, de directeur, d'auteur et d'acteur la tutelle de M. de Faverolles. L'immeuble, ainsi que tous ses pareils, devait au domaine du roi un sol de cens par toise de terrain ; il mesurait 21 toises.

De l'autre côté du petit bras de rue, il se trouvait bien en l'année 1700 : les Armes-de-Monsieur, le Soleil-d'Or, les Armes-de-Mademoiselle et Saint-Ambroise, reconnaissant pour maîtres Bellanger, notaire, Mme de Laferrière et la veuve de Charles Poulet, celle-ci tenant la seconde encoignure. Mais au nom même du fondateur de la place, que représentaient des neveux appelés comme lui, étaient encore dix-huit parts de propriétés subdivisées, montrant dix-huit autres enseignes, en 1667 ; or nous avons la certitude qu'elles attenaient les unes aux autres rue de Harlay et place Dauphine ; par conséquent, nous les revoyons toutes dans ce qu'occupe l'administration de la police de l'Empire.

Elles ne furent aliénées que par le troisième des Harlay, qui devint lui-même premier président en 1689 : habile courtisan, fort instruit, bien que la gravité toujours tendue du chef se relâchât dans la dynastie ! Apprenant un jour qu'une plaideuse, qui redoutait de perdre un procès, n'avait pas craint de le traiter de vieux singe, il éplucha bien son dossier ; comme elle avait le bon droit de son côté, elle n'en gagna que mieux sa cause, et elle rendit une visite de remerciement à messire le président, qui l'accueillit avec ces mots : – Maintenant, madame, vous saurez que les vieux singes peuvent encore être utiles aux vieilles guenons.

Cette revue, si nous la poursuivons, attachera pareillement le nom du marquis de Jaferrière au n° 10 ; celui d'une dame Bretaut au n° 12, on veut la tradition qu'Henri IV ait été reçu par son compère Achille de Harlay.

Qui commandait au n°14 du vivant de Harlay III ? un sieur Philippe Legros. Qui encore dans l'immeuble subséquent, devant lequel s'arrêtent tous les jours mille omnibus pour leurs correspondances, et qui, ainsi que par prévision, portait l'image du Chariot-d'Or ? demoiselle Denise Langlois, veuve de Georges Berruyer. Et le 20, n'a-t-il pas été de temps immémorial habité, comme à cette heure-ci, par un orfèvre ? Le détenteur Desmartrais Figeon, maître des comptes, y avait une Perle pour blason.

Mais il est évident, nous le répétons, que la propriété était plus divisée, place Dauphiné, au grand siècle que dans celui-ci. Son chapelet d'aujourd'hui ne nous laisse plus aux doigts que quatre grains, représentés par quatre numéros, qui jadis s'égrenaient en sept. Trois noces entre immeubles ont été célébrées sur ce point de l'Ile-du-Palais, et chaque ménage ensuite n'a fait qu'un lit. A la Perle tenait, en effet, la Renommée du sieur Thuret ; à la Renommée, une Paix à partager entre les hoirs de Jacques Rémy, brodeur. Un prêtre, Jacques-Claude Laborie, devait à Claude Laborie un héritage faisant suite, qui communiquait avec le quai du grand cours de la Seine, et où nous estimons qu'à présent sont ouverts les bureaux du Droit.

Enfin, messire François de Montmorency de Saint-Véran, capitaine et gouverneur de Fontainebleau, conjointement avec Nicolas Le Pelletier de la Houssaye, maître des requêtes, possédaient trois maisons, qui n'en sont plus que deux. La dernière forme le pavillon qui fait pendant à celui de l'opticien Chevallier ; l'autre était dite à la Pucelle.

Peu de temps après que le corps du maréchal d'Ancre eût été traîné sur une claie jusqu'au pont Neuf et brûlé devant la statue du roi, le burlesque Tabarin égayait de ses farces cette entrée de la place ; il était paillasse au service de Mondor, débitant de baumes et d'onguents. Comme Paris avait alors beaucoup moins de ponts qu'à présent, le pont Neuf se trouvait encore plus passant. Aussi bien n'a-t-il pas perdu toutes ses gaietés ! La foire Saint-Germain, dont c'était le chemin, y commençait réellement quand Tabarin y avait ses tréteaux, quand Gouin, joueur de gobelets eu réputation, faisait ses tours au terre-plein, quand Brioché tenait au quai Conti son spectacle de marionnettes. Ah ! les filous avaient beau jeu, tant les badauds se groupaient autour des charlatans, qui captivaient si bien leur attention !

Où se fussent plus chantées et plus vendues ces chansons populaires, les ponts-neufs ? La Samaritaine jouait, grâce à son carillon, d'autres airs, près du quai de l'École. Le calé du Terre-Plein réunissait plus tard l'astronome Jérôme de Lalande, Rétif de la Bretonne et Mercier, y devisant le soir au confluent de trois villes, qui auraient pu se passer de n'en faire qu'une. L'académie de Peinture et de Sculpture jouissait en ce temps-là du loyer de vingt loges, surélevées à l'aplomb des piles du pont et exploitées par le commerce ; mais, chaque jour, de petits marchands dressaient, en outre, des boutiques portatives, d'une loge à l'autre, moyennant une rétribution au profit des grands valets-de-pied du roi.

Les peintres qui n'étaient pas membres de l'Académie exposaient tous les ans, le jour de la petite Fête-Dieu, leurs tableaux sur la place Dauphine. Au milieu s'élevait un reposoir, exubérant de fleurs nouvelles, et l'exhibition de la voie publique y gagnait un souffle de fraîcheur, de poésie, d'inspiration divine, que le salon de la grande exposition se gardait d'exhaler.

Cependant la lecture de Plutarque avait donné d'héroïques, sentiments à la fille d'un graveur, née dans l'une des deux dernières maisons que nous avons vues, et elle était devenue Mme Roland, qui joua un grand rôle à la Révolution. Le premier attroupement dissipé avec effusion de sang avait eu lieu à Paris dès le 28 août 1788, à l'occasion de la disgrâce de M. de Brienne, et c'était place Dauphine : la basoche avait donné le branle, en se livrant à une manifestation politique, pour faire sa cour à MM. de la grand'chambre, et le chevalier du guet avait chargé. On y dressait, quatre ans après, l'une des estrades destinées à recevoir les engagements volontaires dans l'armée, et la place prenait pour un temps le nom de Thionville, que les Autrichiens venaient d'assiéger infructueusement. De 1802 date la fontaine commémorative de la mort du général Desaix à Marengo, œuvre de Percier et de Fontaine.

 


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